Questions à ... - 11.03.2013

Neuf questions au pape de la postmodernité, Michel Maffesoli

«La Tunisie, expression basique de la Postmodernité, ou la revanche des valeurs du Sud»
 

«En Tunisie, on a une expression de ce qu'est la postmodernité dans ce qu'elle a de basique» 

Que vous inspire l'effervescence tunisienne, cet affoulement débridé pour employer un de vos savoureux néologismes qui épiphanisent le génie français ?

Il faut être clair : je ne suis pas connaisseur de la Tunisie. J'ai toujours un peu peur, pour tout dire, des intellectuels français qui ont la réponse de tout sur tout et qui parce qu'ils sont allés dans un pays peuvent en parler. Moi, d'une part, cela fait déjà un moment que je ne suis pas allé en Tunisie; et d'autre part, je pense que c'est aux intellectuels tunisiens qui ont à donner leur sentiment sur ce qui se passe dans leur pays. Moi, je peux vous parler de ce qui se passe en France ou à d'autres endroits où je vais souvent. Je suis prudent.

Alors, ce que je peux dire, avec cette nuance que je viens de dire et sur laquelle j'insiste bien, c'est que, comme cela, vu d'un point de vue extérieur, et presque en tant que voyeur, pour nous, c'est intéressant de voir comment, en quelque sorte, il y a, en effet, dans le sens durkheimien du terme, cette effervescence en Tunisie; premièrement.

Deuxièmement, que cette effervescence qui est apparemment ambiguë, quand même, puisqu'on ne sait pas exactement où elle est en train de se diriger, mais ce qui est certain, c'est que cette effervescence n'a pas été programmée par des partis politiques, elle n'a pas été programmée à partir d'un programme extérieur, par des intellectuels, etc., mais qui, en quelque sorte, jaillirait du corps social lui-même. Alors là, de ce point de vue, moi je dois avouer que c'est une espèce d'illustration de mes équations à moi, c'est-à-dire le fait, ce que j'appelle toujours, et en tout cas dans mes premiers livres, la puissance sociétale.

Voilà d'une manière un peu vague et un peu générale ce que je peux dire, c'est-à-dire que — mais c'est à vous de corriger, de nuancer, de compléter — ce serait là une illustration du fait que très précisément, au-delà peut-être des grandes catégories qui ont marqué la Modernité, on a là une expression véritablement de ce qu'est la postmodernité dans ce qu'elle a, je dirais, de basique : une éruption, un choc de plaques tectoniques. Et de ce point de vue, c'est une bonne illustration de la postmodernité; avec les nuances que j'ai dites. J'y insiste beaucoup, car j'ai connu trop d'amis et de collègues qui, encore une fois, donnaient des leçons au monde entier après avoir été quinze jours à tel ou tel endroit.  

«Il y a dans le monde un retour du phénomène religieux»

Le désenchantement du monde, tare de la Modernité, a été l'oubli du spirituel, sa négation même; or, il fait un retour spectaculaire en Tunisie, comme en postmodernité, plus généralement, sous la forme du droit au sacré, un droit à l'islam. Qu'est-ce que cela vous inspire ?

Je conseille d'abord de lire quelques pages de Science de l'homme et tradition de Gilbert Durand, et en particulier un chapitre que je suis en train de lire sur l'islam, sur ce qu'il appelle homo orientalis. Ce que je peux dire sur ce point, c'est que ce qui avait été une des caractéristiques de la Modernité, c'est qu'elle avait cru qu'il était possible, un peu dans une perspective très dialectique qui était la marque de cette tradition occidentale, de dépasser le fait religieux. On voit comment — et cela peut se dater d'une manière assez précise dès le 18e siècle, dans l'impulsion, on va dire voltairienne, en quelque sorte, et puis tout au long du 19e siècle, des grands systèmes sociaux, et en particulier bien sûr le marxisme, la religion étant l'opium du peuple..., on a des quantités de théorisations ou d'explicitations en ce sens.

Une des spécificités de ce 20e siècle, pour moi, encore une fois cette postmodernité naissante, c'est que le phénomène religieux, dans le sens fort du terme, pas le fanatisme bien sûr, est en train de retrouver une indéniable vigueur. Et cela d'ailleurs, soyons clairs, on va le retrouver aussi ailleurs, en Amérique latine, par exemple; moi je vais le voir aussi bien en extrême Orient, dans les pays où je vais, en Corée, au Japon, et bien sûr certainement aussi en Tunisie. Il y a retour du phénomène religieux — car moi je préfère dire cela, et c'est la même chose que de dire l'islam, que je ne connais pas assez pour pouvoir en parler. Il y a donc, d'une manière générale, ce retour du phénomène religieux.

Là encore, en référence à ce que je disais dans ma première remarque, c'est ambigu. Dès le moment où ça revient, qu'il y a — pourrait-on dire presque — ce retour du refoulé, cela peut prendre aussi la forme du fanatisme, et on voit bien comment c'est un des dangers possibles qui risquent d'arriver en Tunisie.

Mais moi, personnellement, je n'ai pas véritablement peur de ce fanatisme. Je ne sais pas ce que représente le parti au pouvoir actuellement. On entend, et d'après ce que la presse nous en rapporte, on voit qu'il y a bien en Tunisie des expressions de ce fanatisme ici ou là. Mais, d'une certaine manière, je crois que, comme il y a cette ouverture sur le monde, encore une fois par le biais du développement technologique, des moyens de communications interactives, Internet en la matière pour ne pas le nommer, tout ce que sont ces nouvelles technologies, cela fait que d'une certaine manière la crispation fanatique n'est pas forcément, en tout cas sur le moyen terme, quelque chose de dangereux. Voilà.

Donc, si je résume en deux mots : oui, on ne peut pas évacuer ce retour du sacré, ce que j'ai appelé le réenchantement du monde; ce n'est pas autre chose, le réenchantement du monde ! Et comme dans tous les autres pays, la Tunisie n'échappera pas à ce retour du sacré. Après, cela va être encore aux Tunisiens — et je reviens sur ce leitmotiv — à savoir gérer ça ! Il va falloir, encore une fois, aux intellectuels de savoir gérer cela. Et c'est votre travail à vous !

«D'un point de vue théorique, obligatoirement, les frontières vont s'ouvrir»

Une des marques postmodernes indéniables est dans le nomadisme, ce vagabondage initiatique. Je milite auprès des Européens pour l'initiation démocratique de la Tunisie dans le cadre d'un espace méditerranéen de démocratie incluant, pour le moins, la libre circulation des Tunisiens moyennant un visa biométrique de circulation respectueux des réquisits sécuritaires tout en étant enfin conforme au droit et à l'éthique. Partagez-vous ma façon de voir?

Je n'ai pas de compétence sur le visa. De toute façon, puisque j'avais écrit, en son temps, un livre qui s'appelait «Du nomadisme» où je montrais l'importance de la circulation qui existait avant les fermetures des frontières;et la Modernité, c'est la fermeture des frontières! Par la force des choses, là encore, je ne veux pas être idéaliste, mais, à mon avis, il y aura une nouvelle circulation.

Encore une fois, revenons à ce que je disais il y a un instant, parce que tout simplement internet est là, parce qu'il y a déjà circulation, ce que Stéphane Hugon appelle circumnavigation. Comme déjà on surfe sur internet, cela aura pour conséquence également cette ouverture des frontières.

Alors après, techniquement, moi je n'ai pas de compétences pour en parler. Si vous, puisque vous aviez eu une carrière diplomatique, vous proposez ce que vous venez de proposer, je suppose que c'est rationnel et que c'est sensé. Là dessus, je ne peux que vous dire moi un avis d'un point de vue théorique.

D'un point de vue théorique, obligatoirement, ces frontières vont s'ouvrir. Je ne veux pas jouer au prophète, mais, de fait, on ne peut pas résister à ce qu'est cette pression de circulation qui va se faire un peu partout de par le monde, et pas uniquement dans le Maghreb. Il suffit de voir le nombre de jeunes qui actuellement voyagent, changent de pays, et tout à l'avenant. Ce sont là des indices importants en faveur de cette circulation, le nouveau commerce.

Ne pensez-vous pas que pour cela le préalable nécessaire est que les gourous de la finance internationale comprennent que leurs intérêts véritables sont dans la circulation et comprennent que le commerce n'est pas que celui des marchandises?

En français, il y a de belles expressions qu'on a un peu oubliées en France, où le commerce a été réduit au commerce des biens; or, existe le commerce des idées, et même existe le commerce amoureux, c'est-à-dire la science des affects. Voilà, pour moi, ce qui me paraît être en jeu.

Pour l'immédiat, c'est en train de se développer en Europe; c'est-à-dire que, grâce à Erasmus, grâce à des mécanismes de cet ordre et par la force des choses, ça circule actuellement ! Et donc, on ne peut pas réduire ce commerce uniquement à sa dimension économique, il est bien plus culturel dans le sens large et fort du mot culture; et donc je le vois un peu partout.

Je suis frappé de voir comment, si je prends l'exemple que je connais, nombre de Français, d'ailleurs d'une manière qui est parfois très difficile, s'expatrient. Par exemple, je vois comment tel ou tel de jeunes que je connais qui vont s'expatrier en Corée par exemple ou partir, comme cet architecte avec qui je discutais hier, s'établir à Sao Paulo ; il y a un brassage actuellement. Et je donne ces petits exemples qui sont minuscules pour dire qu'on va les retrouver aux quatre coins du monde et qu'on ne peut pas réduire la circulation à la sphère économique.

«Le rapport au sacré va mettre l'accent sur une religiosité populaire qui n'est pas le fait d'élites surplombantes»

On a pu vous présenter comme étant le plus mystique des sociologues. Or, vu de l'intérieur du monde musulman, je crois que le soufisme, éminent mysticisme islamique, ayant influencé la Kabbale et le mysticisme occidental, est à la base du retour du sacré en terre arabe musulmane. De l'extérieur, voyez-vous la même chose?

Comme je l'ai dit au début, je veux être prudent Je ne connais pas le mysticisme islamique. Il se trouve qu'il y a eu sous ma direction une thèse du Tunisien Imed Melliti sur les confréries soufies. Moi, j'ai lu cette thèse, mais je ne suis pas spécialiste du soufisme.

Ce que je peux dire et encore à ma manière, c'est-à-dire d'une manière assez générale, c'est que je vois bien comment ce que j'ai appelé le sacré, le rapport au sacré, va mettre l'accent sur, disons une religion, car je préfère dire une religiosité populaire, qui n'est pas simplement le fait d'élites religieuses surplombantes, mais qui va s'exprimer à partir de ce qu'est la vie de tous les jours, la vie quotidienne.

Ce que j'en sais et je l'avais vu en Tunisie avec la thèse de Melliti, et une de mes collègues marocaines m'en avait parlé aussi pour son pays (mais pour l'Algérie je n'en sais rien); ce que j'en sais donc, c'est qu'on voit bien la vivacité de ces confréries. Et encore une fois, par rapport à mes équations sur la postmodernité, cela ne m'étonne pas.

Au-delà de ce qui serait un islam rigidifié et peut-être un islam bureaucratisé, le retour ou le recours à ces formes de base populaires de la religiosité ne peut que se développer. Après, appliquez-le, si vous vous y connaissez davantage, à ce qu'est le soufisme. Mais, cela ne m'étonne; c'est manifestement quelque chose qui ne peut que se développer à mon avis.  

«Avec la postmodernité, il y a revanche des valeurs du Sud»

J'ai la prétention de croire que la postmodernité n'est pas affaire d'Occident, qu'elle est bel et bien, aujourd'hui, effective dans les pays du Sud, en Tunisie particulièrement. Me suivriez-vous dans une telle affirmation?  

C'est possible; c'est une de mes hypothèses, comme toujours, faite d'une manière un peu provocatrice. J'avais dit qu'on allait assister à la revanche des valeurs du Sud. C'est-à-dire qu'autant la Modernité s'était élaborée, dans le fond, sur le modèle anglo-saxon... c'est ce qui a eu lieu, soyons clairs ! Il suffit de voir un peu ce qu'est l'analyse de Max Weber dans l'éthique protestante et l'esprit du capitalisme pour réaliser, en quelque sorte, que c'est à partir de là que cela va se faire..., autant, à mon avis, il y a retour vers le pourtour méditerranéen. Alors, cela va être le sud de l'Europe et le nord de l'Afrique.

Donc, de ce point de vue, ce mode de vie, ce quelque chose où la socialité de base — et qu'est-ce que la postmodernité, sinon cela ? —, soit le voisinage, la convivialité, le plaisir d'être ensemble, va retrouver également une force indéniable; le moment où toutes ces catégories qu'on avait laissées de côté dans le modèle anglo-saxon, c'est-à-dire la dimension onirique, la dimension imaginaire du monde, tout cela aussi va vivifier le corps social.

Voilà ce que je peux dire moi : il y a revanche des valeurs du Sud ! Dans le fond, autour du pourtour méditerranéen, il est possible que ce soit là le laboratoire de la postmodernité, comme on a pu le dire pour le Brésil où on trouve des valeurs qui sont semblables à celles qu'on doit trouver en Tunisie. Moi, je fais une équation générale; après, c'est aux intellectuels tunisiens à voir comment concrètement cela peut se jouer.

« Pour un intellectuel organique, étroitement lié à la culture de son milieu »

Je trouve nos intellectuels encore par trop européocentristes, ce qui ne fait qu'alimenter la dérive vers un obscurantisme qu'appelle le côté obscur de plus en plus évident avec le déclin de l'Occident. Je dis que nos intellectuels, aussi bien traditionalistes que dits modernistes, se doivent de réaliser leur propre révolution sur soi, une révolution mentale qu'impose la postmodernité. Et je crois que votre pensée ne peut qu'y aider avantageusement.

C'est ce que j'ai pu comprendre vaguement, parce qu'il y a longtemps que je ne suis pas allé en Tunisie. Pour bien en parler, il aurait fallu que j'y retourne plus souvent; il y a deux ans, je devais y aller et cela n'a pas pu se faire. Cela fait un trop long moment où j'ai été coupé de la discussion; il aurait fallu revenir en Tunisie pour que je puisse l'avoir concreto modo.

Vu un peu de l'extérieur, il y avait des intellectuels qui étaient trop eurocentrés, qui avaient, encore une fois, en tête le modèle européen; et en contrecoup, il y avait des intellectuels qui devenaient des islamistes. Voilà, c'est un peu, je dirais, deux figures qui se regardent en chiens de faïence.

Il faut revenir à une belle idée, dont je parle d'ailleurs dans un petit livre que je suis en train d'écrire sur le rôle de l'intelligentsia : l'idée de Gramsci de l'intellectuel organique. Cette idée de l'intellectuel organique, d'après Gramsci, c'est celle d'un intellectuel qui est étroitement lié à la culture d'un milieu. Il faut participer à cette élaboration de cet intellectuel organique. Mais je comprends la difficulté. Cela ne va pas être facile.

«On ne peut plus imposer aux peuples, d'une manière abstraite et verticale, une interprétation de la religion ou une interprétation politique»

Vous avez théorisé la distinction, devenue classique, entre le dramatique et le tragique. On est en plein tragique en Tunisie, préalable pour l'avènement d'un nouveau paradigme. Vous dites aussi que la crise est nécessaire pour évoluer, et qu'elle n'est, réellement, que dans nos têtes. Comme supputez-vous, vu de l'extérieur, les chances de cette bascule de la fin d'un ordre vers un ordre nouveau dont le peuple, bien plus que ses élites, a la plus grande faim?

Il est difficile de répondre. Ce que je peux vous dire, c'est qu'il s'agit d'un processus inéluctable. Il y aura certainement des blocages encore, par exemple du fanatisme islamique, tout comme il peut y avoir, en Europe, des blocages, des fanatismes de gauche, marxistes ou partisans. Mais, je pense que la grande tendance va être, quand même, et surtout ce que j'appelle le triomphe de la socialité. Le propre de la socialité, c'est celle — je dirais presque —du bon sens populaire. Il me semble que ce bon sens populaire va triompher.

Mais, moi, je ne suis pas géopoliticien, je ne suis pas politicien, non plus; ma position est une position un peu et simplement théorique. Vu de l'extérieur, c'est quelque chose qui indique une grande tendance, d'ailleurs pas qu'une une tendance de la Tunisie.

Je ne m'intéresse pas aux pays, je m'intéresse à l'esprit du temps, le zeitgeist, c'est cela l'imaginaire. Dans cet esprit du temps, développement technologique aidant et donc épidémiologie se développant, on ne peut plus imposer aux peuples d'une manière abstraite et d'une manière verticale, une interprétation de la religion comme une interprétation politique. D'où les explosions. D'où le fait que de temps en temps, ça pète, pour le dire un peu vulgairement. Oui, il me semble que cela va contaminer; continuez à contaminer !

«Le rapport au sacré dans le pourtour méditerranéen redevient l'expression d'une religion populaire enracinée dans une culture quotidienne»

Votre dieu préféré dans la mythologie est Dionysos, Dieu chtonien par excellence, mettant à l'honneur la fête et la sensualité. Or, le peuple tunisien aime vivre et une des marques essentielles de sa nature reste son hédonisme. Je trouve que ce trait éminemment postmoderne est un des atouts pour la réussite de la transfiguration du politique et du religieux en Tunisie marquée par un fonds soufi qui magnifie une spiritualité non dénuée de sensualité. Que dit à ce propos l'auteur de l'homo eroticus?

C'est ce que j'appelle la revanche des valeurs du Sud, par opposition — je dirais — à ce qu'était l'ascétisme anglo-saxon, pour rester dans une perspective wéberienne; une bonne partie de cela est cet hédonisme. Et pour moi, c'est ça aussi la postmodernité; je ne dirais pas la seule caractéristique; en tout cas, c'est une des caractéristiques des plaisirs de cette terre-ci; c'est cela la formule dionysiaque. Avec prudence, ce que j'ai cru voir du mode de vie tunisien, c'est qu'il y avait cet hédonisme, même si je préfère parler personnellement de cette culture du pourtour méditerranéen. Je n'ai pas envie de l'isoler, parler de la Tunisie, de l'Italie ou de l'Espagne.

Sur ce pourtour, il y a une culture, des éléments communs; et cette culture méditerranéenne a été brimée, a été bridée, a été dominée par le modèle anglo-saxon; et il est en train de prendre sa revanche. C'est dans cette perspective-là qu'il faut situer ce qu'est la place spécifique de la Tunisie.

Je ne connais pas assez le soufisme pour en parler, je le dis franchement, et ce ne serait pas honnête de ma part d'en parler ici. Ce que je peux dire c'est, si ce que vous appelez soufisme est une expression d'une religion populaire enracinée dans une culture quotidienne, ce que je peux dire c'est que c'est ce genre de religiosité — ou de rapport au sacré, car c'est la religiosité — qui me paraît être la tendance dominante de la postmodernité. Voilà, c'est ce que je peux dire. De fait, cela ne peut que se développer, si donc ce que vous appelez soufisme traduit, cristallise — si je le dis à la manière de Stendhal — les valeurs populaires.

Vous voyez, je ne peux que faire une équation; je suis un vieux savant; je ne suis pas spécialiste de l'islam ni de la Tunisie. Ce que je peux dire c'est que l'islam (ou la Tunisie) ne sera pas indemne de cette tendance où il y a retour à des valeurs populaires; et en particulier à une religion populaire.

Voyez, si je prends un exemple : ce que je vois en France, à titre d'illustration, il y a eu une espèce d'abstraction du catholicisme, du christianisme, dans des formes très intellectuelles, et qui ne marchent pas; ce qui fait que ça vide les églises. Par contre, vous voyez se développer les cultes populaires autour des saints, des pèlerinages, etc.; il y a, je dirais, une expression de l'émotivité populaire. Et donc, transposant l'image, je pense que quelque chose de cet ordre peut s'observer en Tunisie autour de ces cultes populaires. Mais cela, c'est plutôt à vous de me le dire plus qu'à moi !

Propos recueillis par Farhat OTHMAN

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