Opinions - 24.02.2012

Subordination et indépendance de l'administration au Pouvoir Politique (Gouvernement)

Les questions que se posent

Les relations entre le gouvernement   et l’administration sont régies par un subtil équilibre entre une nécessaire subordination, afin que le gouvernement puisse mener à bien sa politique, et une non moins nécessaire autonomie, permettant aux fonctionnaires de ne pas être soumis, dans l’exercice de leur mission, à des pressions excessives.

Cette relation est devenue de plus en plus  sensible en Tunisie en raison de son histoire avec l’ancien régime, qui a mené une stratégie de politisation au sein de l’administration.

Cette  politisation qu’elle soit d’ordre organisationnel, partisane ou encore idéologique  a   permis  au régime en place d’avoir la mainmise  sur  « la colonne vertébrale » de l’Etat  et mener ; subséquemment ; sa politique  d’exclusion  de toute possible  opposition et contrôle  sur ses actes et sur ses choix stratégiques pour le pays .
Cette situation, a fait   dévier  ,maintes fois, l’administration(en dépit de sa résistance) de sa finalité suprême à savoir servir l’intérêt général,  pour qu’elle finisse par être un outil mis à la disposition du pouvoir politique pour installer sa dictature et servir « avec légitimité  » ses propres intérêts. 

A cet égard, et face aux mutations vécues et que vit notre pays, l’administration Tunisienne est tenue  de changer des pratiques et d’éthique , elle est dans l’obligation d’installer un système des valeurs mais aussi et surtout mettre en place une législation qui assure l’impartialité et la neutralité de l’administration tout en protégeant le fonctionnaire de l’Etat .

Cette question devient d’autant plus cruciale lorsqu’ on prend en considération l’existence, au sein de l’administration, des classes antagonistes pouvant mettre en péril la rationalité de l’État  pénétré lui-même, et malgré lui, par les conflits sociaux et politiques.

  • Comment peut-on situer l’administration en dehors des conflits politiques et sociaux et faire en sorte qu’elle ne s’identifie qu’à ses fonctions ?
  • Quelles sont les garanties juridiques  de la neutralité de l’administration et de l’indépendance des fonctionnaires ?
  • La réponse à cette  dernière question demeure décisive, notamment   lorsque on sait  que la construction de l’administration est marquée  par une part de contingence et d’incertitude structurelle, où s’engouffrent des relations de pouvoir informelles, non légales, et donc non légitimes, mais qui affectent  les règles de fonctionnement administratifs et décident conséquemment de la nature de l’intérêt à servir : l’intérêt général ou l’intérêt d’un groupe .
  • Quelles sont alors les  mesures à prendre pour limiter ce genre des dépassements ?
  • Jusqu’a quand  continuerons-nous à insister sur les règles de loyauté et d’obéissance du fonctionnaire à son supérieur hiérarchique, et à mésestimer  l’obligation  de servir et de protéger l’intérêt général ?
  • Comment protéger le fonctionnaire (et l’administration publique) d’un jeu organisationnel  et d’une politisation fonctionnelle que l’oblige, dans plusieurs cas, à adhérer à des projets politicards?
  • Si l’administration a en charge la bonne marche de l’Etat et si sa mission est de protéger l’intérêt général, quel rôle jouera t- elle dans la définition même de cet intérêt ? Et quelles sont les conditions juridiques pour qu’elle échappe d’être un simple instrument d’exécution  et un subordonné au pouvoir politique ?

La réponse à l’ensemble de ces interrogations  est d’une importance irrécusable surtout que  les études dont celles menées par Michel Crozier et Jean-Claude Thoenig ont fait état des relations conflictuelles entre la filière politique et la filière administrative en ce qui concerne  la conception de l’intérêt général.

En effet, selon ces deux sociologues  «  la conception de l’intérêt général ferait l’objet d’une lutte incessante pour sa définition légitime, mettant aux prises des élus qui considèrent que cet intérêt général reste cadré par les urnes, et qu’ils en sont donc les dépositaires naturels, aux fonctionnaires qui estiment, pour leur part, que l’intérêt général transcende les cycles électoraux ».

Certes, ce  conflit entre  le pouvoir politique et le « pouvoir administratif »  s’applique aussi sur la réalité tunisienne ou le conflit dépasse les limites de la conception légitime de l’intérêt général.

En effet, ce conflit est d’autant plus délicat en Tunisie, notamment  lorsqu’on prend  le cas  de l’administration régionale , longuement marquée par un embrouillement entre le pouvoir politique et le « pouvoir administratif »  qui va jusqu’à  la domination du politique sur l’administratif quant à la définition de la nature de l’intérêt à servir (l’intérêt général ou l’intérêt d’un groupe faisant , généralement , parti du pouvoir politique ou du moins proche de ce pouvoir), et là il n’y’a pas mieux que de citer l’exemple des « comités de coordination régionales du RCD » et leur poids dans les régions. 

Il va sans dire que ces pratiques demeurent toujours  existantes et  ne semblent pas faciles à changer,  surtout que  les règles juridiques et organisationnelles  qui n’ont pas réussi, auparavant,  à protéger l’indépendance et la neutralité de l’administration n’ont pas changé.

Indubitablement, c’est aux fonctionnaires de l’Etat de changer cette réalité, car ils sont les seuls  qui sont « professionnellement  spécialisés dans les actions gouvernantes » et sont, donc,  les plus aptes  à assurer la mise en ordre voir la refondation de l’appareil administratif de l’Etat. Pour cette raison, l’administration Tunisienne est dans l’obligation de dépasser sa passivité  et prendre l’initiative   pour  faire sa propre révolution.
En effet, l’urgence de la reforme administrative, et l’importance de la révision de la législation et des règles   régissant le fonctionnement de l’administration,   découlent de l’idée selon laquelle la réussite de la Tunisie dans   son passage d’un Etat  policier à un Etat de droit , dépend de la réussite du  passage d’une  situation marquée par une totale subordination de l’administration au pouvoir politique, vers une subordination  ou une soumission de l’administration au droit.

Cela dit qu’aujourd’hui,  les fonctionnaires  de l’Etat et tous les agents de l’administration sont tenus  d’aider voir d’orienter le gouvernement  actuel à s’intégrer  dans une logique de construction d'un système fondé sur les principes de transition démocratique au pouvoir (administratif et politique), et non sur les principes de l'appropriation du pouvoir .
Un système nouveau basé sur des nouvelles règles organisationnelles valorisant le rôle de l’administration et son poids, mettant ainsi fin à  cette image qui la stigmatise, et la réduit à un simple outil d’exécution mis à la disposition  du pouvoir politique. Cette image dégradante devrait être remplacée par une autre  selon laquelle l’administration sera perçue en  tant que composante appart entière du pouvoir exécutif, et un garant de la bonne marche de l’Etat

Bref et eu égard à toutes les raisons ci-dessus citées, on peut affirmer que la révision de la relation entre l’administration publique et le pouvoir politique  et l’évolution de l’image de l’administration auprès des usagers  sont d’une acuité incontournable, et demeurent une composante  déterminante de la réussite de cette période transitoire.

Et il va sans dire aussi qu’un tel constat  suppose (comme premier pas) que  la neutralité de l’administration et la consolidation de sa position, ainsi que l’indépendance des fonctionnaires et leur protection soient inscrites et garanties par la nouvelle constitution.

Et pour conférer à ce sujet  toute sa portée, il suffit de nous rappeler que  depuis  le 14 janvier, lorsque le pouvoir politique a failli, c’est l’administration qui a sauvé la pérennité de l’Etat. 

Bouthaina  Ghannay

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