Notes & Docs - 02.07.2013

Quelle stratégie industrielle pour la Tunisie… !

Dans un environnement mondial globalisé et de plus en plus ouvert et concurrentiel, il n’est plus question de planification et de dirigisme. Innovation, compétitivité, attractivité sont les nouveaux vocabulaires de la politique industrielle. L’Etat entrepreneur a vécu ; l’Etat stratège, facilitateur, arbitre et accompagnateur prendra la place.
Faut-il pour autant engager une politique industrielle ? La question mérite d’être posée quand on sait qu’à l’heure de la mondialisation l’autonomie de décision économique pour n’importe quel pays au monde n’est pas totale. Cependant, face à cette même mondialisation, à la concurrence économique entre pays de plus en plus féroce, à la nécessité de doter notre pays de plus d’avantages compétitifs, des thèmes fondamentaux concernant notre industrie doivent être analysés et pris en compte et auxquels seule une stratégie industrielle pourrait apporter les éclaircissements nécessaires.

L’industrie tunisienne s’est développée au rythme des efforts de modernisation et de mise à niveau avec une évolution différenciée selon les régions, les secteurs et les branches industrielles. Cependant, le secteur industriel qui continue à jouer un rôle fondamental dans notre développement économique n’a pas encore exploré toutes les possibilités actuelles et futures. D’autres pistes restent à explorer et des possibilités d’extension existent. Il s’agit de faire les bons choix, sélectionner les meilleures créneaux, s’engager résolument dans le recherche et l’innovation, améliorer davantage la compétitivité des produits industriels, s’ouvrir avec force sur les marchés extérieurs, diversifier notre tissu industriel, se positionner sur les secteurs qui bénéficient d’avantages comparatifs établis, s’adapter en permanence à la conjoncture internationale toujours mouvante et imprévisible. Voilà quelques axes sur lesquels toute stratégie industrielle devrait s’atteler.

L’étude engagée par l’agence de promotion de l’industrie (API) en 2009 sur la stratégie industrielle nationale à l’horizon 2016 est intéressante et toujours instructive. Elle nous donne l’occasion de traiter cette question fondamentale et de formuler quelques remarques et suggestions.

Cette étude nous semble incomplète et sans quantification précise et datée. Une stratégie conçue par un bureau d’étude et quelques hauts fonctionnaires ne pourrait atteindre ses objectifs sans une réelle consultation des industriels qui sont les premiers concernés, ainsi que des chercheurs et des universitaires. Il ne s’agit donc pas d’avoir une vision technocratique mais développer une vision stratégique du futur de notre industrie où tous les acteurs doivent travailler de concert. Cette stratégie doit tenir compte des mutations internes en cours tout en corrigeant les difficultés et les faiblesses constatées ; établir les enjeux et les défis à relever et s’adapter aux changements qui s’opèrent à l’échelle mondiale et à la crise qui préfigure un bouleversement planétaire et des repositionnements stratégiques des différents secteurs industriels dans la plupart des pays.

Les marchés internationaux des produits manufacturés sont de plus en plus compétitifs et soumettent le secteur manufacturier tunisien à des difficultés croissantes. Tous les secteurs industriels sont visés par cette frénésie concurrentielle. Tout dépend désormais du degré d’adaptabilité et de compétitivité de notre industrie.
Les entreprises manufacturières tunisiennes ne font pas le poids à l’échelle internationale parce qu’elles sont plutôt orientées vers le marché intérieur, qu’elles se préoccupent pas assez de leurs exportations, qu’elles sont mal gérées pour la plupart, qu’elles ne font pas grand-chose en matière d’innovations ou de recherche développement et parce que leur volume de production est trop faible pour dégager des économies d’échelle permettant d’abaisser leurs coûts moyens de production.

La stratégie industrielle doit traiter des difficultés structurelles de notre industrie et proposer les solutions et les voies de sortie.  Parmi les thèmes qu’elle pourrait traiter et que beaucoup ont été escamotés dans l’étude de l’API on peut citer:
• Quelle politique d’innovation adopter ?
• Quels sont les secteurs-clés et les secteurs porteurs à promouvoir ?
• Quel sort va être réservé aux entreprises publiques industrielles ?
• Faut-il opter pour la spécialisation ou la diversification industrielle ?
• Comment accompagner les restructurations industrielles ?
• Comment améliorer l’état des entreprises industrielles en difficultés ?
      - Comment accéder à un palier supérieur de performance industrielle ?
      - Comment établir  des liens mieux affirmés entre l’université et l’industrie ?
• Quelle place joue la formation professionnelle dans l’amélioration des ressources humaines ?
• Comment concilier l’industrie avec le développement durable ?
• Comment renforcer la coopération industrielle intermaghrébine ?
• Quel rôle doit jouer l’Etat dans les années à venir ?
• Comment améliorer la compétitivité des coûts, de l’emploi et des compétences ?
• Quel est l’impact de la réglementation, de l’administration et de la fiscalité sur les entreprises ?
• Quel est le rôle et l’impact de l’action syndicale sur l’activité industrielle ?
• Constatant des contraintes persistantes de financement des entreprises : comment mieux orienter l’épargne vers les investissements productifs et améliorer les relations banque/entreprise ?
• Comment créer au niveau des territoires un environnement propice à l’implantation et au développement des acteurs industriels ?
• Comment intégrer et harmoniser les actions de formation et de requalification du personnel avec les besoins en emplois qualifiés des entreprises industrielles ?
• Comment faciliter les transferts de technologie vers les industries ?
• Comment favoriser l’intégration des industries tunisiennes dans un système de production et d’investissement globalisés ?
• Comment organiser la concertation entre acteurs publics et acteurs privés au niveau national et local ?
• Actuellement, la demande des clients évoluent très vite, vers toujours plus de complexité et de fonctionnalité des produits. Les engagements commerciaux en matière  de prestations (qualité, coût, délais) passent par une bonne coordination entre les méthodes, la fabrication, la maintenance, la logistique. Quel rôle peut jouer cette dernière devenue un élément incontournable de la compétitivité dans l’ordonnancement des flux ce qui nécessite une amélioration permanente dans l’organisation et la synchronisation des différentes activités, une adaptation des capacités de production au rythme des commandes ?
• Quelle place doit occuper l’économie verte dans la nouvelle stratégie industrielle ?
Toutes ces problématiques et ces questions méritent qu’on s’y attarde à l’occasion d’une étude sur la stratégie de développement industriel. Nous proposons quelques pistes :

Développer les clusters et pôles de compétitivité

Le cluster selon le célèbre économiste américain Michael PORTER à qui on doit la notoriété de ce concept se définit comme « un groupe d’entreprises et d’institutions associées, géographiquement proches entretenant des relations de complémentarités entre elles » leur permettant d’augmenter leurs opportunités d’affaires et de croissance. La structure du cluster comme l’a indiqué PORTER est schématisée par un diagramme en forme de losange dont les éléments principaux sont les suivants :
- Des entreprises (des PME en général) appartenant à un secteur donné (solidarité fondée sur le métier) ;
- Les sociétés qui fournissent d’autres produits et services mais à une clientèle similaire (solidarité fondée sur le service rendu aux clients et non plus sur le métier) ;
- Les facteurs qui sont des éléments de l’environnement structurel (institutions, infrastructures, universités, supports,…) ;
- Les demandes spécifiques dont les activités permettent à la fois la spécialisation et la croissance externe.
Les interactions positives entre les différents éléments du cluster permettent une spécialisation et une croissance externe plus rapide que dans une région qui ne possède pas la conjonction de ces facteurs. Les interactions sont libres et informelles. Elles résultent d’attitudes socioculturelles, d’une culture commune favorisant les échanges et les contacts fréquents entre les acteurs économiques. Les liens qui se tissent donnent au cluster sa cohérence, sa résistance et sa complémentarité.

La croissance économique du cluster provient de la conjonction de deux éléments : la collaboration qui augmente le chiffre d’affaires et la rentabilité des investissements endogènes et la concurrence qui est le moteur de la compétitivité et du progrès.

Le cluster s’arrime à un territoire qui est à la fois la cause et la conséquence de son émergence. En effet, la création et l’entretien d’un système relativement efficace est favorisé par la proximité géographique et l’homogénéité culturelle (partage des mêmes valeurs et une vision commune de développement).
 Ainsi, la formation d’un cluster suppose l’existence d’un certain nombre de PME travaillant dans un domaine d’activité donné, développant des relations complémentaires basées sur la confiance, la réciprocité et la coopération, s’identifiant à un lieu ou un territoire précis, bénéficiant d’un environnement institutionnel, infrastructurel, informationnel et scientifique efficace, performant et encourageant, déployant une synergie optimale entre les acteurs économiques et les ressources multiples du territoire (culture, dynamiques sociales, recherche, enseignement,…). Autrement dit, un cluster possède une dimension locale. Par conséquent, il ne peut être décrété ou imposé de l’extérieur. En ce sens, les firmes étrangères voulant s’installer sur le territoire national ou qui sont déjà sur place n’ont ni la vocation, ni le désir ou la prétention de créer des clusters avec les entreprises locales.

La notion de cluster peut s’apparenter à un pôle de compétitivité qui résulte de la combinaison sur un même territoire de trois ingrédients (entreprises, centre de formation, unités de recherches) et de trois facteurs décisifs (partenariat, innovation, visibilité internationale). Il faut noter qu’il y a quelques nuances à établir avec les technopoles qui visent à concentrer du savoir (enseignement supérieur, centres de recherches, entreprises innovantes) dans un  espace où les différents acteurs pouvaient par la synergie créée, produire un avantage compétitif. Les clusters et les pôles de compétitivité se distinguent donc par leur ancrage territorial. Le territoire n’est plus un espace neutre de projection de l’activité économique mais un construit d’acteurs locaux mus par des objectifs communs et une destinée partagée.

S’inspirer des expériences étrangères qui ont réussi

Quelle stratégie de réponse face aux défis extérieurs. L’expérience des pays émergents a montré que, même dans une conjoncture mondiale difficile, mais grâce à la qualité de leur gestion économique, à leur réalisme, à leur faculté d’adaptation, des résultats spectaculaires ont pu être réalisés. Grâce à des investissements directs étrangers bien ciblés, un véritable apport technologique et managérial a pu être introduit et qui s’est révélé extrêmement précieux. Ces nouveaux pays émergents amorcent une nouvelle phase dans leur développement en s’appuyant sur leurs propres ressources, en s’auto-développant et en devenant des créateurs de technologie après avoir été des imitateurs. Ce modèle de croissance, tout en l’adaptant à notre contexte, doit nous guider et nous servir comme référence.

Souvenons-nous, la situation de la Tunisie au début des années 60 était proche de celle de la Corée du Sud. Voyez où en est cette dernière 50 ans plus tard. Cette évolution différente entre les deux pays doit nous interpeller nous tunisiens et nous obliger à nous poser cette question fondamentale. Pourquoi les coréens du sud ont réussi mieux que nous ? est-ce une question de culture sociale, une mentalité plus portée chez-eux sur le respect de certaines valeurs telles que le travail bien fait, le dépassement de soi, la recherche de l’intérêt collectif qui doit devancer l’intérêt individuel, ou s’agit-il de choix erronés adoptées chez nous dans les années 1960 et qui consistent à accorder la priorité aux industries lourdes soi-disant industrialisantes, en édifiant des pôles de développement qui s’avérèrent peu rentables. En quelques années on s’est rendu vite compte qu’il aurait fallu miser plutôt sur les industries légères (mécaniques, électriques, électroniques,…) à fort contenu technologique et à forte valeur ajoutée.

Adopter un nouveau modèle économique: L’économie verte

Apparue dans les années 1990 à la suite du sommet de la terre de Rio au Brésil, la notion d’économie verte « green business » s’est d’abord manifestée à travers l’intérêt porté au développement durable. Ce terme est issu du rapport « notre futur commun », plus communément dénommé rapport Brundtland qui présida, au sein de l’ONU, la commission mondiale sur l’environnement et le développement de 1983 à 1986. Ce rapport part d’une vision intergénérationnelle, en définissant le développement durable comme « la capacité  à répondre aux besoins des générations présentes sans compromettre celle des générations futures à satisfaire les leurs ». Le rapport Brundtland a labellisé le concept de développement durable et fournit une méthode d’approche intégrant les trois dimensions économiques, écologiques et sociales qui a été généralisée par la suite. Depuis, le terme de développement durable  est entré dans notre vocabulaire.

Face à l’urgence de la crise écologique et sociale qui se manifeste désormais de manière mondialisée (changement climatique, raréfaction des ressources naturelles, appauvrissement de la biodiversité, catastrophes naturelles, écarts croissants entre pays développés et pays en voie de développement, famine et malnutrition, croissance de la population mondiale), le développement durable est une réponse de tous les acteurs (Etats, acteurs économiques, société civile) pour reconsidérer la croissance économique à l’échelle mondiale afin de prendre en compte les aspects environnementaux et sociaux du développement. Il est grand temps de réagir et pour cela il faudra s’orienter résolument dans le développement durable et dans l’économie verte qui est une de ses composantes fondamentales. Nous considérons que la réponse à la crise écologique qui secoue la planète entière, y compris notre pays, est restée insuffisante.

Nous constatons que l’engagement « vert »  de nos  entreprises est faible pour ne pas dire inexistant. Celles qui l’adoptent, de façon  timide et sans grande conviction, le font dans le but de soigner leur image pour pouvoir vendre plus. Les entreprises animées par une réelle motivation en faveur de la protection de l’environnement et qui s’engagent fermement dans le processus du développement durable son rares et tardent à se manifester.
La question est certainement d’ordre culturel. L’éthique écologique, la sensibilité environnementale, le comportement responsable, le sentiment qu’ait chacun de nous de faire partie d’un ensemble plus vaste dépassant l’égoïsme individuel, n’effleure pas encore nos esprits et est restée étrangère à notre façon de percevoir tout ce qui nous entoure.

Alors l’économie verte peut-elle avoir lieu dans notre pays et faire partie de la stratégie de nos entreprises ? Ce n’est pas évident car cela suppose un changement des mentalités. Mais l’avènement d’un tel changement est possible parce que tout le monde est informé des dangers et des périls que secouent notre planète et que la poursuite du modèle économique actuel productiviste et antinature n’est plus possible et conduira, si rien n’est fait en faveur de l’équilibre écologique, à la catastrophe humaine et écologique. Personne ne peut prétendre ignorer les dangers qui guettent l’avenir de notre planète (voir le rapport du GIEC sur le changement climatique)  et  se dérober ainsi de  sa responsabilité vis-à-vis de la protection de l’environnement.

Les entreprises devraient mettre en cohérence ses modes de production et les objets qu’elles produisent avec les principes et les finalités du développement durable. Pour réussir ce pari, tout chef d’entreprise quelle que soit son secteur d’activité doit être persuadé que son engagement vert peut être bénéfique non seulement  pour la cause de l’environnement et la préservation des ressources naturelles mais peut engendrer aussi des bénéfices économiques et rentabiliser davantage son activité et ses résultats financiers à moyen et long terme.
Avant d’entamer la production, chaque entrepreneur doit se poser les questions suivantes : Est-ce que je vais produire un objet, socialement et écologiquement utile ? Quel impact aurait le mode et le procédé de fabrication que j’adopte sur l’environnement ?

Le citoyen, pour sa part, doit réfléchir sur son mode de consommation tout en ayant conscience que sa consommation de produits qui ne sont pas de première nécessité et que, pour les produits alimentaires, l’hyperconsommation peut entraîner des problèmes de santé (obésité, maladies cardiovasculaires…). Il doit, en outre, s’informer sur l’origine des produits qu’il consomme, de leur traçabilité, de leur mode de production et d’acheminement, connaître, même sommairement, le cycle de vie d’un produit.

Les salariés de l’entreprise de leur côté sont prêts à s’impliquer dans une démarche durable et se l’approprient dès lors que les dirigeants de leur entreprise s’engagent dans cette voie et adoptent la responsabilité sociétale et environnementale.

En somme, toute action écologiquement correcte prend naissance quand il y a une prise de conscience de l’urgence de faire quelque chose de positif qui contribue à la survie de notre planète. Cette prise de conscience n’a de chance de se produire sans un certain niveau de connaissance, sans une information fiable, sans une éducation environnementale qui doit se faire d’une manière précoce pour chaque individu. Ceci aboutira à l’avènement d’un citoyen écologiquement responsable.

Il faut réinventer un nouveau modèle économique basé sur la préservation des ressources naturelles, le respect de l’environnement et la protection de la nature. Le bien-être humain n’est nullement dans le toujours plus. Il faut sortir de cette aberration qui a fait que l’homme développe son système économique autour des choses dont il n’a pas besoin. Jadis, l’homme vivait en harmonie avec la nature. Il ne prélevait que ce qu’il est nécessaire à sa subsistance et à sa survie. Or, depuis la révolution industrielle et les énormes progrès techniques qui les a accompagnés, l’homme s’est senti plus fort que la nature et supérieur à toutes les espèces vivantes qui l’entourent. Certes il a su dominer et dompter dame nature, mais ce faisant, il ne s’est pas rendu compte qu’en la maltraitant ainsi il contribue à sa perte.

L’économie verte permet à toute l’humanité de sortir de cette impasse et résoudre la crise existentielle que nous traversons. L’économie verte serait donc notre planche de salut, la grande opportunité qui s’offre à nous, la dernière chance à ne pas louper. En outre, elle favoriserait la relance économique et la création de milliers d’emplois verts. Des mesures urgentes institutionnelles, juridiques, économiques doivent être prises pour activer la mise en place de l’économie verte synonyme de progrès durable et d’une meilleure qualité de vie.
A ce stade, on peut se demander pourquoi, malgré les bienfaits attendus de l’économie verte que personne ne peut contester, on n’y a pas pensé plutôt et on ne s’y est pas encore engagé. C’est qu’une économie verte ne se décrète pas. Le projet doit être porté non seulement par les pouvoirs publics avec ses mesures incitatives mais aussi et surtout par de véritables champions industriels qui auraient imaginé et mis en place des projets ambitieux qui dépassent la vision court-termiste et la quête de profits immédiats, car il n’est pas dit que l’avènement d’une filière industrielle écologique soit profitable rapidement et que tout effort financier que nécessite un changement dans les modes de fabrication, la maîtrise de la consommation énergétique, les efforts de recherche et développement retarde le retour sur investissement et peut décourager des investisseurs potentiels à s’engager dans cette nouvelle économie.

En plus de la question du financement et de retour sur investissement, un autre écueil peut se dresser, qui a son importance et doit être pris au sérieux car sa négligence peut hypothéquer l’avenir de cette économie verte naissante : il s’agit de la formation. En effet, les filières d’enseignement et de formation en rapport avec l’économie verte pourrait ne pas suivre le mouvement et auquel cas les besoins en ingénieurs et ouvriers spécialisés  s’en trouvent insatisfaits stoppant net tout élan donné au développement des filières vertes.
Le succès d’une politique articulée sur l’économie verte propre et moins consommatrice des ressources naturelles repose sur plusieurs conditions dont notamment : la mobilisation des acteurs sur une vision commune, une gestion centralisée et contrôlée de l’ensemble des mesures, le développement d’une véritable politique industrielle durable  et la gestion au fur et à mesure des difficultés spécifiques à chaque programme, qui pourraient  survenir, en vue de les intégrer pour mieux les résoudre. Il faut s’assurer que tous les acteurs (décideurs politiques, entreprises, administration, chercheurs) parlent, autant que possible, le même langage, s’alignent sur les mêmes objectifs, s’ouvrent aux différentes innovations (théoriques et conceptuelles, techniques, organisationnelles) et conservent la même dynamique.

Pour donner un aperçu de l’engagement de plus en plus fort en faveur de l’économie verte par les grandes puissances économiques, après analyse des plans de relance dans quinze pays (soit une enveloppe de 341 milliards d’euros) les spécialistes de la Banque HSBC estiment que la « green economy » en absorbera la moitié en 2009. Cependant, la championne du monde de l’économie verte demeure la Corée du Sud avec 69% de sa relance affectés au « green economy » loin devant la Chine et les E.U.

Le premier objectif de cette « course au green » est technique et industriel. Les opérateurs sont à la recherche de solutions et d’équipements qui ne soient pas seulement plus performants, mais avant tout moins coûteux tant au stade de la fabrication qu’à celui de l’usage. C’est spécialement le cas du photovoltaïque. 

On peut évoquer quelques nouvelles pistes à emprunter comme par exemple des politiques à entreprendre dans le domaine du bâtiment écologique, des transports, de l’industrie et des énergies renouvelables notamment qui participeront largement et d’une manière efficace à l’instauration de l’économie verte dans notre pays.

Quoiqu’il en soit, l’environnement, le développement durable, l’économie verte ne sont pas un sous-produit, une part à part, un secteur parmi d’autres mais bel et bien le fondement futur de notre société et de notre économie et doivent être considérés comme tels. Pour cela, il faut urgemment changer de paradigme et de modèle économique ainsi que notre manière de voir les choses, de changer aussi nos comportements, nos modes de production et de consommation.

«L’économie verte représente la transposition tant attendue du combat écologique et de développement durable en modèles économiques. Elle est la première à apporter une réponse légitime et d’avenir à la crise financière, économique et sociale ouverte depuis 2008. Sans être suffisante ni exhaustive, elle demeure décisive».
 Des trois défis (technique, économique et politique) c’est de l’enjeu politique qu’on peut attendre le principal effet de levier.

Aujourd’hui, la difficulté ne réside pas dans l’intérêt et dans la prise de conscience autour de l’économie verte, mais dans les investissements à engager pour permettre  son développement effectif.

Les défis lancés, avec la mondialisation des échanges et des marchés, concernent surtout notre industrie qui est la plus exposée à cette ouverture à laquelle on doit s’adapter d’où l’urgence d’une mise à niveau de l’entreprise industrielle et un renforcement de sa compétitivité extérieure afin qu’elle puisse mieux s’adapter et tenir compte de l’environnement international. Est-ce que nos entreprises sont préparées à ces défis ? Pour pouvoir répondre à cette question, il faudrait d’abord analyser cet environnement international puis étudier les capacités de réponses de nos entreprises.

Concernant le premier point, on se propose de l’analyser en tenant compte des trois aspects :
La compétition globale ; la technologie ; l’innovation.

La compétition globale est le résultat de la mondialisation croissante  de la vie économique. Aucune entreprise n’est à l’abri de la concurrence internationale et il ne faut pas croire que seules les entreprises exportatrices doivent faire face à cette contrainte extérieure.
L’innovation aboutit, quant à elle, à la multiplication des produits différenciés. Ce qui domine la
                                       
concurrence internationale est « une demande de spécificité, liée aux progrès de la technologie. La demande de spécificité détermine le marché des biens de production, pour les biens de consommation, on constate une demande de différences » (R. Collard).

 La différenciation des produits et la discrimination par les prix constituent la stratégie gagnante pour les entreprises. L’entreprise efficace, créatrice d’emplois et de richesses est celle qui est apte à diffuser une particularité sur un marché aussi large que possible.

Quant à l’innovation soit au niveau des produits, des procédés, de la qualité du management et de l’organisation, elle est devenue de plus en plus une dimension capitale de la compétitivité.

Face à ces nouveaux défis, les entreprises tunisiennes vont être  engagées dans une concurrence économique sans merci où les faibles sont condamnés à disparaître ne subsistent que les entreprises les plus solides, les plus compétitives et les plus innovatrices.   

Une nouvelle politique industrielle est non seulement souhaitable mais possible et devrait s’articuler autour des objectifs suivants :

1 - Offrir un environnement macro-économique stable et sécurisé. Cette stabilité suppose l’assainissement du climat des affaires, la suppression des différents maux (corruption, conflits d’intérêts, injustice…) qui ont empoisonné notre société, la contraction des taux d’inflation, la maîtrise des coûts des facteurs de production, la réduction des taux d’intérêts bancaires, la suppression des situations de monopole, la libre circulation des flux monétaires et matériels, la paix sociale. Un environnement stable, prévisible et libre de toute distorsion permet aux entreprises de prendre des décisions rationnelles et travailler dans un climat de confiance.
2 - Développer des capacités professionnelles  et institutionnelles. L’Etat  doit renforcer les compétences humaines  en gérant des centres professionnels spécialisés, adaptés et modernes et des instituts techniques supérieurs et en encourageant l’innovation et la création technologique. L’administration et les différentes institutions publiques doivent être au service des citoyens en général et des entreprises en particulier.
3 - Créer un climat favorable aux entreprises. Cette orientation ne vise pas à accorder des facilités outre-mesure en leur octroyant avantages et privilèges sur des paramètres dépassés (nombre d’emplois créés, montant des investissements…), mais, que les avantages seront accordés désormais aux entreprises qui s’intègrent le plus dans le tissu industriel c'est-à-dire celles qui font le moins appel aux consommations intermédiaires en provenance de l’étranger, à celles qui adoptent et améliorent ses performances techniques et qui intègrent dans leurs plans stratégiques l’innovation technologique et enfin celles qui investissent dans les régions de l’intérieur. En outre, l’Etat devrait assouplir la réglementation, améliorer la fiscalité en la rendant moins contraignante plus équitable et plus adaptée, trouver des solutions urgentes à la prolifération du secteur informel qui échappe à tout contrôle et nuit dangereusement aux secteurs organisés.
4 - Elargir la base industrielle de l’économie tunisienne en favorisant l’innovation dans les biens de consommation émergents qui bénéficient d’une forte demande sur les marchés extérieurs.
5 - Ouvrir davantage l’économie tunisienne sur le monde extérieur même si cette démarche est douloureuse et exige une période d’adaptation des entreprises que l’Etat doit  les aider à passer. Il est indéniable que les pays qui encouragent la compétition à l’intérieur de leurs frontières et avec l’étranger bénéficient en retour des investissements étrangers, de transfert de technologie et de fortes incitations à améliorer la productivité. En outre, préparer une reconquête industrielle dans le cadre d’une économie ouverte devrait se faire avec des partenaires étrangers fiables où la concrétisation des intérêts de l’un ne doit pas se faire au détriment de l’autre.

La stratégie industrielle doit impérativement reposer sur la compétitivité internationale, c'est-à-dire sur la capacité des entreprises à s’imposer sur les marchés extérieurs. Si cette condition est remplie, alors on rétablit durablement notre balance commerciale, le plein-emploi, la croissance et l’élévation du niveau de vie des citoyens. D’autre part, le rôle de l’Etat doit se limiter à un rôle régulateur des marchés et non se substituer à lui, d’arbitrage entre les différents groupes d’intérêt, de contrôle des différents paramètres de l’économie et d’incitation vers les secteurs porteurs et innovants.

La question industrielle se pose avec acuité et devrait être porté au devant de la scène politique ainsi que pour d’autres dossiers urgents à traiter. A trop vouloir l’ignorer ou la délaisser, soit qu’elle ne figure pas encore sur la liste des priorités, soit qu’on n’a pas encore assez réfléchi sérieusement à sa problématique, on perd un temps précieux qu’on regrettera plus tard.

 Mohamed Abdennadher