News - 10.02.2013

Pour Ghannouchi, Chokri Belaïd, Lotfi Naqedh et Lotfi Kallel: un même assassinat

Rached Ghannouchi est en mode « apaisement et rassemblement » après le séisme politique provoqué par le meurtre de Chokri Belaid et l’initiative de Hamadi Jebali. Intervenant samedi matin à Gammarth, à la tribune du Centre Islam & Démocratie (fondé par Radwan Masmoudi à Washington), il n’en a épargné aucun signe : dénonciation du «lâche assassinat du militant Chokri Belaïd », récitation de la fatiha à sa mémoire et celles « des autres victimes assassinées Lotfi Naqedh, Lotfi Kallel et Lotfi Ezzar », démenti de tout soupçon de responsabilité porté contre son parti Ennahdha et lui-même dans le meurtre de Belaïd, condamnation de la violence, versets coraniques à l’appui, rejet des actes de vandalisme et appel à « la reconnaissance de tous par tous ». 

Pendant plus de 45 minutes, dans une conférence-débat retransmise en direct sur Al Jazeera Mubasher, il s’est employé à bien choisir ses termes pour prôner « l’indispensable réussite d’un modèle tunisien de large coalition entre séculiers et islamistes modérés ». Sans omettre de lancer au passage des fléchettes à la France, suite aux déclarations de Manuel Valls, mais aussi à « des pays étrangers et arabes qui se sentent menacés par ce modèle» et « un gouvernement profond, invisible, constitué de résidus de l’ancien régime et de contre-révolutionnaires ».
 
Pour Rached Ghannouchi, « les trois grandes familles politiques tunisiennes ont été visées par des assassinats pour jeter le trouble et la suscpiscion et déclencher la fitna : Lotfi Naqedh, destourien, Lotfi Kallel et un autre cheikh de Tabgligh, tous deux salafistes pacifistes et Chokri Belaïd, séculier. A ces trois s’ajoute le brigadier de Police, Lotfi Ezzar ». « A qui peuvent profiter des crimes ? » s’est-il demandé. « Aux résidus, et à des pays étrangers et arabes » affirme-t-il sans plus de précision.
 
Les attaques contre les mausolées, relèvent selon Ghannouchi du même stratagème. « Ce gouvernement invisible peut-il en être dédouané ? Difficile à croire, déclare-t-il. Certains les attribuent aussi à des factions salafistes qui considèrent ces mausolées comme une bidaa pour l’Islam authentique. Les présomptions sont possibles ».
 
Analysant les origines profondes de la violence qui déferle sur la Tunisie, le chef d’Ennahdha a cité « les convictions idéologiques, les engagements politiques et les considérations sociales et économiques, notamment dans les quartiers les plus défavorisés qui n’ont bénéficié en rien de la révolution ». Les fondements idéologiques et politiques sont à ses yeux les plus dangereux. « Certains partis, affirme-t-il, ont constitué des associations en bonne et due forme au titre de former des gardiens d’entreprises et les ont formés et préparés pour intervenir dans la vie politique. C’est une organisation de la violence instituée au profit des politiques. Seul l’Etat doit détenir le monopole de la violence, dans le respect de la loi ».
 
Ghannouchi poursuit son plaidoyer contre la violence organisée, sans pointer du doigt ni ses auteurs, ni ses commanditaires, dément toute implication d’Ennahdha et appelle à la vigilance et au rassemblement. Il reviendra longuement sur la tolérance de l’Islam, son respect des libertés et ses valeurs consensuelles, avant d’indiquer que « diverses formations islamistes, notamment Ennahdha depuis 1981, avaient procédé à la révisions de leurs références et thèses, en espérant que d’autres partis de gauche fassent de même ».
 
Sa conclusion est de « tout faire pour éviter une confrontation entre séculiers et islamistes, œuvrer pour leur coexistence, éradiquer les fondements de la violence et resserrer les liens de l’unité nationale. » Une profession de foi mise au goût du jour ou un nouvel engagement ?
 
Quand, à la fin de la conférence, des journalistes lui demandent concrètement s’il appuie l’initiative de Hamadi Jebali de s’affranchir des partis pour constituer un gouvernement de non-politiques, il persistera dans une énigmatique réponse : « c’est à l’étude ! »