Questions à ... - 22.11.2008

M. Mohamed Ennaceur

1.Vous avez été Président de la Conférence Mondiale de l’Emploi… Quelles sont les meilleures stratégies pour l’emploi des jeunes diplômés ?

La Conférence Mondiale de l’Emploi, que j’ai eu l’honneur de présider en 1976 était une Conférence Extraordinaire qui se distinguait des sessions annuelles de la Conférence Internationales du Travail.

Elle était organisée à un moment où on commençait à s’inquiéter de la montée du chômage et de la pauvreté dans le Monde, après les « 30 glorieuses » qui ont suivi la 2ème guerre mondiale.
Cette conférence tripartite qui réunissait les représentants des gouvernements et des organisations d’employeurs et de travailleurs devait se prononcer sur les conclusions d’un rapport élaboré par des experts économistes réputés et qui appelait la Communauté internationale à adopter une stratégie de développement fondée sur la satisfaction des besoins essentiels des populations et susceptible de corriger les effets négatifs de l’Economie de marché sur le niveau de l’Emploi.
 
Comme nous étions en pleine période de guerre froide, les représentants des pays industrialisés favorables à la promotion de l’Economie de marché et plus particulièrement les USA, étaient méfiants à l’égard de cette nouvelle stratégie et ont fait échouer cette Conférence au motif que les propositions du rapport excédaient le mandat de l’OIT.
 
Depuis, l’aggravation du chômage et de la pauvreté continuent à figurer parmi les priorités de l’ONU sans qu’une stratégie internationale n’ait été adoptée pour juguler et réduire ces deux fléaux.
Aujourd’hui, avec la crise financière qui sévit dans le monde la nécessité d’une régulation mondiale qui limite les effets négatifs de l’Economie de marché est de plus en plus évidente et réclamée partout.
 
En Tunisie, le problème du chômage n’est pas nouveau, et le gouvernement multiplie les initiatives et les interventions pour le réduire et plus particulièrement celui des jeunes diplômés de l’Enseignement Supérieur. Ceci étant, le nombre de ceux-ci en difficulté d’insertion est particulièrement préoccupant et risque de l’être davantage compte tenu des effectifs d’étudiants qui atteindront ½ million en 2011.
 
Il n’y a pas de solution miracle à un problème aussi complexe et dont le traitement ne peut intervenir du jour au lendemain. Cependant une stratégie cohérente et coordonnée est nécessaire à partir d’une analyse appropriée des données, qui dégagerait les objectifs à court, moyen et long terme, le coût et les étapes de mise en œuvre en fonction de l’urgence et des moyens mobilisables.
 
A long terme, le problème de l’employabilité des jeunes diplômés implique une plus grande articulation du système d’éducation et de formation, ainsi que celui de l’Enseignement Supérieur avec les besoins de développement de l’économie et l’évolution du marché de l’Emploi. Parallèlement, il y a lieu de stimuler un changement de comportement chez les futurs demandeurs d’emploi en encourageant la créativité et l’esprit d’entreprise.
 
A court terme, des interventions ponctuelles de l’Etat s’imposent en fonction des besoins réels et potentiels des différents secteurs de l’économie, et des gisements d’emploi qu’on peut déceler aussi bien en Tunisie qu’à l’Etranger. Cela implique une politique et des structures de prospection et un dispositif autonome d’évaluation systématique de l’efficacité et de l’efficience des nombreux instruments d’interventions de l’Etat dans le domaine de l’emploi, en vue de dégager les améliorations possibles, et de s’assurer de leur impact sur la réduction du niveau de chômage des jeunes diplômés et plus particulièrement ceux de l’Enseignement Supérieur.
 
En outre, un dispositif de réinsertion à travers des formations professionnelles ponctuelles et appropriées gagnerait à être développé et coordonné avec l’ensemble des autres instruments d’intervention de l’Etat sur le marché de l’Emploi.
  
2.Vous continuez à servir le pays… Quelles sont vos recommandations aux entreprises en vue d’instaurer plus de sérénité dans le climat social… ?
 
 L’amélioration du climat social, le développement des compétences et la motivation du personnel constituent les objectifs prioritaires de l’entreprise d’aujourd’hui et contribueront certainement à la promotion de l’emploi et de la compétitivité. Cela nécessite que le dialogue social soit élargi, diversifié et moins centralisé. Cela implique qu’il ne soit pas limité à la flexibilité de la législation du Travail, à l’augmentation des salaires et à la protection du droit syndical.
      
Dans le contexte actuel de la mondialisation dominé par l’imprévisibilité des marché et la concurrence effrénée, ce qui compte le plus pour une entreprise, pour ses actionnaires comme pour ses salariés c’est de garantir sa pérennité, et ceci implique un management qui maîtrise l’ensemble des risques, ceux d’ordre financier et commercial, et ceux d’ordre social et environnemental. Or une telle maîtrise des risques, ne peut se réaliser que par une coopération à l’intérieur de l’entreprise entre les représentants du Capital et ceux du travail, dans le cadre d’un dialogue responsable et continue.
 
Un tel dialogue est aujourd’hui plus que nécessaire ; certes il n’est pas facile à instaurer, car il nécessite un changement de mentalité et de comportement aussi bien chez les patrons que chez les syndicats. Mais il est possible, si les uns et les autres reconnaissent qu’ils ont besoin d’instaurer de nouvelles relations du Travail, basées sur le respect mutuel, la confiance, la transparence et la convergence des intérêts.
 
                   
 
3.L’entreprise est elle capable de consentir plus pour le social ?
                 
Avec la concurrence acharnée sur le marché, l’entreprise ne peut pas se permettre d’accroître ses charges et ses coûts. Mais elle se doit de chercher des gains de productivité à travers une gestion sociale moderne qui améliorerait l’implication du personnel et son adhésion aux objectifs de l’entreprise tout en développant les compétences.
 
La Compétitivité, aujourd’hui, n’est plus réductible à la seule compression des coûts : elle est de plus en plus tributaire de la qualité des produits, laquelle est intimement liée aux compétences individuelles et collectives du personnel.
 
Investir dans l’humain, c’est accroître la compétitivité de l’entreprise, et lui assurer les conditions de durabilité.