Success Story - 09.04.2013

Moez Ben Gharbia: Un gladiateur cathodique

Ciblé ? Moez Ben Gharbia n’y prête pas beaucoup d’attention. Ce qui est sûr, c’est qu’il est très suivi. Son émission «Ettissaa Massaan», chaque lundi et jeudi soir sur Ettounissya, caracole au hit-parade de l’audience télévisée en Tunisie et reste très regardée aussi par les Tunisiens aux quatre coins du monde. Son secret est, pourtant, simple: un débat contradictoire entre les acteurs les plus significatifs de l’actualité, avec une série de reportages et d’interviews extérieurs en direct. Le tout, sous la relance permanente, parfois survoltée, de Ben Gharbia. A chaque émission son lot de surprises : l’imam salafiste qui brandit en direct son linceul de martyr devant Ali Larayedh, alors ministre de l’Intérieur, Hachemi El Hamedi qui se proclame, depuis Londres, prochain président de la République, les passes d’armes entre Béji Caïd Essebsi et Houcine Jaziri ainsi que Walid Bennani, de l’autre… Et son lot d’humour, surtout avec Abdelfettah Mourou qui sait mettre de l’ambiance. Bref, de quoi tenir l’audience en haleine.

Pareille émission dont il est le producteur, directeur de la rédaction et présentateur, avec une équipe de cinq personnes seulement, et un budget très serré, est bien lourde à porter par Moez Ben Gharbia tout seul. Elle exige de lui une implication totale, quasiment sept jours sur sept, ce qui ne lui laisse ni le temps  de respirer ni d’effectuer de bonnes interviews à l’étranger, comme il l’avait fait avec Slim Chiboub aux Emirats Arabes Unis, en moins de 72 heures tout compris. La périodicité bihebdomadaire risque aussi de lasser les téléspectateurs qui réclament déjà un journal télévisé quotidien. Moez Ben Gharbia y pense sérieusement, promettant de bonnes surprises. Retour sur un parcours et coulisses.

Mardi à 17 heures. L’équipe est réunie pour débriefer l’émission de la veille. Une fois les caméras éteintes, chacun était rentré chez lui, mais trouvait difficilement le sommeil. Jusqu’à l’aube, Moez Ben Gharbia tournera mille fois dans sa tête chaque moment de l’émission, ce qui a marché, ce qui a été raté. «Jamais satisfait, nous confie-t-il, je suis toujours dans le doute, la remise en question, soucieux d’améliorer davantage. On prépare le conducteur de la prochaine émission, celle du jeudi, en examinant les prévisions d’actualité, en réfléchissant aux sujets phares, aux reportages et aux invités ».

Le choix des invités est un véritable casse-tête. D’abord, ils doivent être les acteurs du moment, savoir s’exprimer et être disponibles, ce qui n’est pas toujours le cas, en respectant une large diversité de points de vue. Alors quand on taxe Moez de partis pris, il sort de ses gonds,  statistiques à l’appui. «Point de favoritisme ou de copinage chez moi. Comme du temps où je m’occupais du sport. Je connais la plupart des joueurs, entraîneurs, dirigeants et analystes, et je n’ai aucune préférence particulière pour l’un ou l’autre. Pareil en politique. Indépendant de tout parti, j’essaye de faire au mieux mon travail de journaliste. Beaucoup d’ailleurs ne le comprennent pas, de prime abord, ne croyant pas que des médias indépendants ne puissent être inféodés à aucun parti ou groupe, mais à la longue, ils finissent par bannir la théorie du complot médiatique».

Point de répit, demain on recommence

Mercredi, jour de contacts avec les invités et de tournages extérieurs. L’équipe est très réduite. En tout et pour tout, elle ne compte que cinq personnes dont une rédactrice en chef adjointe, l’excellente Rim Ben Kamla, agrégée d’arabe, et trois journalistes. Pour la postproduction, seuls deux monteurs sont affectés à l’émission. Traitant de sujets d’actualité, les reportages, souvent tournés en dernière minute pour garder leur fraîcheur, sont traités dans une véritable course contre la montre. Les équipes lancées sur le terrain rentrent le soir avec leurs reportages à visionner, monter et bien caler. Les monteurs s’en occupent toute la nuit, s’il le faut. Il ne reste plus que la journée du jeudi pour tout mettre au point. Les invités sont relancés et la technique se met en place pour des directs extérieurs.

A la tête de sa petite équipe, Moez est à la manœuvre, tous azimuts, sans relâche. L’heure approche, juste le temps d’avaler de quoi apaiser sa faim, parfois avec des invités  arrivés tôt, de se débarbouiller la barbe et de se prêter à un coup rapide de coiffure et crème antireflet. Et le direct commence. A ce rythme et dans le feu de l’action, il ne faut pas s’étonner de voir parfois Ben Gharbia s’emporter. «Ce n’est pas évident de garder son calme, je me laisse enflammer, reconnaît-il. Mais, j’essaye toujours de me reprendre. C’est mon tempérament et je me retiens au maximum face à des situations très difficiles. Je sais que chaque mot, chaque geste compte et je suis conscient de toute la responsabilité qui repose sur mes épaules». Les téléspectateurs, eux, accros des duels, aiment ces nouveaux gladiateurs cathodiques. Dès le lendemain, il va falloir penser à la prochaine émission. Point de répit.

Quel financement ?

Le modèle économique est très fragile. Cactus Production n’a d’autre financement que le produit des recettes publicitaires. Elle en reverse 10 % à la chaîne de diffusion Ettounissya. Le reste suffit à peine pour prendre en charge tous les autres frais fixes et ceux des productions, comme l’émission «Ettassiaa Massaan», ce qui impose des compressions drastiques.

«Malgré le très fort taux d’audience qui nous place en première position, déplore Ben Gharbia, les annonceurs ne suivent pas tous. Seuls ceux qui y croient continuent à programmer leurs campagnes sur notre antenne. Pour le moment, nous vivons du reliquat de nos recettes de l’émission «Le Crocodile», diffusée durant le mois de ramadan dernier».

Sami Fehri, l’absent-présent

L’incarcération de Sami Fehri a porté un coup très dur à Cactus et à l’équipe. Par fidélité et engagement solidaire, tous tiennent bon pour maintenir la production et exceller davantage comme si Sami était parmi eux. Moez en est fort bouleversé, lui qui a toujours été si proche de lui. Profitant d’une autorisation, il lui  a rendu visite en prison, à la Mornaguia, lors de sa grève de la faim. «Il ne peut pas regarder Ettounissia, nous dit-il, mais suit de près ce qui se passe. Il vit toujours, même derrière les barreaux, cette grande aventure et s’y attache. Sami travaille sur la suite du feuilleton Mektoub. Evidemment, il est bien le seul à pouvoir le réaliser, tel qu’il le conçoit et doit donc attendre sa libération pour s’y attaquer».

L’espoir, c’est aussi l’autre moteur de Moez Ben Gharbia et de toute son équipe.