Opinions - 08.12.2012

La confrontation entre l'UGTT et Ennahdha : l'issue fatale

De guerre en dentelles, la confrontation entre Ennahda et l’UGTT  tourne à la guerre de tranchées. Ce n’est évidemment pas la première fois que l’UGTT provoque le courroux  de ceux qui gouvernent. Par contre, c’est bien la première fois où le conflit n’est pas géré directement  par le gouvernement en place, mais par le parti politique dont le gouvernement est l’émanation. Ceux qui crient à la politisation de la centrale syndicale sont donc les premiers responsables de cette situation en se substituant de force à l’interlocuteur normal de l’UGTT qu’est le gouvernement.
 
En vérité, les partis politiques de tendance islamiste ont toujours considéré l’UGTT comme un nid de « gauchistes » et un bastion de laïques. A tort ou à raison, la centrale syndicale constitue pour eux le dernier obstacle à une islamisation forcée de la société tunisienne. Cette lecture des choses les poussent à abattre la centrale syndicale faute d’avoir réussi à l’envahir ou  à la domestiquer. Pour des raisons différentes, Bourguiba n’a pas cessé en son temps de tendre vers le même objectif, d’où la scission « provoquée » de 1956 ou les révolutions de palais qui ont émaillé la vie de la centrale syndicale au cours des deux décennies qui suivirent. Les conseillers de Ben Ali se montrèrent plus cyniques en inventant le Pacte national de 1989 de triste mémoire dans le seul but d’étouffer l’UGTT. Avertie pourtant, l’opposition politique d’alors, islamistes compris, laissa faire, d’où certaines méfiances et rancoeurs qui persistent encore aujourd’hui.    
 
De quoi parle-t-on véritablement en évoquant la politisation de l’UGTT ? Les négociations salariales sont bien politiques, les rapports du travail aussi. La défense du pouvoir d’achat des salariés et des retraités est bien politique, la défense de l’emploi aussi. De ce point de vue, l’UGTT  est parfaitement dans son rôle de « faire de la politique ». Mais si on entend par faire de la politique, l’intrusion dans les élections ou la participation au gouvernement, alors là oui, l’UGTT aurait fait de la politique. A ma connaissance, l’UGTT n’a pas franchi le pas, ou n’a pas voulu le franchir, malgré les sollicitations du pouvoir lui-même. Simplement, cette vérité est cachée sciemment aux sympathisants et militants dans le seul dessein de les lancer en meute contre la centrale syndicale.
 
On pourrait reprocher mille choses aux syndicats et aux syndicalistes, certains syndicalistes s’en sont chargés d’ailleurs, mais la défense de l’institution qu’est UGTT s’impose à tous, y compris aux sympathisants des courants islamistes. A cela au moins trois raisons. La première est que la démocratie, pour peu que l’on soit sincère à cet sujet, a un pendant naturel sur le plan social : la tempérance qu’introduit la politique contractuelle. Sans syndicats forts et représentatifs, la politique contractuelle ne peut pas fonctionner, encore moins exister. La seconde raison  est que la réussite du processus démocratique est largement dépendante de notre capacité à relancer la machine économique et à restructurer en profondeur certains secteurs, dont l’industrie manufacturière. Pour ce faire, l’implication d’une UGTT  forte mais enfin consciente des défis à affronter est nécessaire. La troisième est que toute confrontation brutale avec les syndicalistes ne peut conduire qu’au désastre. Paraphrasant une réplique célèbre, on pourrait dire que dans la conjoncture présente, on ne sait pas qui gagnera la guerre, mais on sait par contre qui la perdra sûrement : la Tunisie.   

Habib Touhami