Opinions - 10.02.2011

Dahmani Fathallah répond à Jacques Attali: Funambulisme Intellectuel ou Génie Economique ?

Dans l’Express numéro 3107 du mois de Janvier 2011, à la rubrique perspectives, l’économiste français  Jacques Attali commentant la révolution tunisienne, affirmait « Partout où se développe l’économie de marché, la démocratie finit par s’imposer ».

L’occasion était trop belle pour ne pas la rater et  promouvoir l’économie de marché,  bien que  maintenant cette pratique relève plus de l’idéologie économique que d’une théorie économique qui  a fait ses preuves. Milton Friedman et ses apôtres  de l'école de Chicago et d'ailleurs avaient déjà avancé cette théorie de couplage de la démocratie et de l’économie de marché. Mais voilà,  l’analyse historique a prouvé le contraire, du Chili de Pinochet à la Russie de Yeltsine et  Poutine  en passant par l’Afrique du Sud, l’Argentine, la Chine et la Pologne, l’économie de marché a toujours été  imposée par le chantage financier du FMI, la force brutale et les politiques « Vaudou ». La démocratie n’avait pas lieu d’être citée.

Les effets pervers de l'économie de marché

En Tunisie comme  dans bien d’autres pays, on a  intronisé un dictateur ennemi de la démocratie pour  instaurer  la forme extrême de  l’économie de marché et  on sait maintenant à quoi cela a abouti. Drôle de concept. On écrase, on appauvrit des peuples, on les affame, on les tue, mais c’est pour leur bien puisque ils finiront par avoir la démocratie.  La forme extrême de l’économie de marché c’est la  légalisation de la cupidité criminelle [Legalizing Greed  is legalizing ruberry and murder]. En 1983, Eduardo Galeano disait dans "Days and nights of love and war" : " Les théories de Milton Friedman lui ont valu le prix Nobel, elles ont donné au Chili le général Pinochet"  à cela  j'ajouterai et à la Tunisie, Ben Ali , sans oublier les autres sinistres despotes,  gardiens du « Free Market » et anges de la cupidité extrême.

Dans ce contexte, l’affirmation de Jacques Attali ressemblerait  à un merci camouflé au régime de Ben Ali. Même au Canada qu’on ne pouvait pas assimiler à un pays ayant un besoin urgent de démocratie, on a assisté dans les années 90 à un camouflet historique, les gourous de l’économie de marché avaient  utilisé la rumeur pour instiller le doute dans les indicateurs financiers du pays notamment sa dette et réussir à amener le pays à réduire sa politique sociale et à pratiquer la forme extrême de l’économie de marché. Ce faisant, le Canada  n’a pas gagné en démocratie bien au contraire.

Le régime de l’économie de marché n’est autre que  le régime de  l’état corporatiste qui est l’ennemi de la démocratie et de la liberté puisqu’il est au service de la cupidité personnelle. A ce sujet  et en 1953 dans son ouvrage "The Solution" Bertolt Brecht, ironisait en disant : " Ne serait t-il pas plus facile pour le gouvernement [corporatiste] de dissoudre le people et d’en élire un autre".

 Non M. Attali, ce qui s’est passé en Tunisie est une révolution et non pas la conséquence naturelle de la pratique du libre marché comme karl Marx l’aurait prédit, C’est bien une réaction d’orgueil d’un peuple qui a refusé l’état corporatiste et qui réclame un état fort qui remplisse bien sa fonction de gouvernance du peuple et non pas un état qui veille  sur des intérêts personnels démoniaques. La référence faite par Jacques Attali à Marx relève simplement d'une sorte de funambulisme intellectuel. La théorie de Marx prône l’aboutissement du capitalisme sauvage à la dictature du prolétariat et certainement pas à  aucune forme de démocratie capitaliste. Par ailleurs, si on suit le raisonnement de M. Attali, Milton Friedman serait le plus fervent des Marxistes  d’où ce funambulisme économico-intellectuel digne des clowneries de  Bernard Henry Levy [ M. Attali nous a habitués à mieux].  La Tunisie ne refera certainement pas l’ordre économique mondial à travers cette révolution mais cette révolution sera, on l’espère, l’occasion d’orienter le choix national vers une démocratie sociale où l’économie de marché sera pratiquée mais régulée par un Etat non corporatiste, où la libre entreprise sera respectée mais sera surtout respectueuse de l’éthique et des valeurs sociales et culturelles. Mais là aussi, on n’invente rien. Joseph Schumpeter a déjà exposé cette théorie hybride. Ainsi, le  Tunisien qui n’a  pas eu son destin entre ses mains depuis 50 ans, pourrait avoir une chance équitable de se réaliser s'il arrivait à adopter  un modèle d’éducation qui ressemblerait je le souhaite au modèle décrit par Albert Einstein,  en 1949 dans Why Socialism? Je cite :

 L’éducation de l’individu  sera axée  sur  la promotion de ses capacités innées en plus du développement  de son sens des responsabilités envers  les autres  au lieu de la glorification du pouvoir et de la réussite qui caractérisent la société d’aujourd’hui [ou la forme extrême de l’économie de marché].
   
Enfin la révolution Tunisienne aura contribué à dévoiler le fait  que les problèmes et crises que vit le monde depuis des décennies sont le résultat de l’incapacité des économistes à innover et à développer un système qui tienne compte des révolutions technologiques et des mutations sociales que vit le monde.  Cet échec est surtout le résultat de  l’entêtement quasi religieux à promouvoir et à imposer par tous les moyens et universellement  la  forme extrême de l’économie de marché. En 1991,  Laurence Summers, économiste en chef de la banque mondiale osait clamer haut et fort: " Répandez la vérité, les lois de l’économie [sous entendu, l’économie de marché]   sont comme les lois  de la physique, elles fonctionnent partout".

A l’université de Chicago  la logique a été poussé jusqu'à constituer un fond qui a servi à financer des bourses [scholarship] de formation d’économistes  spécialisés dans l’économie de marché. Cette stratégie a essaimé à  travers le monde depuis les années  60 pour former plusieurs générations d’économistes [des clones] qui ne voient que par cette théorie puisque peu ou non exposés aux autres théories économiques comme il se doit.

Notons, enfin, que certains éminents économistes partisans de l’économie  de marché  et non des moindres commencent à s’en détacher. Je citerai particulièrement l’illustre économiste et professeur à Harvard, Jeffrey Sachs, [A Columbia depuis 2002], l’artisan de l’introduction de l’économie  de marché en Pologne [post communiste], en Indonésie et en Russie [ou avec Yeltsine il a commencé  à mesurer la perversité du système].
Aux autres économistes qui continuent aveuglement à voir dans  la pure économie  de marché, l’avenir du monde, je dirai qu’ils vont conforter ceux qui définissent un économiste comme un homme qui prétend connaître 364 façons de faire l’amour sans avoir jamais connu de femme. Alors, au boulot, Messieurs les économistes et étonnez-nous avec de vrais innovations utiles et de dimensions humaines. 


Prof. Med-Dahmani Fathallah.
 

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11 Commentaires
Les Commentaires
radouane jebnoun - 11-02-2011 01:26

merci et bravo pour votre article c est du top 1er article d analyse dans un journal tunisien sans oublier les systemes off shore et trust j attend un article de karoui ,atalli fume trop

Tarek Chaabouni - 11-02-2011 09:07

article intéressant et stimulant.Quelques remarques seulement: -Si la Tunisie a appliqué les injonctions du F.M.I ,elle a eu l'intelligence de l'adapter et l'on peut dire que la Tunisie a appliqué un Programme d'Ajustement Structurel "socialement modulé" - Pinochet a abattu le régime démocratique de gauche de son pays puis appliqué les théories de Milton Friedmen et des Chicago Boys. - La vraie leçon est que rien n'est obligatoire et qu'il y a une logique d'inter dépendance de l'économie et du régime politique et l'on voit ces deux entités se renforcer l'une et l'autre ou s'entraver mutuellement et l'évolution socio-politique de chaque pays est un livre ouvert sans aucune prédestination ou fatalisme - l'économie de la Tunisie, dans sa stucture véritable est une "économie d'état régulée par le marché", si l'on prend le Budget de L'Etat et les entreprises publiques cumulées et leur sous-traitants(sur les 10 premières entreprises,9 sont publiques),le marché vient après et aucune démocratie véritable n'a vécu longtemps avec ce poids économique de l'Etat. En même temps,La Révolution du 14 janvier a révélé qu'un frange importante,trop importante, de la population tunisienne vivait une situation intolérable de pauvreté ou d'exclusion sociale et culturelle sous diverses formes.Aucune démocratie ne pourra survivre si ces proportions ne sont pas réduites rapidement.Il n'y aura pas d'élections démocratiques dans cinq ans si cette frange de la société n'est pas réduite d'au moins 50% en cinq ans.

Jaouani ali - 11-02-2011 16:14

Merci professeur Fathallah; on ne peut mieux dire à propos de cette affirmation de J.Attali qui rappelle celle de N.Sarkozy qui nous gratifie aussi d'une platitude selon laquelle la France se doit d'appuyer les Egyptiens et les Tunisiens qui réclament leurs valeurs ( valeurs des Français ). C'est à croire que l'archétype ancestral (colonial ) freine leurs esprits à admettre une bonne fois pour toutes que notre ETRE se fait et se fera sans EUX.

mariam ben slimane - 12-02-2011 09:49

par quel moyen peut on vulgariser ces eclaircissements (by the way merci pour votre article) au peuple Tunisien? bon peut vous attendez que la presse s'adresse à vous ,or quelle presse ,celle qui a ètè aneantie comme tout autre èlèment de la societe Tunisienne par le passage simultanè de compacteurs reducteurs ,je vous prie de contacter les elites Tunisienne et venez vers nous ,merci pour cet article Pr med dah Fathallah et LEADERS

citoyenne - 12-02-2011 11:51

cet article est super interessant .j'aimerais ajouter quelques remarques que c'est grace aux valeurs de l'islam qu'a tenue la société tunisienne en dépit d'une bande de voleurs aux pouvoirs absolus! soit la société tunisienne comporte beaucoup de citoyens qui sont ni voleurs ni opportunistes ni arrivistes ni coureurs derrière le pouvoir et l'argent! soit notre religion encourage tous à adhérer à une société respectueuse de l'etre humain et bref de toutes les valeurs universelles depuis que DIEU a créé adam et eve. MERCI PROFESSEUR FATHALLAH.

Hassen Kamoun - 12-02-2011 13:39

« Partout où se développe l’économie de marché, la démocratie finit par s’imposer ». C'est enfin quelque part vrai, pas dans le sens d'éloge d'Atalli, mais dans le sens tellement néfaste de l'économie de marché; bien étayé dans cet article. La réflexion sur la réforme de l'éducation doit tenir compte de certaines propositions telle-que : "L’éducation de l’individu sera axée sur la promotion de ses capacités innées en plus du développement de son sens des responsabilités envers les autres"

B.Louati (économiste chercheur) - 14-02-2011 12:06

L'importation des idées n'est plus éfficace pour expliquer une révolution originelle qui se déclanche de Tunisie pays de passage des civilisations. L'observatoire de Ibn Khaldoun et l'importance de son introduction représente une approche explicative de base des transformations de processus socio-politiques. Le processus d'information est une pièce maitresse pour l'explication de cet evènnement qui s'internationalise. La rivière peut apporter ce que la mer ne pourra pas... Le système s'est trompé systématiquement ... il s'agit de refonte ou de rupture pour se relancer. Une mutation de l'intélligence collective a vue le jour en Tunisie et que l'histoire va commencer...

Didierfqy - 14-02-2011 16:16

L'économie de marché est un système à sens unique. Il ne favorise que les actionnaires. Les plus riches sont encore plus riches et les plus pauvres encore plus pauvres. Espérons qu'Elyes Jouini saura faire preuve d'imagination, pour développer un régime équitable en Tunisie, et qu'il n'écoutera pas les sirènes de la mondialisation!

belhaj ali et jamila - 14-02-2011 18:57

bravo c'est une excellente replique pour Attali. La Tunisie a besoin de toi et de tes semblables qui sont tres peu nombreux

mourad - 14-02-2011 21:25

Tout a fait d accord avec l article puisque les dictateurs mis en place sont en fait les pantins des multinationales et on a vu les dérives qui en ont découlé;quant aux prétendues mesures du FMI et de la BIRD au lieu de soigner le "patient" a savoir les pays en développement elles ne font qu aggraver le mal.

sociotunisien - 21-02-2011 17:40

Oui à la création d'un Conseil National de protection de la revolution tunisienne. Ce conseil composé de véritables patriotes dont les positions sont connues de tous en créant ce Conseil qui deviendra automatiquement le CONSEIL CONSTITUTIONNEL aura pour mission la sauvegarde et la concrétisation dans la vie politique et économique de la Tunisie les principes de cette révolution dont le but est la dignité.Cette dernière prendra forme en trouvant du travail à tous les tunisiens. Ceci se fera en comptant sur nous-mêmes et sur nos ressources qui sont véritablement énormes: la preuve tous les "exploiteurs" nous ont pillé et veulent continuer à le faire pour des salaires de misère. Quelques-uns affirment que si on augmente les salaires on ne sera plus compétitif, pourquoi ne pas proposer de nationaliser toutes les sociétés et de construire et fabriquer TOUT ce dont on a besoin par nos propres moyens SANS DEPENDANCE AUCUNE et je propose d'arrêter de payer les dettes car les bailleurs de fond ont été réellement remboursés et en outre par la corruption, la fuite des capitaux et des cerveaux, la colonisation , la néo-colonisation le capitalisme nous sucent et vivent à nos dépens. TOUS les pays du MONDE doivent ROMPRE la chaine de la mondialisation capitaliste qui mènent le monde à sa PERTE.

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