Tendance - 27.01.2013

Abdelwahab Amich : Ou la touche du maître

Comme chaque année, l’exposition internationale « Art en capital », constituée de quatre salons: Artistes Français, Artistes Indépendants, Comparaisons et Dessin et Peinture à l’eau, a réuni à Paris du 24 novembre au 2 décembre, au Grand Palais des Champs-Elysées, une pléiade  d’artistes-peintres et sculpteurs de renom venus du monde entier.

Il va s’en dire que participer à un événement artistique d’une telle envergure n’est pas à la portée de n’importe qui. La sélection y est des plus sévères et les décisions du jury définitives et sans appel.

Notre compatriote et ami Abdelwahab Amich, l’un des doyens de la peinture tunisienne, est un habitué des lieux. Ce graveur, artiste-peintre, issu de l’Ecole des Beaux-Arts de Tunis, établi en France depuis 1964,  participe à cette  manifestation tous les ans ; il a déjà  obtenu en 1993 la Médaille de bronze pour son tableau «Les Brodeuses».

Cette année, la toile exposée s’intitule «Toilette nuptiale». Elle suit, dans l’ensemble,  la même technique que les oeuvres précédentes, c’est-à-dire une composition hautement stylisée, mi-figurative mi-abstraite, où le thème développé à travers une construction en apparence géométrique, se détache grâce à une harmonie chromatique du plus bel effet.

Le tableau ne laisse personne indifférent. Si l’esthéticienne (la hennana) accroche le regard avec son gilet traditionnel (bédiya) brodé doré et son maillot (mérioul fadhila) à rayures blanches et vertes,  en revanche, la future mariée se profile derrière un voile vaporeux qui dissimule habilement sa nudité. Un lustre diffuse une lumière tamisée sur la jeune femme et sur les accessoires cosmétiques (lahlioui) et les sabots (kobkab) en argent repoussé placés à côté d’elle. A l’arrière-plan, près de la porte style Sidi Bou Saïd, de jeunes adolescentes brandissent des bougies, alors qu’au premier plan, un chat dort tranquillement. Cette savante imbrication picturale et ce jeu de lumière sous-tendent, de toute évidence, une discipline et un effort de recherche certain. Preuves de la vitalité de l’art et de la création, ils affirment l’identité mais aussi les motivations profondes  de son auteur.

En effet, «Toilette nuptiale» s’inspire de la même source que les autres toiles : à savoir le folklore  tunisien exclusivement. Si A. Amich  est communément appelé le «Fils de la Médina»,  c’est  bien à cause  de  plusieurs tableaux  significatifs comme  «Le  Joueur de luth», «Le Koutab», «Le  Tisserand», «Le Ciseleur», «Le Notaire», «Le joueur de Rebab» ou encore «La Rachidia», souvent imprégnés de cette atmosphère typique  de la Médina de Tunis avec ses rues étroites et pittoresques, ses échoppes, ses commerçants et ses artistes., alors  que d’autres œuvres, comme «Couple aux champs», «la Pêche au  thon», «Les Brodeuses »,  «Les Trois tapissières», «La Dentellière», «La Bergère», ou encore «Les Bijoutiers de Djerba», rendent  hommage  à l’artisanat et au travail manuel.

Sans vouloir contester délibérément les valeurs établies, sans jamais adhérer à un quelconque mouvement pictural, A. Amich  a créé une nouvelle approche perceptive du réel. Malgré une localisation spatiale épurée à l’extrême, une surface plane, un manque évident de profondeur, la réalité  n’est jamais trop loin et le décodage reste des plus aisés. Car, à bien regarder, l’univers du peintre n’est pas intemporel; le réel et l’imaginaire s’y mêlent et s’y rejoignent.  Malgré cette tendance à l’abstrait, malgré l’absence de perspective qui met en lumière ce côté naïf, simpliste, si caractéristique, il n’y a aucune difficulté à définir la formulation plastique de cet artiste connu aussi bien pour sa peinture que pour ses sculptures En fracturant l’ensemble livré à l’œil, il souligne dans  «Toilette nuptiale», une coexistence de connotations culturelles anciennes et modernes témoignant à la fois d’une discipline et d’une certaine  nostalgie. Or, toute culture étant une finalité qui guide nos faits et gestes dans la communauté et leur imprime le nœud relationnel caractéristique, la démarche du peintre tunisien, sa constante référence au patrimoine national, reste compréhensible. Bien qu’il soit établi à Paris depuis des décennies, il n’en est pas moins attaché à ses racines.

Faut-il le préciser ? C’est là que réside la touche du maître. Tous les tableaux réalisés jusqu’à ce jour sollicitent aussi bien l’esprit que le regard. A la différence de la poésie, la peinture  est un art qui possède l’impact visuel du pinceau, cet  art, selon le grand Léonard de Vinci,  à la fois ‘science’ et philosophie, à cause de cette ‘fenêtre de l‘âme’ qu’est l’œil «la principale voie par où notre intellect peut apprécier pleinement et magnifiquement l’œuvre infinie de la nature.»

Rafik Darragi