News - 24.05.2014

Le redoutable questionneur sur Watanya TV

Il y a un mois, l’émission-phare d'El Wataniya 1«Choukran 'alal houdhour» se sabordait sur décision de son producteur, Boubaker Ben Akacha. Pendant près d'une année, ce talk show a cartonné, s’imposant en grande messe cathodique hebdomadaire. Pourtant, le concept était simple : une grande interview, illustrée par des séquences «zapping». Mais, le caractère tout particulier de Boubaker et de son compère, Mohamed Boughalleb lui confère un goût particulier.  

Ben Akacha est doux, courtois, mais redoutable par ses fléchettes. Il ne tend pas de piège à ses invités, sait les mettre à l’aise et leur tirer de bonnes réponses, recadrant parfois son coéquipier.

Boughalleb est cash. Respectueux, mais intraitable. Très bien informé, préparant soigneusement ses dossiers, il organise son questionnaire en investigation ordonnée, gardant toujours une ultime question en poche. Le duo fonctionne merveilleusement. C’est Boubaker qui tient le fil de la conversation, relançant l’invité, lâchant Mohamed, le retenant, lui laissant la voie libre, puis arbitrant. Un vrai spectacle qui se distingue de tant d’autres plateaux, même si des «incidents» sont impossibles à éviter.

C’est souvent Boughalleb qui en fait les frais. Avec Omar S’Habou, Mehrezia Laabidi ou encore Béji Caïd Essebsi, des écarts de langage, des gestes, des incriminations viennent en fausses notes. Il se retient, se défend mais ne verse guère dans l’invective. Ce plateau relève d’une autre éthique.Ce qu’invités et téléspectateurs aiment le plus chez Boughalleb, c’est son tempérament, son caractère, son accent, ses référentiels. Ils y retrouvent un mélange qui ressemble le plus au Tunisien moyen. Mohamed, qui a étrenné ce 26 mai sa 44ème année, a tout hérité de son enfance à Ouerdanine, ce fief nationaliste au cœur du Sahel,connu par tant d’illustres fils donnés à la Tunisie, Hassan Ben Abdelaziz, Mohamed et Abdallah Farhat, Ahmed Mennai, et autres. Un caractère patriotique, rebelle et très dévoué à la nation, avec des gènes arabo-musulmans bien affirmés. Et un grand franc-parler.

Ouerdanine, un vrai moulage

Son père, maçon, était obligé d’aller chercher de quoi nourrir ses six enfants sur des chantiers partout en Tunisie, mais aussi en France, en Libye et en Algérie. Son sacrifice ne sera pas vain, deux de ses fils seront avocats, Mohamed, journaliste-vedette et trois filles bien installées avec leurs familles en Italie.

L’absence du père posera sur les épaules du tout jeune Mohamed la lourde responsabilité d’une bonne conduite dans la société et réussite dans les études. Au lieu de flâner dans les rues de Ouerdanine, il plongera à fond dans les activités culturelles. A l’école primaire, il était déjà l’un des meilleurs psalmistes du Coran. Au lycée, la Jeunesse scolaire et autres clubs de la maison de la culture feront éclore ses talents de poète, comédien et animateur. Le pli est pris. Un petit détail mérite mention : parmi ses professeurs, Boughalleb aura Awatef Ben Hmida, celle qui deviendra plus tard directrice de Radio-Monastir, puis de Radio Jeunes à Tunis… Le destin est scellé. D’un activisme débordant, il s’invite dans le débat public, s’investit dans «la dynamique militante», soutient la liste indépendante lors des élections législatives de 1999 et attirera alors   l’attention de la police… Il en payera le prix pendant 18 ans, sa demande de passeport restera ainsi sa réponse. Une véritable angoisse qui l’empêchera longtemps de répondre à des invitations à l’étranger et de briguer un poste dans la fonction publique.

En préparant son bac, Mohamed Boughalleb ne pensait qu’à faire des études de cinéma, lorgnant une bourse en Urss. «Gorbatech était impatient et aurait dû attendre encore une année avant de faire éclater l’Union soviétique, nous dit-il avec humour. Du coup, mon rêve s’était brisé et j’ai dû me résigner à faire des études de lettres à Sousse.» Encore de belles années et d’intenses activités culturelles.

Un parcours du combattant médiatique

Pour poursuivre ses études de troisième cycle, il  monte  à Tunis en 1995. Pour Mohamed Ghalleb, c’est comme pour un footballeur qui accède à la Division nationale : de grandes opportunités lui sont offertes, à lui d’en saisir les meilleures. Il commencera par renforcer sa collaboration avec la presse, commencée en tant que correspondant au Sahel. Mais, sa véritable chance, c’est Awatef Ben Hmida qui va la lui offrir en l’appelant à ses côtés à Radio Jeunes. La voie est alors ouverte. Bosseur, dévoué, passionné, il alternera tout son temps entre les studios, le bureau et les manifestations culturelles. Animateur, producteur d’émissions, attaché de presse et conseiller, il deviendra incontournable, rendant service, se rendant indispensable.

Quand on a une lourde et délicate tâche, c’est à lui qu’on la confie, sachant qu’il s’en acquittera à merveille. Surtout lorsqu’il s’agit d’un festival comme celui de l’Union des radiotélévisions arabes (Asbu), ou du cinéma et autres. Boughalleb y fera la connaissance de grandes stars, critiques et organisateurs de festivals et se liera d’amitié avec eux. Ils l’apprécient tellement qu’ils l’invitent à participer en tant que journaliste ou membre du jury de grandes manifestations cinématographiques et musicales un peu partout dans le monde, Le Caire, Dubaï, Marrakech, Cannes... Mohamed s’arrangera alors pour se mettre en smoking-nœud papillon, foulant en toute splendeur le tapis rouge et montant les marches comme les grandes vedettes.

Touche-à-tout, il assurera la rédaction en chef de la revue de la Radio, tâtera de la télévision… en esquivant les coups bas. Ce qui ne l’épargnera pas de faire par deux fois sa traversée du désert. La première avant la révolution, «pour rébellion». Aujourd’hui, il ne s’en vantera guère. Vendredi 14 janvier 2011, un ami le prévient par SMS d’une manifestation de solidarité avec des intellectuels à midi devant le Théâtre municipal. Il y retrouvera quelques dizaines d’autres amis. Mais rapidement, la foule enflera sur l’Avenue. Il vivra alors la révolution en direct. Puis, rentrant à pied jusqu’à chez lui, quartier Lafayette, il sera comme sur un nuage. Rapidement, il ouvrira son téléviseur et se connectera sur internet…pour partager. Frénétiquement.

Sans déchanter de la révolution, il vivra bientôt sa deuxième traversée du désert. Son indépendance et son professionnalisme ne seront pas du goût d’un collègue technicien promu par son parti président de la Radio. La sanction inique tombe tel un couperet: au frigo! Mohamed Boughalleb ne s’avoue pas pour autant vaincu. Il fera de la télé sur TWT, sur le même élan qu’il avait initié avec Dhafer Neji en 2010 sur Canal 21, la révolution en plus, en attendant son heure.

Mai 2013, il reçoit un coup de fil qui le comblera de joie. Boubaker Ben Akacha lui propose de se joindre à lui sur Watanya II dans une nouvelle émission «Choukran ala elhoudhour». Le duo se met sur orbite. L’assassinat de Mohamed Brahmi, jeudi 25 juillet 2013, leur offrira une grande chance. L’émission est transférée sur la première chaîne publique, avec en baptême du feu un plateau exceptionnel dédié, samedi 27 juillet. La saga commence.Elle prendra fin subitement en avril 2014.

 

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1 Commentaire
Les Commentaires
sihem - 24-05-2014 11:32

d'après son collègue de l'émission d'el watania, il n'a pas reçu de salaire depuis 6 mois. comment vit-il alors? si c'est de l'information, ce n'est pas le cas du chien qui a mordu l'homme. quelle hypocrisie?

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