Opinions - 03.04.2013

Bourguiba et le coup d'Etat «médical»

Il est parti le 6 avril 2000 arrachant d'une main lasse les derniers liens qui le retenaient à sa Tunisie tant aimée qui, durant 13 années obnubilée, tétanisée par une campagne de longue haleine mensongère et éhontée avait laissé le solitaire du donjon vivre sa souffrance sans espoir jour après jour. Le peuple s'était résigné dans la douleur et la tristesse au verdict de la santé. Et le monde bouleversé s'inclinait devant l'évidence : le grand homme qu'il admirait et respectait était devenu sénile … Certains se réjouissaient, même, un sauveur était arrivé au chevet de la patrie !

Alors qu'en fait, il s'avère aujourd'hui qu'un martyr aux facultés mentales intactes venait d'être emmuré vivant, pris dans un piège diabolique digne de Béria et Himmler réunis devant lesquels Machiavel apparaîtrait comme un Petit Poucet. Il aurait suffi pourtant, eu égard à son âge, de réserver au père de l'Indépendance une résidence digne de son rang, à la hauteur de ses sacrifices sans haine ni persécution.

Maints citoyens avaient tenté de mettre fin à son calvaire, en lançant des appels pressants à des sommités internationales, vainement l'étau ne s'est jamais desserré.

Et le reclus de Monastir devait entrer indéfiniment  dans l'univers de la renaissance des souvenirs. Que de fois avait-il dû ressasser sa magnifique épopée, débutée en 1932 puis le 2 Mars 1934 dans la ville  de Ksar Helal avec la fondation du Néo- Destour, ses périples incessants à travers le pays dans la «zarga», sa voiture du même azur que son regard magnétique subjuguant les foules fidèles à jamais. Entendait-il encore, l'écho du galop de ces cavaliers Zlass, H'mmama et Frechiche accourus à sa rencontre qu'il évoquait avec émotion dans certaines de ses lettres parues dans la «Tunisie et la France» «Ils étaient si beaux sur leurs chevaux nerveux que je songeais que les ancêtres de ses hommes on porté la puissance de l'Islam jusqu'aux contreforts des Pyrénées et celle de l'Ifriqia jusqu'aux sources de l'Euphrate» Rappelant la gloire des Aghlabides, Fatimides, des Hafsides, sans omettre Massinissa, Jughurta et Hannibal, entre autres, Bourguiba devait conclure :
«Quand un peuple a cela dans son histoire, il est ridicule de penser qu'il puisse accepter la servitude perpétuelle».

A ses lignes prophétiques écrites dans une sombre chambre de son exil à la Galite en 1953, concrétisée tout au long de la lutte pour la dignité, le 17 décembre dernier, le jeune Mohammed Bouazizi, devait en illustrer l'ultime sacrifice, déclenchant le sursaut salvateur de la patrie contre l'oppression.

Que d'images devaient défiler … Une longue route pavée d'emprisonnement, déjà.De trahison, déjà. Mais aussi de moments exaltants : le retour  triomphal du 1er juin 1955, le jour de la signature du Protocole de l'Indépendance du 20 mars 1956 auxquels il avait pris part, à la virgule près, les cris de ralliement de son peuple avec lequel il était en entière osmose et qui jaillissaient sur son passage du tréfonds du coeur.

Puis la construction de la Tunisie nouvelle, la promulgation du Code du statut personnel (CSP) qui était « sa chose», la sublimation de ses sentiments d'équité et d'amour envers tous ses enfants. Son implication totale dans la Révolution algérienne en dépit des risques et périls … Le douloureux événement de Sakiet Sidi Youssef, transformé par son génie politique en une victoire sur le colonialisme. Remada, Bizerte et leurs héros...Son discours de Jéricho dont les échos perdurent jusqu'à ce jour, vainement...

Mais son souvenir le plus lancinant ne devait -il pas être l'aube fatale de sa destitution … L'aube, effroi des condamnés … La nuit qui se termine tandis que s'élève la lumière de l'au revoir ou de l'adieu … Heure d'héroïsme pour tous les martyrs tombés au champ d'honneur du Sedjoumi aux cris de Bourguiba et de la Tunisie.

En ce jour fatidique un coup d'Etat venait d'avoir lieu, recouvert de l'ignominie d'un acte médical qui s'avère incontestablement caduc.

Durant ces longues années ont-ils dormi tranquilles sachant avoir assassiné moralement un homme exceptionnel ? N'ont-ils jamais craint le jugement de Dieu, de l'Humanité et de l'Histoire ?

Malgré eux et en dépit d'une amnésie imposée, Bourguiba est toujours en nous. Le 5 mars dernier, lors d'une manifestation à la coupole, une citoyenne, le portrait du père de l'indépendance à la main, avait souhaité qu'il partageât la joie de son peuple en cette nouvelle espérance. Ce furent de longs instants d'intenses émotions, chacun, certaines venus de la Kasbah, tenaient à embrasser le visage inoublié tandis que les flashes des téléphones mobiles claquaient comme autant de feux d'artifice. En ce 6 avril 2011 la patrie se recueille et se souvient. Elle ne peut oublier l'indignité de la cérémonie des funérailles, ce drapeau fripé, ces quelques fleurs fanées jetées sur le cercueil et cette photo d’un homme vieillissant, comme s’il n’y en avait pas d’autres. La Nation quant à elle était là. citoyennes et citoyens en pleurs, des bébés au bras défilaient sans relâche. Et de partout, les plus hautes personnalités internationales arrivaient pour un dernier hommage.

En ce jour, son peuple dont il était si fier, sa jeunesse qu'il avait investie du devoir sacré de l'amour de la patrie et qui a répondu présent, inscrivant en lettres d'or son courage dans l'histoire universelle, en ce jour la Tunisie peut vivre son deuil, ses larmes de reconnaissance s 'écoulant tel un fleuve de bénédiction vers Monastir où il repose en paix.

Auteur : S.E.M.
*(Journaliste)
Ajouté le : 06-04-2011

06 avril 2013

A ce fervent hommage jailli du fond du cœur en 2011, s’impose l’évocation de l’émouvante cérémonie qui s’est tenue le 20 mars à Paris, sous l’égide et l’impulsion d’une personnalité franco-tunisienne, émérite, Bernard Delanoë, Maire de la capitale, et des membres éminents de l’Association du Souvenir de Bourguiba, présidée par Pierre Hunt, ancien ambassadeur de France à Tunis. Une foule de fidèles était présente au dévoilement du buste présidentiel, criant la perennité de sa reconnaissance, entourant les proches du Président, ayant à leur tête le Professeur Amor Chadli, Président d’Honneur de l’Institut des Etudes Bourguibiennes Rehaussée par la participation de hauts dignitaires de pays frères et amis, la fête de l’Indépendance a donc vécu à Paris un anniversaire hors du commun.

Trois jours auparavant, applaudi à tout rompre par un parterre de spectateurs enthousiastes et émus, le grand monsieur qu’est Raja Farhat, a ressuscité avec un talent rare, Bourguiba et le bourguibisme. Et ce, dans un souci de recherche (réel travail d’Hercule) de vérité et d’intégrité intellectuelle, dignes de toute notre admiration et reconnaissance.

Bourguiba sénile? Outre les faux témoignages mis en place pour sa destitution aujourd'hui dévoilés un document exceptionnel de la plume d'un homme exceptionnel édité par le mensuel "Leaders" vient de provoquer parmi le peuple Tunisien et aussi dans le monde un raz de marée d'émotion et de colère de n'avoir pas su déceler à temps l'horrible machination de novembre 1987.

Un président qui méritait fidélité et loyauté se débattait seul, face à un ennemi impitoyable dont il savait par expérience n'attendre de sa part aucune concession.

C'est donc pour l'Histoire et pour son peuple que Bourguiba a rédigé cette requête du 2 février 1990 adressé au Procureur Général de la République de Monastir.

En reprenant sa toge d'avocat il  a démystifié le vrai visage des usurpateurs et donné ainsi et de sa propre écriture un flagrant démenti de son incapacité mentale.

Durant de longues années nous avions lancé des appels à tous les amis étrangers proche des sphères présidentielles de différents pays, pour une vie moins liberticide du président vainement. Je ne citerai que Jean Daniel ami de Bourguiba et de la Tunisie qui avait bien voulu être notre messager auprès du Gouvernement Français. Lors de sa visite en 1991, un an après la requête, il avait transmis à Ben Ali un message réitéré de clémence en faveur de Bourguiba de la part de François Mitterand. Ses péripéties Daniel ne les  évoque pas dans son livre, " La blessure" Il décrit seulement le stratagème employé par le Président pour lui faire comprendre ses malheurs. Je cite quelques passages : " Monsieur le Président ne manquez - vous de rien ? " Il fronce le sourcil, puis finit par dire que non. Changeant de sujet  il interroge Jean Daniel au sujet d'une lettre qu'il lui aurai écrite ( jamais reçue). " Les noms des rues de Paris dit-il m'ont toujours enchanté ainsi la rue de l'Estrapade. Allez-y et pensez à moi", Estrapade signifiant supplice....

Tel était le Président déchu de ses droits pour sénilité à la suite d'un coup d'Etat caduc au sujet duquel nous espérons qu'un aréopage d'avocats d'élite saura rendre promptement son avis juridique.

Au sein des plus grandes nations au monde les héros demeurent sur leur piédestal pour l’éternité : en Turquie, jusqu’à ce jour le portrait d’Ataturk domine dans les lieux présidentiels les administrations et au coin de chaque rue.

Alors qu’en Tunisie certains grincheux ou mal intentionnés s’efforcent depuis deux décennies de recouvrir l’œuvre de Bourguiba de la poussière de l’oubli – espérant, quelle dérision – l’ôter de nos mémoires ! 
Ainsi la France des Droits de l’Homme et de la Fraternité a réservé sur son sol une place de choix à celui qui l’a combattu sans haine et sans jamais désespérer des valeurs universelles qui lui sont inhérentes.

Ainsi, notre Président bien-aimé dont le buste altier domine l’esplanade éponyme de calme et de verdure est dorénavant bercé par les murmures de la Seine éternelle. Il dialogue aujourd’hui avec tous les grands penseurs qui ont imprégné sa jeunesse estudiantine, en un tissage des deux cultures, où la générosité de l’Islam s’allie à la vertu hugolienne et à la fière démesure d’Al Moutanabi.

Ô vous qui passez, peuple de France et d’ailleurs, réservez une pensée à cet immense humaniste, à ce génie politique dont les échos perdurent dans le monde. Un réformateur courageux, représentant d’un petit pays auquel était réservé un accueil international digne des plus grands. Un patriote, portant en lui, dans chaque fibre de son être, sa patrie et son peuple, acceptant les aléas de la prison et de l’exil tout en restant fidèle aux valeurs sacrées de l’amour de son prochain.

Il est la Tunisie d’hier et de demain, l’homme aux principes immuables de justice et d’égalité, et de tolérance : une main tendue à tous mais intransigeant à jamais quant à son indépendance.

Il ne se trouve ni à Monastir ni à Paris, Bourguiba est en nous pour toujours.

En cet anniversaire de tristesse, nous renouvelons notre serment d’être à la hauteur du sacrifice de nos martyrs, de la grandeur de notre nation et de la confiance illimitée qu’il a mise en nous en offrant au peuple tunisien un pays moderne, à la générosité légendaire, et à la fierté incommensurable d’être tunisien.
Que Dieu te bénisse Bourguiba le Grand.

Saida Maherzi Ghariany
*(Journaliste)