Notes & Docs - 09.12.2012

Premiers résultats de l'enquête Budget, Consommation et Niveau de vie des ménages 2010

À la fin de 2011, l’INS a entrepris une revue complète et une mise à jour de sa méthodologie de mesure de la pauvreté en collaboration avec la Banque Africaine de Développement et la Banque Mondiale. Le travail a été mené en consultation avec un comité d'experts universitaires tunisiens, des représentants du gouvernement et d’organisations non gouvernementales.

Dans un premier temps, l’équipe d’experts de la pauvreté a procédé à l’examen des données de l'enquête des ménages et de la méthodologie utilisée pour construire l’ancienne mesure de la pauvreté. Les experts de la Banque Africaine de Développement et de la Banque Mondiale ont noté que l’ancienne méthodologie a été solidement fondée et que les mesures antérieures de la pauvreté ont été correctement estimées. Par ailleurs, les experts ont suggéré à l’INS diverses techniques d’ajustement de la méthodologie à incorporer dans la mesure de la pauvreté, et ainsi la rendre plus conforme aux meilleures pratiques internationales. En outre, les experts ont recommandé à l’INS de recalculer le seuil de pauvreté en utilisant les données de la nouvelle enquête budget consommation auprès des ménages de 2010, de façon à mieux refléter les habitudes de consommation les plus courantes et le coût de la vie des familles tunisiennes.

1. Principaux résultats de l’enquête Budget, Consommation et Niveau de vie des ménages 2010

L’enquête sur le budget, la consommation et le niveau de vie des ménages de l’an 2010 est assignée des principaux objectifs suivants :
a - Donner une estimation des niveaux des dépenses des ménages.
b - Donner une évaluation de la distribution des dépenses.
c - Dégager la structure des dépenses.
d - Mesurer le phénomène de la pauvreté et dégager les caractéristiques de la population pauvre
Le tableau 1 suivant décrit l’évolution de la dépense annuelle par tête selon le milieu et les régions entre 2000 et 2010.

Tableau 1 : évolution de la dépense annuelle par tête selon les régions et le milieu

 

Dépense  annuelle totale

Croissance annuelle entre 2000 et 2010

 

2000

2005

2010

Ensemble

1424

1939

2601

6,2%

Milieu

Communal

1726

2326

3095

6,0%

       Grandes villes

1992

2640

3696

6,4%

       Moyennes communes

1518

2045

2612

5,6%

Non communal

911

1213

1644

6,1%

Région

Grand Tunis

1917

2609

3498

6,2%

Nord Est

1292

1724

2241

5,7%

Nord Ouest

1145

1466

1754

4,4%

Centre Est

1735

2245

3081

5,9%

Centre Ouest

937

1173

1623

5,6%

Sud Est

1158

1873

2464

7,8%

Sud Ouest

1030

1510

2064

7,2%


L’analyse régionale des résultats de l’enquête a fait apparaître les disparités nettes entre les différentes régions du pays, quant au niveau des dépenses moyennes.

Les régions intérieures (régions ouest), et plus particulièrement le centre ouest, enregistrent les niveaux de vie les plus faibles. Un résultat retrouvé par toutes les études sur l’économie  tunisienne et qui s’explique par la rareté des opportunités économiques dans ces régions. Par contre au grand Tunis, ou l’essentiel des activités industrielles et de service sont concentrées, on enregistre les niveaux de dépenses par tête les plus élevés.  Si on stratifie les ménages selon leur milieu de résidence, on remarque nettement l’influence du degré d’urbanisation sur le niveau des dépenses moyennes.

2. Révisions apportées à la méthodologie de mesure de la pauvreté en Tunisie

La première étape dans toute tentative d’évaluation de l’état de la pauvreté dans un pays consiste à déterminer un indicateur de bien-être individuel.  Les dépenses de consommation effectuées par les ménages peuvent constituer un bon indicateur de bien-être. Toutefois, ces dépenses incluent souvent l’achat de biens durables (maison, voiture, réfrigérateur, etc.) financés soit par l’accumulation de l’épargne passée soit par le recours aux multiples possibilités de crédits. 

L’inclusion des achats de biens durables dans n’importe quel indicateur de bien-être fausse les mesures de pauvreté et d’inégalité dans la mesure où l’horizon temporel de consommation de ces biens (qui s’étale sur plusieurs années) est beaucoup plus long que l’horizon temporel conventionnel des mesures de pauvreté ou d’inégalité (une année).

Pour les mêmes raisons, les dépenses en biens d’investissement et en biens durables  (tels que  l’acquisition d’un logement,  d’un moyen de transport et des appareils  électroménagers) ont été exclues. Les dépenses irrégulières  relatives aux cérémonies familiales non religieuses ont  également été exclues.

Cette mesure du bien-être est appelée alors l'agrégat de consommation. L’estimation de l’agrégat de consommation de chaque ménage a été possible grâce aux données complètes sur les dépenses de l'Enquête Nationale sur le Budget, la Consommation et le Niveau de Vie des ménages (EBCNV). L’évolution entre 2000 et 2010 des niveaux moyens de ces agrégats ventilés par région et par milieu sont reportés dans le tableau suivant.
 
Tableau 2 : évolution de la consommation  annuelle par tête selon les régions et le milieu

Région

Agrégat de consommation (prix courants)

croissance annuelle          2000-2010

Agrégat de consommation (prix 2005)

croissance annuelle 2000-2010

2000

2005

2010

2000

2005

2010

Tunisie

1252

1696

2360

6,5%

 

1441

1696

1919

2,9%

 

Milieu

Communal

1726

2326

3095

6,0%

1985

2326

2516

2,4%

Grandes villes

1992

2640

3696

6,4%

2291

2640

3005

2,8%

Moyennes communes

1518

2045

2612

5,6%

1746

2045

2124

2,0%

Non communal

911

1213

1644

6,1%

1048

1213

1337

2,5%

Région

Grand Tunis

1738

2331

3228

6,4%

2000

2331

2624

2,8%

Nord Est

1147

1547

2113

6,3%

1320

1547

1718

2,7%

Nord Ouest

979

1292

1613

5,1%

1127

1292

1311

1,5%

Centre Est

1483

1902

2693

6,1%

1707

1902

2189

2,5%

Centre Ouest

841

1034

1491

5,9%

968

1034

1212

2,3%

Sud Est

978

1574

2198

8,4%

1126

1574

1787

4,7%

Sud Ouest

928

1338

1853

7,2%

1068

1338

1507

3,5%


Alors que la croissance de la consommation a été positive dans toutes les régions du pays, elle a été très faible dans la région du nord-ouest, une région qui détient l’un des niveaux de consommation par tête les plus faibles de la Tunisie.  Les taux de croissance les plus élevés sont enregistrés dans les régions du sud-est et du sud-ouest. La région du centre-ouest  a réalisé le meilleur taux de croissance entre 2005 et 2010 (7.6%). Cette performance demeure insuffisante en égard au très bas niveau consommation dans cette région.
Ce tableau montre aussi que le niveau de consommation  dans le milieu communal est à peu près le double  de celui du milieu non communal. Cette situation n’a pas beaucoup évolué de 2000 à 2010.

Estimation du seuil de pauvreté

La pauvreté est une situation de privation matérielle et morale empêchant certains individus de satisfaire leurs besoins essentiels.

Le "seuil de  pauvreté" désigne le niveau de consommation  minimum en deçà duquel une personne est considérée comme pauvre, c'est-à-dire ne disposant pas d'un niveau de vie convenable.
Un seuil de pauvreté séparé a été estimé pour chacune des trois strates définies dans l'enquête des ménages: les grandes villes, les petites et moyennes communes, et les zones rurales. Ce seuil tient compte des modes de consommation des tunisiens et du coût de la vie dans les différents lieux de résidence.
 
Tableau 3 : Evolution du seuil de pauvreté (en Dinars) par strate  entre  2000 et 2010

 

Seuil de pauvreté

Seuil de pauvreté extrême

Milieu

2000

2005

2010

2000

2005

2010

Grandes villes

902

1038

1277

534

615

757

moyennes  communes

818

941

1158

518

596

733

Non communal

581

669

820

405

466

571


3. Résultats de la mesure de la pauvreté

Le calcul du pourcentage de la population ayant un niveau de consommation en-dessous du seuil de pauvreté constitue l’une des mesures possibles de la pauvreté. Cette mesure est appelée : « incidence  de pauvreté ».
Sur la base de l'agrégat de consommation décrit précédemment, et le nouveau seuil de pauvreté, le tableau 5 montre les incidences de pauvretés (pauvreté et pauvreté extrême) pour 2010 et pour les deux périodes antérieures.
 
Tableau 5: Incidence de la pauvreté et de la pauvreté extrême selon le milieu et les régions  entre  2000 et 2010

 

pauvreté

Pauvreté extrême

2000

2005

2010

2000

2005

2010

Tunisie

32,4

23,3

15,5

12,0

7,6

4,6

Milieu

Grandes villes

21,5

15,4

9,0

4,3

2,2

1,3

Moyennes communes

32,5

22,1

14,0

10,5

6,5

2,9

Zones non communales

40,4

31,5

22,6

19,1

13,4

9,2

Région

Grand Tunis

21,0

14,6

9,1

4,3

2,3

1,1

Nord Est

32,1

21,6

10,3

10,5

5,4

1,8

Nord Ouest

35,3

26,9

25,7

12,1

8,9

8,8

Centre Est

21,4

12,6

8,0

6,4

2,6

1,6

Centre Ouest

49,3

46,5

32,3

25,5

23,2

14,3

Sud Est

44,3

29,0

17,9

17,5

9,6

4,9

Sud Ouest

47,8

33,2

21,5

21,7

12,1

6,4


Bien que la méthode suivie ici ne calcule pas un «seuil de pauvreté national» en soi, mais plutôt un seuil de pauvreté spécifique à chaque strate, les estimations de l’incidence de pauvreté dans chacune des trois strates peuvent être agrégées (en utilisant un système de pondération approprié) pour obtenir (aussi bien pour le seuil de pauvreté extrême que le seuil de pauvreté) l’incidence de pauvreté à l’échelle nationale. 

Le taux de pauvreté est de 15,5% en 2010 contre une incidence de pauvreté de 23,3% en 2005 et 32,4% en 2000.
Cette importante baisse de la pauvreté peut s'expliquer par la forte croissance de la consommation entre 2000 et 2010, comme indiqué dans le tableau 2. En effet, la consommation a augmenté plus rapidement que les prix au cours de cette période, qui a alors engendré une baisse significative de la proportion des tunisiens vivants en dessous du seuil de pauvreté. Ceci est également vrai si l'on considère l’indicateur de pauvreté extrême, qui est passée de 12 % en 2000 à 4,6% en 2010.

Malgré cette importante réduction de la pauvreté à l’échelle nationale, les zones non communales de la Tunisie continuent à avoir des taux de pauvreté presque deux fois plus élevé que ceux des zones communales.
Si l’on utilise le seuil de la pauvreté extrême, l’écart entre zones communales et grandes villes s’est même détérioré. Alors que le taux de pauvreté extrême dans les zones communales était quatre fois plus élevé que dans les grandes villes en 2000 et il est devenu sept fois plus élevé en 2010. 

Les régions du centre ouest et du nord-ouest du pays restent les plus pauvres, suivies de celles situées au sud.
L’évolution des taux de pauvreté entre 2000 et 2010 varie sensiblement selon les régions. Comme toutes les estimations fondées sur une enquête contiennent une certaine marge d'erreur, il est nécessaire de tenir compte de cette erreur dans les comparaisons dans le temps et entre les régions. Avec une marge raisonnable de précision statistique, on peut donc conclure que le taux de pauvreté a diminué dans toutes les régions à l'exception du nord-ouest, où la baisse n'est pas statistiquement significative.

Toutefois, les disparités régionales en termes de taux de pauvreté n’ont malheureusement pas reculé. Le centre ouest reste toujours la région la plus pauvre de la Tunisie et son retard par rapport aux régions du littoral de la Tunisie s’est même aggravé. À titre d’exemple, son taux de pauvreté extrême était six fois plus élevé que celui du Grand Tunis en 2000 et il est devenu treize fois plus élevé en 2010.
 
4. Évolution des inégalités et de la polarisation entre 2000 et 2010

la polarisation des revenus désigne le degré de répartition d'une population en plusieurs groupes distants. Les personnes de différents groupes (différentes régions, par exemple) ont des styles de vie très différents.  Toutefois, les personnes au sein de chaque groupe (région, par exemple) affichent un fort sentiment d'identification car elles partagent presque le même niveau de vie. Il convient de noter que la polarisation peut s'accentuer même en absence d’une augmentation des inégalités globales.

Le tableau 6 dénote un accroissement des inégalités entre les régions. Ceci  indique que le sentiment d’aliénation s’accroît dès lors que la dispersion du niveau de vie moyen entre les régions augmente (le niveau de vie moyen des régions les plus pauvres croît à rythme plus faible que celui des régions les plus nanties ce qui aggrave les disparités régionales).  Par ailleurs, la réduction des inégalités intra-régionales,  passant de 21.1% en 2000 à 17.6en 2010, indique que le niveau de vie des résidents d’une même région (surtout ceux Nord Est, Centre Ouest et au Sud Est et Ouest) converge. Les résidents d’une même région affichent donc un sentiment d’identification de plus en plus fort. Le rapport entre indice d’inégalité inter-région et indice d’inégalité intra-région constitue donc un indice de polarisation appropriée.
 
Tableau 6 : Décomposition de l’inégalité et de la polarisation  entre  2000 et 2010

 

Indice de GINI

2000

2005

2010

Inégalité globale

37.5

37.7

35.8

Inégalité entre les régions

16.4

18.2

18.2

Inégalité intra-régionale

21.1

19.5

17.6

Polarisation

77.7

93.6

103.2


Ces résultats confirment que les sentiments d'identification et d'aliénation des citoyens des gouvernorats défavorisés se sont accentués au cours de la période 2000-2010, alors que pour les plus nantis, ces sentiments n'ont pas réellement changé, indépendamment de leur région de résidence.

En conclusion, la réduction de la pauvreté absolue n’a pas été interrompue pendant la période 2000-2010. Bien au contraire, l’incidence de la pauvreté absolue a continué de baisser de façon très appréciable. Toutefois, cette performance en matière de réduction de la pauvreté absolue cache bien d’autres problèmes. 
• Le premier est que cette réduction n’a pas avantagé les régions les plus pauvres. Au contraire, les deux régions les plus pauvres de la Tunisie, à savoir le centre-ouest et le sud-ouest, ont même enregistré une hausse de leur retard en termes de taux de pauvreté absolue par rapport au niveau national.
• Le second est que la répartition du revenu n’a pas aidé à réduire davantage la pauvreté. La réduction de la pauvreté résulte donc presque exclusivement de la croissance économique et non d’une plus grande part des régions les moins favorisés dans la richesse nationale; et ceci est particulièrement vrai durant la période 2000-2005.
• Le troisième est que même si les inégalités globales ont, dans une certaine mesure, diminué, celles-ci s’expliquent davantage par la baisse des inégalités à l’intérieur des régions pendant que les inégalités entre les régions ont augmenté. Cette situation a produit, notamment chez les pauvres, un sentiment d’association fort entre région et niveau de vie. Le nom de certaines régions évoque le partage d’un niveau de vie bas pendant que le nom d’autres régions s’identifie à un niveau de vie élevé. Il en résulte un fort ressentiment chez les pauvres tel que le démontre la croissance des mesures de polarisation particulièrement sensibles aux variations de bien-être de ceux-ci.

Lire aussi :

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