News - 06.01.2013

Radhi Meddeb: Remaniement, quand tu nous tiens!

Une question revient sans cesse dans les débats politiques depuis des mois, celle du remaniement ministériel. Chacun y va de son analyse, apporte se contribution à la controverse : quand ? Quelle ampleur ? Quels sont ministères concernés ? Quelle ouverture politique ? Vers quels partis périphériques ? Autant de questions qui apportent autant de réponses différentes. En mathématiques, l’analyse combinatoire nous enseigne  qu’un nombre limité de questions, ayant chacune un nombre limité de réponses peut aboutir à un nombre considérable de combinaisons possibles.  Le poète surréaliste Raymond Queneau s’en était amusé.

 Avec « Cent mille milliards de poèmes » (1961), Queneau avait offert à son lecteur la possibilité de combiner lui-même des vers en nombre limité de façon à composer des poèmes de quatorze vers très différents les uns des autres. « Cent mille milliards » est le nombre de combinaisons possibles calculé par Queneau, ce qui fournirait de la lecture à près de deux cents millions d’années (en lisant vingt-quatre heures sur vingt-quatre). 
 
Face à ces discussions infinies, je voudrais rappeler certains éléments d’actualité et faire quelques commentaires :
  1. L’idée du remaniement avait été avancée officiellement lors du congrès d’Ennahdha du mois de juillet. Le gouvernement n’avait alors que 7 mois. Tout le monde était déjà conscient de ses faiblesses et de ses limites et de la nécessité de revoir la copie.
  2. Au moment du lancement de cette idée, il restait officiellement 3 à 4 mois avant l’échéance « morale » que le monde politique et 11 des 12 partis représentés à l’ANC étaient convenus de respecter pour l’adoption d’une nouvelle constitution.
  3. Le remaniement devait également procéder au remplacement d’au moins deux ministres poids lourds, démissionnaires : celui des Finances et celui de la Réforme administrative. Il avait donc une réalité et devait répondre à une certaine urgence.
Depuis cette date, juillet 2012, bien des choses ont changé. Bien des analyses pertinentes et idées justes ont été avancées. La combinatoire de Queneau a abouti à la situation classique de la DIVERSION, que je dénonce depuis longtemps !
 
Ce serpent de mer du remaniement a un double objectif : d’abord divertir la classe politique et l’occuper à un sujet, somme toute mineur, par rapport à la rédaction de la Constitution et la nécessité de disposer d’une feuille de route crédible, consensuelle et engageante, ensuite masquer le véritable agenda des élections, beaucoup plus éloigné qu’il ne nous est régulièrement annoncé et peut être même incertain. 
 
Il est difficile d’imaginer que ce remaniement puisse aboutir à une répartition différente de la représentation politique et encore moins à un gouvernement de technocrates. La légitimité des urnes, sans cesse invoquée par Ennahdha sonne comme un rappel permanent que seuls Ennahdha et ses associés sont légitimes. Ils n’entendent en aucun cas se dessaisir de tout ou partie du pouvoir. Les « négociations » actuelles passent d’ailleurs systématiquement par Majless Echoura qui doit valider chacune des propositions du Chef du Gouvernement.
 
Mettre en place aujourd’hui une nouvelle équipe au gouvernement c’est prendre le risque d’un nouvel immobilisme pendant un minimum de trois à quatre mois, le temps que ses nouveaux membres s’imbibent des problèmes relevant de leurs responsabilités, de deux à trois mois supplémentaires pour lancer les consultations à même de leur permettre d’identifier les actions et politiques  à mettre en œuvre. Tout cela pour des élections que l’on ne cesse de nous annoncer pour l’automne 2013. Est-ce crédible ? Le temps de l’action se limiterait alors à la seule saison de l’été, traditionnellement saison creuse, correspondant aux congés annuels et au mois de Ramadan.
 
Un gouvernement de technocrates n’a pas de sens non plus. Les problèmes de la Tunisie aujourd’hui sont strictement politiques, même dans leur dimension économique et sociale. Ils exigent une vision politique et un projet de société. Les technocrates ne peuvent être qu’au service de cette vision et de ce projet.
 
Pour ne pas relever de la pure diversion et du gain de temps destiné à détourner l’attention des uns et des autres de l’absence de cette feuille de route tant réclamée par tous, un remaniement aujourd’hui, n’aurait  de sens que s’il était limité dans son ampleur et dans son ambition à quelques objectifs simples. 
 
D’abord, remplacer les Ministres ayant notoirement failli. Leur nombre est probablement de l’ordre dela demi-douzaine,
  • Ensuite, mettre les ministères de souveraineté : Intérieur, Justice et affaires étrangères en dehors des luttes partisanes, en nommant à la tête de ces départements des personnalités indépendantes, à l’image de ce qui avait été fait pour le Ministère de la Défense et qui ne semble pas avoir posé des problèmes majeurs. C’est là une condition majeure sur la voie de prochaines élections transparentes et démocratiques,
  • Ensuite encore, regrouper l’ensemble des fonctions économiques et financières sous l’autorité d’un seul Ministre, qui pourrait avoir rang de Ministre d’Etat ou de Vice Premier Ministre, afin d’assurer la coordination et la cohérence de la politique économique et financière du Gouvernement,
  • Enfin, se délester des postes de secrétaires d’Etat dont la seule justification relevait souvent du principe des quotas entre les membres de la Troïka et alléger les cabinets du Chef du gouvernement et du Président de la République pour éliminer tous ces postes de ministres délégués ou de ministres conseillers qui doublent le gouvernement et accréditent l’idée d’un gouvernement de l’ombre, sans responsabilités devant le pouvoir législatif, mais disposant de toutes les prérogatives, légalement entre les mains des Ministres en poste.
C’est à ces conditions qu’un remaniement limité pourrait avoir du sens. Il devrait avoir lieu le plus rapidement possible, relever de la seule autorité du Chef du gouvernement, se faire sur les seuls critères de l’efficacité et de la compétence et surtout redonner le pouvoir aux ministres en place et les responsabiliser sur leurs résultats et performances. En dehors de ces grandes lignes, le remaniement n’est que rumeur, manœuvre et diversion.
 
Radhi MEDDEB
Président de l’Association Action et Développement Solidaire
 

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