Opinions - 28.07.2013

Tunisie: Sortie de crise

La crise politique, économique et sociale est là quoiqu’en dise certaines personnalités politiques gouvernementales. 
 
On ne peut se voiler la face sans perdre la considération du citoyen.

L’étendue de la crise

Sur le plan politique, les discussions sur le projet de constitution achoppent sur certains points fondamentaux qui jettent un sérieux doute sur la finalité de ce projet vu les ambigüités qu’il renferme. C’est l’avis de nombreux experts tunisiens en droit constitutionnel. C’est l’avis de la commission de Venise et de certaines organisations étrangères dont Human Rights watch.
 
Certes, les commissions relatives aux médias et à la justice ont enfin, vu le jour, après une opération au forceps et une perte de temps considérable. Mais le résultat est loin d’être parfait.
 
Au lieu de reconduire l’ISIE tout en introduisant d’éventuelles retouches, l’ANC a pris le parti, comme toujours, de travailler sur  une feuille blanche et peine encore à  s’entendre sur la composition du  staff de la nouvelle ISIE.
Mais déjà des doutes planent sur son indépendance une fois constituée.
 
En apparence, la sécurité s’est améliorée, mais derrière ce calme, les événements de Chaanbi ont révélé que le terrorisme est bien sur notre sol et que des cellules dormantes attendent le moment propice pour agir comme l’a déclaré le Chef des trois armes, parti à la retraite, déclaration qui vient d’être confirmée dans les faits. En effet, Brahmi vient d’être  assassiné et le grave phénomène de la voiture piégée a fait son apparition dans notre pays.
 
Curieusement, ce Gouvernement était au courant qu’il y a eu des entrées et des stockages d’armes dans certains points du pays et autour de la capitale.
 
Mais, qu’a fait ce Gouvernement pour réactiver le service des renseignements, ce qui aurait pu localiser tous les lieux de stockage d’armes et identifier les cellules dormantes?
 
Le gouvernement laisse faire son Ministre des affaires religieuses et plus d’une mosquée est devenue un lieu de propagande politique sans parler de ce qui se fait au niveau des jardins d’enfants.  On destitue un Mufti connu pour son indépendance pour le remplacer par quelqu’un qui justifie le discours politique dans  les mosquées.
 
Les ligues de « protection de la Révolution » continuent de menacer publiquement et exclusivement certains partis politiques  de l’opposition et d’user de violence pour les empêcher de tenir leurs meetings, bénéficiant ouvertement de la protection du principal parti au pouvoir, du CPR et de Wafa. Cette impunité explique l’éclosion de « ligues de protection du citoyen ». A quand la confrontation de ces mouvements hors la loi ? 
Sur le plan économique, l’investissement ne reprend que timidement, le tourisme bat de l’aile et le problème de la CPG  et du groupe chimique n’est pas encore fondamentalement résolu. La production industrielle redémarre lentement et les exportations n’ont pas encore atteint leur vitesse de croisière.
 
Les réserves de change sont au plus bas, le déficit commercial est plus prononcé, la balance des paiements est déficitaire d’où le recours à plus d’endettement et le Dinar continue sa dépréciation par rapport au dollar et à l’Euro et l’inflation se maintient à un niveau élevé.
 
Il faudrait être frappé de cécité politique pour ne pas reconnaitre que tout ne va pas dans le meilleur des mondes et qu’on ne peut continuer à gérer les affaires de l’Etat seuls et de la même façon. Est-ce  l’orgueil qui pousse les hommes au Pouvoir pour ne pas reconnaitre que la situation est grave ?
 
La situation économique et sociale peu réjouissante et l’incapacité de l’Etat à faire face à ses responsabilités, on favorisé le réveil des cellules terroristes dormantes. 
 
L’incapacité  à maitriser le phénomène salafiste jihadiste, par incompétence, voire par complaisance, pour des raisons électoralistes, a fait que les terroristes n’ont pas hésité à assassiner Chokri Belaid. Abou yadh ne court-il pas toujours ?
 
L’assassin principal de Chokri Belaid, est encore libre et le commanditaire de cet assassinat  n’est pas encore connu, du moins par le public, ce qui a certainement encouragé ces terroristes à exécuter Mohamed Braham en choisissant le jour de la commémoration de la fête de la République attestant par là qu’ils ne croient nullement dans les valeurs de la République. Parmi les faucons d’Ennahdha, il y a un qui a recommandé aux tunisiens de ne pas hisser le drapeau national ?
 
Entre quelqu’un qui affiche une attitude contraire aux valeurs républicaines et les terroristes qui ont osé assassiné en plein jour Mohamed Braham le jour de cette commémoration, n’y a-t-il pas une complicité ? L’histoire le déterminera. 
 
Sous d’autres cieux, et pour beaucoup moins que cela, les Gouvernements et les ministres qui se respectent ont eu la décence et le courage de s’éclipser et de laisser la place à d’autres.

Comment sortir de la crise actuelle ?

L’opposition démocrate considère que l’ANC et ce Gouvernement n’existent plus et qu’elle n’a plus besoin de demander leur dissolution. Je ne crois pas à l’épouvantail  du « vide politique » pourvu qu’il y ait une solution de rechange savamment préparée par l’opposition, ce qui n’est pas le cas actuellement. Cependant, les solutions issues d’un consensus politique véritable sont de loin préférables et comportent moins de risque pour le pays. L’union fait la force et ce serait la meilleure façon de répondre au terrorisme local soutenu financièrement par des parties étrangères qui veulent faire avorter l’expérience originale tunisienne qui vise à allier la démocratie et l’Islam.
 
Pour ma part, je suis pour la dissolution de ce Gouvernement par l’ANC qui devra être maintenue. 
On pourrait y arriver par une pression pacifique accentuée de la rue et le refus des élus démocrates à continuer à siéger à l’ANC.
 
L’ANC devra élire un nouveau chef de gouvernement, en dehors des partis politiques, mais avec l’accord de ces derniers. Ce chef de Gouvernement composera son nouveau staff avec des personnalités qui ne devront pas se porter candidates aux élections.
 
Ce Gouvernement ne pourra pas comporter ni l’actuel ministre des affaires religieuses, ni celui de la justice, ni celui de l’intérieur.
 
Toutefois, l’ANC devra limiter son activité au vote de la Loi de Finances, à l’achèvement de la rédaction de la Constitution et  à la définition du cadre juridique devant entourer l’opération électorale et ce à l’intérieur d’un délai à fixer.
 
La rédaction de la constitution devra intégrer les amendements proposés par les experts tunisiens en droit en constitutionnel et les suggestions de la commission de Venise et  de certains organismes étrangers dont Human Rights Watch. 
 
Ce Gouvernement  préparera la loi de Finances et expédiera les affaires courantes. Il devra préparer la transparence des élections en  purgeant l’administration des nominations partisanes à l’échelle nationale (ministères) et locale (gouvernorats, délégations et omdas). Il aura aussi la mission de  neutraliser les ligues de protection de la révolution qu’elles soient anciennes ou nouvellement crées.
 
Cette sortie de crise a le mérite de préserver la « légitimité » issue des urnes à laquelle le Pouvoir en place tient encore et de tenir compte des doléances pressantes de la rue. Il appartient à Ennahdha, parti dominant, et à l’opposition de s’entendre enfin, et dans les plus brefs délais, sur cette sortie de crise et de la mettre en œuvre  très rapidement pour débloquer la situation. 
 
Mokhtar El Khlifi