News - 03.02.2013

Remaniement: encore un effort, M. Jebali!

En  décidant de remanier son gouvernement, Hamadi Jebali  était sans doute à mille lieues de penser qu’il allait s’embarquer dans une aventure à l’issue incertaine. Prévue pour ce mardi, après  quatre mois de tractations, l’annonce de la nouvelle formation  sera, pour la énième fois,  repoussée au prochain week end. Malgré quatre mois de tractations, rien ne permet d’exclure un nouveau report. Sauf que, cette fois-ci, les deux partenaires d’Ennahdha menacent de quitter  la troika, si leurs exigences  ne sont pas satisfaites, et s'invitent dans le débat interne du parti islamiste en prenant fait et cause pour Hamadi Jebali.

On  peut aisément imaginer les risques qui peuvent en découler pour les institutions déjà fragilisées et pour la paix civile si cette menace est mise à exécution.

Comment en est-on arrivé là ?

Ennahdha  avait commencé par courtiser les partis du centre-gauche, essentiellement, El Joumhoury et El Massar. L’objectif était double : élargir la coalition gouvernementale,  et isoler Nida Tounès avec lequel les deux partis étaient  en pourparlers très avancés pour la création d’un front  commun. Rached Ghannouchi  est allé jusqu’à proposer au leader d’El Joumhoury  le portefeuille des affaires étrangères au risque de s’aliéner ses deux partenaire de la troika auxquels il avait refusé ce poste, sous prétexte que les ministères régaliens sont du ressort d’Ennahdha. Peine perdue. Chebbi  a expliqué à son interlocuteur qu’il n’était  pas tant intéressé par un portefeuille ministériel  aussi prestigieux soit-il que par une feuille de route. Celle-ci devant comporter des engagements clairs sur le programme économique et social du gouvernement, sur la date des élections, la mise en place des hautes instances. Ne  voulant  pas en entendre parler, Ghannouchi a dû finalement se rabattre sur l’Alliance démocratique, un parti encore en construction constitué de transfuges du PDP, puis d’El Joumhoury, en offrant des portefeuilles en veux-tu, en voilà. N’ayant rencontré aucun écho auprès des états-majors, il s’est contenté d’une vulgaire opération  de débauchage avec un succès très relatif.

Une ouverture qui n'a pas fait long feu

Parallèlement, Ennahdha a engagé des pourparlers avec ses deux partenaires de la Troika. Le parti islamiste avait  commis l’erreur de traiter Ettakattol et le CPR avec condescendance, en abusant de sa position de parti dominant. Tant que ce parti avait le vent en poupe, ces deux formations s’étaient contentés d’afficher un profil bas, tout heureux d’être associés à la gestion des affaires de l’Etat malgré des scores ridicules (entre 3 et 5%) comparés à celui du parti islamiste (37%). Pendant une année, ils se sont contentés d’opiner du bonnet à chacune de ses prises position même quand elles heurtaient leurs convictions, au grand dam d’une grande partie de leurs adhérents, au point de devenir, à leur corps défendant, les principaux  pourvoyeurs des autres partis en cadres et en militants.

Passé l’état de grâce, et avec la dégradation de la situation politique, économique , sociale et sécuritaire, les deux partis ont commencé à se démarquer de leur puissant partenaire au fur et à mesure de leur chute dans les sondages. Cela a commencé  par les petites phrases, s’est poursuivi par des réactions de moins en moins équivoques sur les dérapages d’Ennahdha,  pour prendre, finalement, l’allure d’une véritable intifadha avec des menaces claires comme celles auxquelles on assiste aujourd'hui. On croit rêver quand on entend les dirigeants du CPR ou d'Ettakattol mettre en demeure leur ancien tuteur de former son gouvernement dans un délai d’une semaine, sous peine de quitter la troika, ne plus reconnaître que Hamadi Jebali comme interlocuteur dans les tractations concernant la formation du gouvernement, ce qui revient à écarter a contrario, Rached Ghannouchi. Cela donne au moins la mesure de l’évolution du CPR et surtout d’Ettakattol qui ne s’est pas distingué au cours cette année par sa combativité.

Pourtant, le principal enseignement de cette crise  ne réside ni dans l'amateurisme des dirigeants d'Ennahdha qui s'est traduit par  l’échec de ses tentatives d’ouverture, ni dans les relations conflictuelles entre ce parti et ses partenaires, mais dans ses retombées sur le fonctionnement interne de ce parti et son évolution ultérieure. Ce dernier passait pour un parti sans histoires où il n’y avait  nulle place pour les débats contradictoires, où le culte du chef n’était pas un vain mot, où on ne badinait pas avec la discipline de vote. Ses militants sont cités en exemple pour leur dévouement, leur loyalisme, leur désintéressent et voilà qu’ils s’entredéchirent, C’est le mythe d’un parti-pas-comme-les-autres qui vole en éclats.

A quand l'aggiornamento d'Ennahdha 

La démission spectaculaire de Lotfi Zitoun, les débats houleux au conseil de la Choura, les mises en cause à peine voilées par ses membres de la gestion de Hamadi Jebali, le coup de sang de ce dernier qui, se sentant visé, a préféré claquer la porte de la salle de réunion devant des journalistes médusés, tout en martelant que la formation du gouvernement est de son seul ressort. Tout cela montre que le parti a changé. Uni dans l’adversité  bien  que traversé par divers courants, il s’est divisé à l’épreuve du pouvoir entre colombes et faucons. Il s'est banalisé, humanisé, affaibli aussi. Il n'est plus indétrônable comme le prouvent les derniers sondages. 

Au risque de manier le paradoxe, cette évolution n'est pas aussi négative qu'on le croit.. C'est le signe que ce parti après une période glaciation, s'est revitalisé. Il lui reste à faire son aggiornamento, en reléguant, au magasin des vieilles lunes, des thèses éculées remontant aux années 80. Ses dirigeants ayant passé les trente dernières années en prison ou en exil, n'ont pa vu la Tunisie changer. Or, elle s'est transfigurée quoi qu'on en dise.

Le courant conservateur, majoritaire, cherche à actionner la machine à remonter le temps en dépoussiérant des thèses éculées et totalement inadaptées à la réalité.  D'autres ont pris leur parti des changements intervenus et se sont résolument tournés vers l'avenir. Hamadi Jébali serait-il le chef de file de ce courant ? C'est du moins, l'avis de Moncef Marzouki  qui a menacé de démissionner si Jebali quittait le gouvernement. Il revient donc à ce dernier  d'impulser cette tendance encore minoritaire pour que son parti épouse son temps.

Alors, encore un effort, M. Jebali. Débarrassez-vous de vos oeillères ! Ecoutez  la voix de la raison et non celle des va-t-en-guerre de votre parti. Rompez avec ceux qui, sous couvert de protection de la révolution, veulent la détruire. Cessez de diviser le pays en bons et en mauvais citoyens et de croire que seul votre parti a le monopole de l'attachement à l'islam et du patriotisme. Respectez vos adversaires politiques. Formez  ce gouvernement d'union nationale que toute la Tunisie attend, et surtout  organisez au plus vite les élections.

 Hedi