Opinions - 20.10.2014

Banques, comment réformer?

Si la réforme bancaire pouvait se faire par les fusions et par les recapitalisations, alors il n y a pas plus facile que d’y parvenir.

Décrétons une Loi sur une taille minimale et bien déterminée en fonds propres bancaires (et non en capital social) et les banques se retrouveront dans l’obligation de se rapprocher à deux ou à plus. Elles fusionneront à souhait.

De même, un discours budgétaire et convaincant au Parlement mènerait à voter des rallonges en capitaux pour les banques publiques. Ou alors adossons-nous à une maison de titres internationale (CACEIS Bank, JP Morgan ou Goldman Sachs …) et une levée de capitaux en titres participatifs se bouclera au plus tôt. Les capitaux viendront, auront juste leurs dividendes, et ne commanderons pas les banques en objet.

Mieux ; une levée diluée, une opération de ‘Depositary Reicipt’ sur un marché majeur et en rapport, Luxembourg, Paris ou Londres, permettrait aussi de lever des fonds pour les banques cibles, en des actions à dividendes prioritaires, sans droits de votes.

Qu'a-t-on alors gagné, qu’avons-nous réformé?

Les fusions ne mèneront qu’à aggraver les insuffisances propres à chacune des banques fusionnées. La place a bien connu pareilles expériences. Ni humainement, ni techniquement,  nos banques ne sont actuellement prêtes à réussir des fusions à vrais et à réels objets économique.

Quant aux capitaux rallongés ou ramenés, sans cap et sans sérieuses réformes, ils suivront le sort de toutes les précédentes mises: ratages et cumuls de non valeurs.

La réforme, les crédits

La réforme s’effectuera en agissant sur les déterminants du statu quo bancaire. En ce sens, la répartition structurelle des crédits est révélatrice de l’état statique et figé de l’économie.

Rien que sur la période 1998-2013, 15 ans, tant en matrice médiane, qu’en moyennes, l’industrie est restée figé à 38% du total des crédits, l’agriculture à 6% et les services à 56%.

Le total des crédits octroyés, lui, est constamment inférieur à 70% du PIB.

Même quand, en 2011-2013, où ce taux de 70% a été légèrement dépassé, la répartition des crédits est restée figée autour de la même combinaison (38%, 6% et 56%).

(38-6-56) en permanence: ce n’est plus du financement de l’économie dont il s’agit. C’est plutôt de rationnement de l’économie dont il s’agit. Une économie perfusée.

La réforme commence par là. Le déverrouillage doit s’opérer par l’élévation des crédits à 100% du PIB. Les 30% additives, soit une taille de 29 milliards de dinars / an, sera le levier principal du financement de la nécessaire économie régionale à lancer. L’économie rurale, agricole, dont la Tunisie a besoin.

La réforme, le PNB

Avec une taille de l’ordre de 2,5 milliards de dinars en 2013, le PNB, le Produit Net Bancaire, des banques tunisiennes cotées est faible, insuffisant, et stagnant.

Stagnant, car il ne progresse qu’en termes absolus et vagues, 13% entre 2013 et 2012. En valeur ajoutée, par rapport au PIB, le PNB bancaire reste statique, autour de 3%.

Faible : en juin 2014, les banques ont affiché, en Bourse, l’une des plus faibles progressions de revenus, de PNB, +8% par rapport à juin 2013. Le difficile et serré métier des Assurances a affiché +12% de progression. La distribution, +19%. Le Bâtiment et la Constructions, 81%.

Insuffisant, Il le demeure gravement par rapport à deux considérations essentielles :

  • Une insuffisance continue par rapport à la couverture des créances classées.
  • Une insuffisance continue par rapport au déficit national en nombre d’agences bancaires.

Aux créances classées, records et hors normes, s’ajoute constamment l’insuffisance de leur couverture par les provisions. En  2013, ces créances de 6,3 milliards de dinars, n’étaient couvertes qu’à hauteur de 49%. Les 51% non couvertes se traduisent par un besoin en provisions, issues des PNB, de l’ordre des 3 milliards de dinars supplémentaires.

Dans l’immédiat, le PNB des banques cotées devrait se situer dans les 6 milliards de dinars au lieu des 2,5 milliards réalisés en 2013.

D’autre part, afin de bien couvrir la population, l’économie, il nous faudrait au moins 4 000 agences nouvelles. L’on sera alors autour d’une norme optimale, 1 agence pour 1 500 à 2 000 habitants, contre 1 agence pour 4 500 habitants actuellement, bureaux de Poste compris.

Les enjeux rattachés à ces deux insuffisances sont stratégiques et d’ordre national. Les banques tunisiennes doivent obligatoirement travailler davantage et se mettre aux niveaux qui leurs permettront d’élever leurs revenus.
Pour que la réforme bancaire ait un sens, il faudrait qu’elle soit pragmatique et lisible par tous. La BCT, les officiels, les gens du métier, travailleront tous sur un objectif commun : doubler puis quintupler  les PNB bancaires, public et privé confondus.

Monter en revenus, réaliser des PNB adéquats, équivaudrait à des banques capables de bien couvrir leurs besoins propres tant en exploitations qu’en développements. Et ; partant, des banques qui puissent, enfin, bien accompagner et faire progresser l’économie, la richesse et l’emploi.
La réforme, globale et interconnectée
La bonne démarche serait de réformer dans le sens de l’augmentation du PNB bancaire :

1- Si l’on arrive aujourd’hui à des taux invraisemblables de 40% et 50% de l’économie, du PIB, dans l’informel, c’est qu’une défaillance bancaire y a aidé en partie.

Si nos banques peinent aujourd’hui à accomplir leur mission principale de la collecte des ressources, d’octroyer convenablement les crédits, c’est qu’un dysfonctionnement lourd s’est installé dans le système.
Or l’absence du refinancement bancaire pour les crédits à vocation commerciale empêche déjà les banques d’élargir leurs champs d’activités. La récupération des 50% des richesses informelles, qui échappent à l’économie, passera nécessairement par leurs bancarisations.

Les banques pourront alors y réaliser des revenus supplémentaires. A proportion égale, le PNB bancaire augmentera et doublera.

  • La réforme de nos classifications des crédits bancaires, la réforme de la Banque Centrale de Tunisie, commenceraient bien par ce point.

Pour les ressources, rares et chères, fuyantes, les banques en portent la responsabilité. La pratique de tarifs bancaires élevés ne fait que dé bancariser et que pousser à l’informel.

Quand on sait que dans les économies stables, où le taux de bancarisation est presque de 100%, les frais financiers des ménages ne dépassent pas 1% de leurs budgets ; nous devons nous poser des questions.

  • La réforme bancaire devra aider à la réduction des frais, à penser rémunérer même les dépôts à vue, à rendre gratuit les services bancaires pour les faibles niveaux de dépôts. Et aussi, et surtout, à faire baisser le taux de l’argent, le TMM vers 0.
    C’est cela le bon et juste prix de la réforme et des bons résultats qui en découleront.

2- Les banques tunisiennes ne se sont pas bien adaptées à l’architecture nouvelle du financement de l’économie apportée par la Loi 94. L’accompagnement de l’entreprise dans les marchés boursiers ou d’émissions s’est fait partiellement et s’est fait en dehors des banques.

Le financement de l’économie ne s’est pas, donc, amélioré. La réforme bancaire devrait se faire dans le sens:

  • De favoriser les bons mécanismes apportés par la Loi 94.
  • De corriger la typologie non efficiente du marché financier, des émissions.

En effet la réforme doit être globale. Elle doit naturellement renforcer et élargir les rôles et les prérogatives des Organes de la supervision et de la régulation, le CMF et la BCT.

Le métier de banque, l’économie, nos priorités nationales, gagneraient à voir élargir les missions de la BCT vers les objectifs de l’emploi et de la favorisation de la croissance.

C’est ainsi qu’un TMM réduit, tendant vers o, pourra advenir. C’est un ainsi que le débat sur l’indépendance de la BCT pourrait avoir un sens et une raison.

La réforme c’est aussi un ensemble de règles et d’usages qui aideraient à ce que chacun soit dans son rôle. Qui conduiraient à ne plus tolérer des créances classées supérieures à 5% des engagements. Qui mèneraient à valoriser davantage les hautes fonctions publiques rattachées à la finance et à la banque. Qui guideraient à s’inspirer de la réglementation financière pour élargir et enrichir le champ et les outils de la supervision bancaire.

La réforme bancaire, doit se faire aussi dans le sens de l’Entreprise.

C’est ainsi que la création d’une Agence pour l’Entreprise, regroupant tous les organes d’appuis dispersés, relancera les banques publiques qui l’intégreront. La mission de la dite Agence étant de favoriser la création d’entreprises, les banques concernées, les banques mères STB et BNA, y seraient le bon, solide, et expérimenté bras bancaire.

Leur recapitalisation trouvera alors son sens économique, humain, national, de confiance méritée, et ce, avant de trouver son sens comptable et arithmétique.

Mohamed Abdellatif Chaïbi
Banquier, Statisticien ISUP-Paris

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