News - 09.12.2012

Marzouki : Un an à Carthage

Qui aurait cru que son mandat pouvait tenir sans contestation ni rupture, sans rejet populaire ou catastrophe politique tant le champ était miné et la transition  houleuse et mouvementée. Eclatement de la Troïka, désenchantement général, dépit personnel… tout était possible, et a été frôlé de près. Ce mercredi 12 décembre, Moncef Marzouki aura bouclé une année à la tête de la présidence de la République. Celui qui, dès son retour d’exil au lendemain de la chute de la dictature avait clairement annoncé ,depuis l’aéroport, sa détermination à briguer la présidence et conquérir Carthage, a finalement réalisé son ambition.

Accueilli par son prédécesseur Foued Mebazaa, il avait foulé, pour la première fois, mardi 13 décembre 2011, à 10h45, le tapis rouge déroulé dans la cour d’honneur du palais, un burnous-message fièrement porté sur les épaules, passé en revue les détachements de l’armée lui rendant les honneurs avant d’entrer au palais sceller la première passation démocratique dans l’histoire trois fois millénaire de la Tunisie. Il ne cachait pas sa grande détermination : «La Présidence ne me changera pas, c’est plutôt moi qui la changerai!» Un an après, cela s’est-il vérifié?

Les temps seront durs pour lui. Dès les premiers instants, il avait sans doute une grande appréhension à entrer dans cette «redoutable grande boîte noire» qui avait longtemps représenté la terreur et l’oppression, comme il le dira à Leaders. Il devait aussi «apprendre le métier de président de la République, et encore plus dans cette délicate phase de transition», et surtout se convertir de chef de parti d’opposition en «président de tous les Tunisiens», sans décevoir, en tenant compte de ses autres partenaires de la Troïka. Marzouki passera par au moins trois grandes périodes. La première, «celle de l’apprentissage et de l’adaptation», n’avait pas manqué de susciter des railleries, des attaques et de vives critiques, parfois justifiées, souvent dues à l’inadvertance.

Son directeur de cabinet et compagnon de lutte de plus de 10 ans, Imad Daïmi, reconnaîtra que le staff du Président avait démarré avec un handicap majeur : une équipe réduite formée de jeunes sans grande expérience de l’Administration et de la Présidence et qu’il a fallu à la fois « professionnaliser le travail et transformer rapidement cette institution pour la rendre plus proche de l’esprit de la révolution, tout en préservant ses acquis».

La deuxième période est sans doute celle qui est liée à la grande crise provoquée par l’extradition, fin juin dernier, de Baghdadi Mahmoudi et qui a failli provoquer sa démission et faire éclater la Troïka. Ceux qui connaissent de près le Président estiment que ce fut un premier tournant décisif. Marzouki s’attachera à ses attributions et s’en remettra à l’Assemblée nationale constituante, mais aussi au Tribunal administratif qui lui donnera gain de cause. Dans la foulée, son conseiller à la communication, Ayoub Massoudi, abandonne ses fonctions et rompt son obligation de réserve pour s’attaquer violemment au gouvernement et plus précisément à l’Armée et à ses chefs.

En même temps, et sur un autre registre, Marzouki réclamera avec un acharnement difficile à comprendre – et l’obtiendra – la tête du gouverneur de la Banque centrale, Mustapha Kamel Nabli. La troisième période a été déclenchée par l’attaque de l’ambassade américaine, le 14 septembre,  sur fond d’une forte tension politique à la veille de l’échéance du 23 octobre 2012.

Pouvait-il alors rester le même sans changer ? Ses attributions fixées par la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, pouvaient paraître symboliques, voire accessoires.  Etaient-elles suffisantes pour lui permettre, comme nous l’explique son conseiller politique, Aziz Krichen, « de répondre à une grande demande politique et fonctionner comme un ultime recours pour préserver la stabilité de l’Etat en donnant une impulsion politique très forte et prenant certaines initiatives pour sortir de cette transition qui commence à peser».

L’évaluation précise du parcours accompli et des mutations intervenues tout au long de cette année qui s’écoule à Carthage est difficile à établir pour le moment. Un bilan d’étape, nous dit-on, sera dressé par le Président lui-même, à la veille de cet anniversaire. Le premier ? Au rythme actuel de l’avancement de la Constituante, les élections risquent de ne se dérouler que d’ici l’automne prochain. Avec les exigences de la proclamation des résultats et de l’investiture, le locataire actuel de Carthage sera alors en poste pour un an encore. Comment sera alors cette deuxième année de Marzouki à la présidence de la République ? Difficile à pronostiquer. Il faudra tout de même maîtriser un tempérament de feu et faire un  peu plus dans la sobriété.

Mais d’ores et déjà, une première lecture de l’année écoulée est possible. Pour constituer ce dossier, Leaders a interviewé Moncef Marzouki pour lui demander ce qui a changé en lui. Nous avons également interrogé ses principaux collaborateurs, sur leurs rapports avec lui et le fonctionnement de la Présidence, enquêté sur la composition du cabinet et son mode opératoire et essayé de comprendre la nouvelle logique qui gouverne cette institution.

Taoufik Habaieb
Reportage photo: Mohamed Hammi

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