Hommage à ... - 07.01.2012

In Memoriam Hassine Raouf Hamza (1949 – 2011 )

Avec le décès, à l’âge de 62 ans, le 1er décembre 2011, du professeur Hassine-Raouf Hamza , l’Université tunisienne vient de perdre l’un de ses enfants les plus éminents et les sciences humaines un historien qui a marqué toute une génération.

Né le 2 août 1949 à Tunis, il poursuit ses études secondaires au lycée de garçons de Sousse où il obtient son baccalauréat série sciences expérimentales en 1968. Après un diplôme universitaire d’ études littéraires de l’Université de Tunis, il obtient une maîtrise et trois D.E.A. en histoire et en sciences politiques à Paris où il soutient une brillante thèse sur «Le Parti communiste tunisien et la Question nationale de 1943 à 1956 ».

Au terme de cette thèse, il met en lumière l’échec du PCT , qu’il attribue non seulement aux erreurs tant stratégiques que tactiques d’un parti refusant de penser la question nationale en dehors des impératifs de la politique soviétique et de l’influence du Parti communiste français mais aussi à la présence sur la scène d’un Néo- Destour fortement structuré occupant l’ensemble de l’espace national.

Rentré à Tunis, il participe aux travaux du Programme national de recherche devenu après Institut supérieur de l’histoire du Mouvement national. Au milieux des années 1980, il intègre la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis jusqu’à son décès, Tout le long de cette période, il va développer ses analyses, sa relecture et sa déconstruction du récit national.

Son enseignement, sa thèse, ses cinquante articles dont trente publiés, sa participation aux colloques, séminaires, aux groupes de travail et ateliers et autres activités telles que la direction de la collection «Mémoire» des Editions Cérès – Productions et la rédaction du volume «Maghreb» du dictionnaire biographique du mouvement ouvrier français «Le Maîtron» ont fait de Raouf Hamza le spécialiste incontournable de l’histoire du Mouvement national.

A partir de son interrogation du succès très relatif de l’action communiste dans les années vingt au sein de certains cercles intellectuels et sur la scène syndicale et politique lors de la Seconde Guerre mondiale, Raouf Hamza explique le peu d’impact rencontré par le discours communiste par la présence efficiente d’un Néo- Destour qui a pu acquérir une assise large et une grande audience malgré la répression coloniale.

Ce parti nationaliste va se transformer en parti hégémonique au cours de la période coloniale puis devenir un parti- Etat monopolisant la scène politique, dominant la vie économique et encadrant la société et ce jusqu’à la révolution tunisienne du 17 décembre 2010 – 14 janvier 2011.

Ainsi, c’est par les marges et par le détour du rôle des communistes que Raouf Hamza va s’intéresser de plus près à l’histoire contemporaine de la Tunisie et surtout repenser le mouvement national, le revisiter, le décortiquer, relever ses ambiguïtés et montrer son hétérogénéité et les limites de son principal vecteur, à savoir l’orientation moderniste contrebalancée par un certain traditionalisme.

C’est cette ambivalence du nationalisme tunisien qui sera mis en relief dans les travaux de Hamza, et ce, à travers la lecture des lieux, des moments, des espaces et des acteurs collectifs et individuels. Trois axes majeurs structurent sa réflexion: le dualisme, les mutations socio-économiques et culturelles et la scène nationaliste.

Le dualisme «ethnique» entre une minorité européenne privilégiée et une majorité musulmane précarisée et marginalisée n’a pas empêché une certaine cohabitation favorisée par des lieux de mixité (institutions scolaires, lieux de travail, vie associative……), des lieux d’acculturation, des lieux d’apprentissage de l’Autre et de soi, un lieu d’identification et de gestation du nationalisme.
Quant au deuxième axe, il est consacré aux profondes mutations humaines, géoéconomiques, sociales et mentales de la Tunisie durant le Protectorat. Dans ce cadre, le nationalisme est perçu comme une réponse à ce traumatisme.

C’est une forme de protestation contre la dépossession de soi, contre la rupture-déstructuration qui a affecté aussi bien le monde tribal et rural que le monde citadin.
Toutefois, ces transformations n’ont pas provoqué que des déstructurations mais elles ont permis une certaine revitalisation du corps social par une poussée démographique, scolaire, associative, professionnelle et par l’apparition de nouvelles couches sociales générées par ces mutations. Le troisième axe est celui de l’ambivalence.

La réponse au fait colonial a pris deux formes, la première est celle de l’Islah, mouvement moderniste du XIXe siècle qui essaie de doter la Tunisie pour faire face aux convoitises européennes.

Ce mouvement a abouti à un échec dû à l’inadaptation des réformes à l’état de la société et ses préoccupations ; il n’a pas réussi à les inscrire dans une démarche gradualiste et évolutive.

L’expérience de Khaireddine pour pallier cette défaillance et visant à concilier le Alem et le Hakem est venue très tardivement. La deuxième réponse est celle du Jihad qui va marquer la résistance de 1981 mais comme l’Islah, le Jihad ne réussit pas à arrêter la machine coloniale.

Au cours de cette période, la résistance a pris plusieurs formes, essentiellement deux formes nationalistes : un nationalisme identitaire traditionaliste organisé autour du foyer zeitounien et un nationalisme souverainiste influencé par les Lumières, nationalisme à vocation moderniste visant la défense et le recouvrement de la souveraineté tunisienne. Dans leurs itinéraires, ces deux tendances vont évoluer, parfois s’entremêler et voir leur opposion diminuer.

C’est autour de ces thèmes et d’autres que Raouf Hamza entreprend une nouvelle lecture dépassant les visions univoques du nationalisme. Rendre compte de la richesse de cette analyse fine déborde le cadre de ce texte.

Ce n’est pas rendre justice à la mémoire de Raouf Hamza que de réduire sa vie à sa carrière universitaire. Outre sa qualité de chercheur et d’universitaire, Raouf Hamza a toujours été un militant politique.

Dès les années soixante, il milite au sein du lycée de garçons de Sousse puis au sein du mouvement étudiant au congrès de Mahdia et de Korba où il s’est opposé avec d’autres à l’hégémonie et à la mainmise du Parti socialiste destourien.

Proche de Perspectives au début de son engagement, il penche un moment pour le Parti communiste tunisien avant de s’en détacher progressivement pour être un intellectuel libre à l’écoute des affaires de la Cité. Il avait une curiosité incroyable pour l’actualité tumultueuse, refusant d’être reclus dans sa tour d’ivoire universitaire et au même moment il est réfractaire à la condition de politicien partisan.
Sa dernière pertinente communication présentée à la Fondation Témimi le 13 mai 2011 sur « la révolte de la mémoire» exprime bien son attachement à la chose publique, faisant remonter le processus révolutionnaire actuel à des origines historiques lointaines, celles de la marginalisation et de l’oubli de certaines régions malgré leur participation à la libération nationale.

Les populations de ces régions furent exclues lors de l’édification de l’Etat, déconsidérées et décriées par le discours national. En plus de cette exclusion, ces populations furent très affectées par la fermeture de l’institution zeitounienne considérée comme leur capital symbolique et culturel.
Ainsi cette révolution est une révolte contre l’oubli, une révolte de cette mémoire solide et profonde qu’on ne peut occulter.

Hassine Raouf Hamza n’est pas seulement un historien à part, un militant atypique, c’est aussi un ami d’ une rare chaleur humaine avec qui nous avons partagé tant de choses. Il aimait tant la vie. Sa capacité d’ écoute et son ouverture d’ esprit sont louées par tous. Tous ceux qui l’ont connu vous parlent, à n’en plus finir, de sa gentillesse, de son humilité, de sa courtoisie, de sa sérénité.

Sa culture générale, ses connaissances en matière sportive et musicale et surtout en pisciculture sont rares. Le cycle des poissons, surtout de Mahdia, de leurs mouvements migratoires et l’art culinaire de les accommoder n’ont pas de secret pour lui.

Ses travaux, ses cours, ses activités, ses prises de position, son apport à l’école historique tunisienne et ses qualités humaines font de Raouf Hamza un intellectuel à part.Durant toute ma carrière d’enseignant dans les lycées secondaires puis à la faculté des Sciences humaines et sociales de Tunis et dans l’espace démocratique associatif et politique d’avant et d’après la révolution tunisienne, j’ai connu des dizaines et des dizaines de personnes pour qui j’ai de l’estime , de la considération et du respect mais l’amitié qui m’a lié à Raouf Hamza demeure unique.

Par ces quelques mots, j’ai tenu à rendre hommage à un maître, à un collègue, à un ami et à un confident.

A.A.
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
Rafik Sfar-Gandoura - 17-01-2012 19:41

Grand hommage à mon cher ami, contemporain et camarade de classe au Lycée de Garçons de Sousse. La Tunisie vient de perdre un grand intellectuel et historien de grande renommée. La ville de Mahdia vient de perdre un fils bien aimé et respecté. Ses amis viennent de perdre un des leurs, un brave type, sympa, généreux et intègre. Toutes mes pensées et mes sentiments vont à sa famille.

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