News - 16.06.2013

Le virologue égyptien et le coronavirus saoudien

M. Habib Ellouze nous promettant encore plus de prêcheurs et d’oulémas en provenance du Golfe, il paraît utile de mettre en exergue « la science » de ce type de pédagogues.

Le quotidien Le Maghreb du 20 avril 2013 (page 8) a annoncé le retour parmi nous du cheikh Khaled Habchi, «imam et prêcheur» d’une mosquée de Jeddah. Ce «spécialiste» du traitement des patients  «victimes de la sorcellerie par le Coran et la médecine prophétique» est dans notre pays pour la troisième fois, à l’invitation de l’ «Association de médecine prophétique et d’exorcisme» sise Route de M’Saken Ezzaouia à Sousse.  Le cheikh est dans nos murs de nouveau dans le but d’approfondir les connaissances de ses étudiants et auditeurs des sessions précédentes, même si les détails de son séjour ont été nimbés d’un halo de mystère. Une centaine «d’étudiants» se sont inscrits à ses cours, sachant que des droits d’examen se montant à 350 dinars leur ont été demandés. Bien entendu, comme nul ne vit d’amour et d’eau fraîche, les impétrants du «diplôme» décerné par le cheikh saoudien, «suivant l’exemple du Prophète», précise ce dernier, pourront se faire payer par les patients. Mais, dans sa grande sagesse, Khaled Habchi conseille à ses étudiants de laisser le malade décider du montant des soins prodigués. L’Ordre des médecins n’a qu’à bien se tenir ! A quand le remboursement de ces « soins » par les caisses de sécurité sociale ?  Comme il n’y a pas la moindre  réprobation de la part de M. Moncef Ben Salem, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, face à cet «enseignement», faut-il s’attendre à voir son paraphe et le cachet sec de son ministère au bas  des «diplômes» délivrés par M. Habchi ?

Pour le visiteur saoudien, la sorcellerie fait de plus en plus de ravages d’autant que les livres qui en traitent sont disponibles sur Internet. Contre ce fléau, Habchi n’a qu’une arme : le Coran. Pour cet imam, «la médecine prophétique» est la «médecine du corps et du cœur» et elle est utile dans «le traitement de toutes les maladies».  Les cours de Habchi, d’après Le Maghreb,  porteront notamment sur «le traitement par la science des djinns et des diables… et l’appel au chevet des patients des djinns musulmans.» ! Ainsi, M. Habchi balaie-t-il d’un revers de main les avancées faites par Sigmund Freud, par  la psychanalyse, la psychiatrie et la neurologie réunies.

En fait, il faut être reconnaissant au cheikh Habchi de venir répandre ses lumières à Sbeïtla, à Sfax, à Sousse… alors que son pays fait face, depuis septembre 2012, à un virus «inconnu de la science et de la médecine», selon le ministère saoudien de la Santé, écrit David Quammen dans le New York Times du 09 mai 2013. Ce coronavirus a été détecté chez trois patients, dont deux ont déjà succombé. Toujours d’après Quammen, à la fin de 2012, neuf cas avaient été confirmés et cinq décès enregistrés. Au 9 mai 2013, on recensait un total de 33 cas dont 18 décès, y compris un patient actuellement hospitalisé au Centre hospitalier de Valenciennes, dans le nord de la France, et qui avait fait un séjour aux Emirats arabes unis. «Ces chiffres, note le journaliste américain, sont bien faibles  au regard des standards d’une pandémie globale mais le taux de mortalité est horriblement élevé puisqu’il est de 55%. On est face à un organisme aussi létal qu’Ebola.» Le virus Ebola s’est manifesté au Zaïre (RDC) en 1976. Il a provoqué une fièvre hémorragique foudroyante chez 318 personnes dont 280 ont succombé. Le 14 mai 2013, l’Arabie Saoudite a confirmé six nouveaux cas.

Les coronavirus ont accédé à la célébrité en 2003 en qualité d’agent du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère). Ils sont responsables d’infections respiratoires et gastro-intestinales, non seulement chez l’homme, mais aussi chez les mammifères et les oiseaux. Ils se sont brutalement signalés à Hong Kong et en Chine du Sud, puis ils ont pris l’avion pour aller à Toronto au Canada, à Singapour et ailleurs, infectant au total près de 8 000 personnes – dont 10% passèrent de vie à trépas.  N’eût été l’identification rapide du virus par les virologues jointe aux mesures de santé publique rigoureuses prises pour endiguer l’infection, le nombre de cas et la mortalité auraient été bien plus élevés. David Quammen souligne que les coronavirus sont très changeants étant donné leur fort taux de mutation,   donc leur propension à la recombinaison de leur matériel génétique et de leur forte capacité d’adaptation chez tout nouvel hôte. La recherche devait arriver à la conclusion que les chauves–souris constituent le réservoir principal des coronavirus. Le fait que l’animal vive à l’état grégaire et qu’il ait une espérance de vie importante en fait une cible de choix pour le virus qu’il répand lors de son vol nocturne probablement en infectant des oiseaux et des animaux domestiques.

Pour ce qui est de l’Arabie Saoudite, «le réservoir est encore inconnu. Mais la recherche est lancée, notamment en direction des chauves–souris qui fréquentent les palmeraies d’Al Ahsa, près du Golfe arabo-persique.» Quammer note que tous les virus peuvent aujourd’hui se répandre sur tout le globe terrestre, quel que soit le foyer d’origine car «de nos jours, la plupart des terriens habitent à 24 heures de vol de l’Arabie Saoudite» et de conclure : «En octobre, quand des millions de pèlerins mettront le cap sur La Mecque pour le pèlerinage, partout, les lignes de contact entre humains seront bien plus courtes.» Mais, affirme de son côté Michaël Osterholm dans le New York Times du 9 mai 2013, «il n’y a aucun vaccin et aucun médicament disponibles pour stopper ou traiter le nouveau coronavirus au Moyen-Orient.»

Comme on le voit, le cheikh Habchi aurait dû rester dans ses pénates pour utiliser ses «dons» dans l’éradication d’un djinn – musulman ou pas – qui peut se manifester sous forme de chauve-souris! Mais trêve de plaisanterie !

A  la porte, le virologue !

Mi-juin 2012, le Pr Ali Mohamed Zaki, un virologue égyptien qui travaillait à l’hôpital Dr Soliman-Fakih de Jeddah, a été le premier à mettre en évidence la présence de ce coronavirus – jamais observé jusqu’ici –  dans un prélèvement envoyé par un médecin exerçant à Qalat Bisha, dans le sud-ouest de l’Arabie Saoudite. Le praticien s’inquiétait pour un patient de 60 ans souffrant d’une pneumonie virale sévère. Pour vérifier son résultat, Zaki demanda au Centre médical Erasme de Rotterdam un contrôle qui confirma la présence de l’agent infectieux : un coronavirus nouveau, différent de celui habituellement rencontré dans le rhume. Aussitôt, le Pr Zaki envoya une note à proMED, un site Internet qui diffuse à travers le monde l’information sur les maladies infectieuses et les épidémies aux chercheurs et aux agences de santé publique. Une semaine plus tard, il était de retour au Caire, affirme Ian Sample dans The Guardian du 15 mars 2013. A la demande du ministère saoudien de la Santé, on mit fin à son contrat avec l’hôpital. Pourquoi? «On n’a pas apprécié la publication sur proMED…  Pour ce fait, j’ai été contraint de quitter mon travail mais il était de mon devoir de le faire. Il s’agit d’un organisme  particulièrement virulent», a déclaré le Pr Zaki au quotidien londonien. De fait, le malade de Qalat Bisha a vu son état de santé empirer : sa respiration devint de plus en plus difficile, une insuffisance rénale se déclara et il mourut onze jours après son entrée à l’hôpital en dépit de la dialyse, de la ventilation mécanique et des médicaments. On acquit rapidement la certitude de la transmission entre humains. Des cas similaires ont été détectés en Jordanie et au Qatar. A Londres, en septembre 2012, un homme  de 49 ans arriva  en ambulance aérienne à l’hôpital Saint Thomas en provenance du Qatar. Il avait visité l’Arabie Saoudite.

Le malade souffrait d’une infection respiratoire sévère. Il fut mis à l’isolement. Son cas intriguait les médecins. La nature de son infection était un mystère… jusqu’à ce qu’un praticien relève, sur proMED, la précieuse communication du Pr Zaki: les symptômes du Qatari et ceux du malade de Qalat Bisha étaient quasiment les mêmes. Les virus étaient identiques à 95%. L’hôpital londonien alerta immédiatement l’OMS à Genève.

Les inconscientes cachotteries saoudiennes étaient mises sur la place publique. En février 2013, on découvrit pour la première fois le virus chez un résident de Grande-Bretagne : Abid Hussain qui, de retour du Pakistan, fit une halte à La Mecque pour prier pour son fils Khaled, atteint d’une tumeur au cerveau. Sitôt arrivé chez lui à Manchester, son fils contracta le virus et mourut quelques jours plus tard à l’hôpital de Birmingham. La sœur d’Abid fut, elle aussi, infectée mais récupéra rapidement. Un de nos concitoyens, hélas, n’eut pas cette chance et vient de décéder du coronavirus - après un séjour au Hedjaz, semble-t-il.

En guise de conclusion

Est-il nécessaire d’ajouter que nous ne croyons nullement en les supposés dons de M. Habchi et de tous ceux qui propagent ce type de «science»? Il est navrant de voir que l’œuvre inestimable de Louis Pasteur, mort en 1895, – comme celle des virologues d’aujourd’hui –demeure une terra incognita pour  certains «oulémas». Comme il est navrant aussi de voir le gouvernement saoudien mettre outrageusement à la porte le Pr Zaki qui n’a fait que son devoir. La religion du secret de ce gouvernement en est la cause. Mais devant l’ampleur de l’affaire, toute honte bue, les autorités de Riyad ont dû aller à Canossa et communiquer sur cette épidémie. Elles ont même été contraintes d’inviter une équipe de l’Université Columbia de New York pour étudier les chauves-souris nichant dans les environs de Bisha, là où s’est déclaré le premier cas de virus identifié par le savant égyptien. Parions qu’aucun de ces chercheurs ne sera expulsé quoi qu’il découvre, protégé, lui, par son passeport américain ! Comment ne pas hurler : «Vive la solidarité arabe, vive la Conférence des pays islamiques et vive  la Ligue arabe» ?

La religion dit, à qui veut l’entendre, comment vivre et donne des raisons d’espérer. Elle ne saurait se substituer à la Science objective et rationnelle que professait Ibn Rochd, cette science qui reste notre qibla et notre but. Elle seule peut valablement répondre à l’attente de nos peuples, traiter leurs maladies  et les mettre sur  la voie du développement.  Etant donné la virulence de l’agent infectieux, pour nous, Tunisiens, espérons que les mesures nécessaires de prophylaxie seront prises lors du pèlerinage de l’année 1434 . Tous nos vœux de bon séjour et d’un retour en forme au pays accompagnent nos futurs pèlerins. Quant aux «étudiants» tunisiens de Habchi, espérons qu’ils s’adonneront plutôt à des matières plus utiles pour la santé des Tunisiens que cette prétendue  «médecine prophétique»  provenant des arcanes de la pensée wahhabite.

M.L.B.