News - 24.05.2013

Le vrai jihad en Afrique

De tout temps, la Tunisie a ignoré son continent. Ouverte sur la Méditerranée, la Tunisie a scrupuleusement tourné le dos à l’Afrique, aussi bien politiquement que commercialement. Au Nord d’un continent qui tire aujourd’hui la croissance du monde, elle continue à chercher à diversifier son marché au-delà des mers, comme si elle voulait nier la géographie, pour donner une forme de prééminence à une histoire revisitée.

En sillonnant l’Afrique au Sud du Sahara, on ne pourra que constater l’absence de la Tunisie, abandonnant le terrain à des économies moins légitimes, qui ne partagent avec les pays du continent ni langue ni culture. L’implantation de la Banque africaine de développement a permis de faire connaître et apprécier notre pays à nos amis du Sud, et notre compagnie nationale de multiplier les navettes vers l’Ouest, négligeant l’Afrique Centrale au mépris des évidences commerciales.

Aujourd’hui, des pays comme le Tchad, le Cameroun et bien d’autres encore, autour des Grands Lacs, offrent des perspectives d’investissements et d’échanges qui méritent d’être regardés de près.

Les industries de transformation, l’immobilier, l’agriculture, l’énergie ou le tourisme sont autant de secteurs où les besoins sont grands, et notre expérience précieuse. Les villes africaines se dotent d’infrastructures et s’équipent, les villes caravanières laissent place à des cités organisées. Certes, la pauvreté et la misère sont encore présentes, et l’emploi reste la première préoccupation.

Offrir aux pays du Sud des services à moindres coûts dans l’infrastructure, la santé et l’éducation, désenclaver leurs économies en offrant de nouveaux débouchés à nos produits industriels les plus compétitifs, c’est s’ouvrir les marchés du futur dès aujourd’hui.  Ces pays attendent plus de la Tunisie et de ses entrepreneurs, leurs besoins sont immenses et sans limites.

L’Afrique au Sud du Sahara change à vue d’œil, stabilisation politique, démocratisation et prise en charge de son destin sont en cours dans les différents pays. Il y aura encore quelques soubresauts, mais le mouvement est inéluctable. Tel est le sens de l’histoire. La Tunisie doit avoir sa place dans ce mouvement et y contribuer activement, y compris politiquement. La Tunisie a été trop longtemps absente des institutions africaines; jusqu’à quand ?

La Tunisie aurait pu s’investir, aux côtés de ces pays, dans le pétrole, dans le coton et sa transformation ou encore dans l’exploitation des phosphates. Pour cela, l’Etat doit montrer la voie et accompagner les entreprises, comme le font chez nous d’autres pays. Mais l’Etat s’est toujours occupé d’autre chose, faire la cour aux puissants désargentés. Ceux qui pouvaient légitimement attendre de la Tunisie post-révolution  un changement profond de sa politique commerciale internationale en seront pour leurs frais. Il y a une ignorance chronique qui règne dans nos structures politiques, peu connaissent le continent, les ressources et les opportunités qu’il recèle, encore moins ses besoins. Plus encore, en cette période, l’Afrique est une partie de la solution nécessaire à la Tunisie.

La révolution n’aura rien changé, nos gouvernants partagent avec les précédents l’ignorance du continent noir. Aujourd’hui, le vrai jihad consisterait à exhorter nos jeunes à s’investir dans le commerce avec l’Afrique, plutôt que dans la guerre en Syrie.

D’aucuns se réclament de la révolution et de ses objectifs; or à ce jour, la révolution n’est portée ni sur le plan politique ni sur le plan social. Nous sommes, à l’An trois, toujours englués dans la gestion de l’après-révolution, donnant corps à une contre-révolution rampante qui ne dit pas son nom.  La contre-révolution, c’est le manque de courage d’un pouvoir incapable de porter les attentes par la mise en œuvre de réformes de fond nécessaires et réclamées, d’ouvrir les nouvelles portes de l’espérance, et celle de l’Afrique notamment. Les outils et les financements existent et n’attendent que l’expression d’une volonté politique d’arrimer le pays à son continent.

Le siècle dernier aura donné au monde quelques chefs d’Etat révolutionnaires, pas à la mode guévariste, mais des vrais qui ont laissé une empreinte indélébile, consacré de nouvelles politiques, opéré de vrais changements structurels, parfois difficiles et mal acceptés, mais souvent nécessaires. De Thatcher à Chavez en passant par Mandela, de vrais révolutionnaires, très différents et controversés, que le destin semble s’acharner à réunir dans les hommages posthumes de l’année. L’esprit révolutionnaire est en panne en Tunisie, plongée dans un Fukushima médiatique au milieu d’un désert d’idées. La contre-révolution est devenue, au fil des jours, une réalité qui transforme le paradis de la liberté en un enfer social.

Une nation, c’est un nom unique donné à une diversité, difficile de l’envisager et de la construire dans l’invective et la menace, surtout lorsque le chantre des droits de l’Homme se prend à rêver de potence, nostalgique des grues jalonnant les rues de Téhéran, ou des guillotines de la terreur. Quand allons-nous nous investir dans l’intelligence pour atteindre l’excellence, celle des choix et celle des résultats?

Et si l’exercice du pouvoir était contre-révolutionnaire, trop souvent incapable de prendre en charge l’intérêt général, soumis à la faiblesse des hommes qui l’incarnent? Ceux-ci finissent par se ressembler  et très vite les élus du peuple finissent par oublier le peuple lui-même, ses attentes et ses sacrifices. Les élus doivent tout au peuple, qui ne leur doit rien. Ce dernier sera-t-il capable de s’en souvenir pour abattre sa sanction lors des prochaines élections ? Rien n’est moins sûr, tant les électeurs semblent désabusés, prêts à jouer aux autruches, un bipède africain.

W.B.H.A.