Opinions - 02.12.2012

Disparités sociales et régionales et chômage des diplômés du supérieur

Le chômage des diplômés du supérieur constitue sans aucun doute la problématique la plus cruelle à  résoudre et la plus significative de l’impasse dans laquelle la Tunisie s’est engagée depuis quelques décennies. Certes, tout a été dit ou presque sur les causes du problème : dégâts collatéraux de la massification, inadéquation de l’enseignement et de la formation par rapport aux besoins de l’économie, effets  de la pyramide des âges ou bien encore incapacité de l’économie tunisienne telle qu’elle est à résorber le stock actuel des chômeurs diplômés et à donner du travail à un flot continu de plus de 70.000 diplômés nouveaux par an dont les ¾ au moins se déversent  sur le marché de l’emploi(http://www.leaders.com.tn/article/emploi-et-employabilite-des-diplomes-du-superieur-en-tunisie?id=1581). Mais ce dont il s’agit ici est de faire ressortir les effets  additifs aggravants de certaines disparités régionales et sociales. 

Taux de chômage par gouvernorat et région

Le taux de chômage du niveau supérieur n’a pas cessé de s’accroître au cours des dix dernières années sous l’effet conjugué de l’accroissement sensible des effectifs du supérieur et de l’insuffisance de l’offre d’emplois qui pourraient leur être destinée. Ainsi le taux global de chômage est-il passé de 12,9% en 2005 à 18,3% en 2011 alors que celui du niveau supérieur est passé lors de la même période de 14% à 29,2%. Parallèlement, le taux de chômage du niveau primaire a baissé passant de 14,3% en 2005 à 12,4% en 2011, ce qui laisse entendre que le risque  « chômage » augmente avec l’élévation du niveau d’instruction  et non le contraire, constat dramatique pour un pays mieux doté naturellement en « richesses humaines ».    

Evolution du taux de chômage par niveau d’instruction

 

2005

2006

2007

2008

2009

2010

2011

Analphabète

6,3

6,4

4,4

4,2

6,1

5,7

8,0

Primaire

14,3

13,0

11,5

10,6

10,4

9,2

12,4

Secondaire

13,3

12,5

13,5

13,4

14,0

13,7

20,6

Supérieur

14,0

16,9

18,2

20,0

21,9

22,9

29,2

Total

12,9

12,5

12,4

12,4

13,3

13,0

18,3

Source : Enquête Nationale sur l’Emploi (2005, 2006, 2007, 2008, 2009, 2010, 2011), INS

Si l’on observe les données relatives à 2010 (le choix de l’année est délibérée en raison des évènements que l’on sait), on constate que le taux de chômage du niveau supérieur atteint pour l’année considérée son niveau le plus élevé dans la région du Sud-Ouest (Gafsa, Tozeur et Kébili), soit 41,7% ; et son niveau le plus faible dans le District de Tunis (Tunis, l’Ariana, Ben- Arous et Manouba), soit 14,4%. Mais ces données globales cachent des disparités intra régionales  très importantes. En effet, le Gouvernorat de Manouba par exemple enregistre un taux de chômage du supérieur de 24,8% contre 14,4% pour l’ensemble de la région. C’est aussi le cas de Mahdia dans la région du Centre Est avec un taux de 28% (le même niveau qu’au Kef) contre 19,4% pour la région et respectivement 17,5% ; 18,1% ; et 18,1% pour Monastir ; Sousse et Sfax. A l’intérieur du même Gouvernorat, les disparités sont grandes aussi sans atteindre l’amplitude globale entre le littoral et les régions de l’intérieur et du sud.   Quoi qu’il en soit les Gouvernorats de Gafsa (46,5% du taux de chômage du niveau supérieur), Kébili (41,3%), Sidi Bouzid (40,2%), Kasserine (38,5%), Tataouine (38,4%) et Jendouba (38,2%) se classent en queue de peloton alors que les Gouvernorats de l’Ariana (11,2%), Tunis (13,9%), Ben Arous (14,6%), Monastir (17,5%) et Sfax (18,1%) se classent en tête.

Taux de chômage par région en 2010

Région

Taux global

Taux de chômage du niveau supérieur

District de Tunis

13,2%

14,4%

Nord-Est

11,0%

21,9%

Centre Est

9,3%

19,4%

Sud-Est

16,8%

35,4%

Nord-Ouest

14,4%

31,6%

Centre Ouest

14,8%

38,1%

Sud-Ouest

23,4%

41,7%

ENSEMBLE

13,0%

22,9%

Source : INS

Pour la même année, le chômage du niveau du supérieur a touché certaines filières plus que d’autres. Ainsi les diplômés des filières dites courtes (technicien supérieur et équivalent) ont représenté 41,6% de l’effectif global des chômeurs du niveau supérieur contre 15,2% pour les licenciés en Lettres et Sciences humaines; 16,5% pour les licenciés en Droit, Economie et Gestion ; 19,6% pour les autres licenciés ; 7,1% pour les autres diplômés de l’enseignement supérieur.  Ainsi les filières courtes et licences accaparent-elles 92,9% du chômage du niveau supérieur.

Chômeurs de l’enseignement supérieur selon la nature du diplôme par région en 2010

Région

TS et équivalent

Licence en L.S.H

Licence en D.E.G

Autres licenciés

Autres diplômés

Total

District de Tunis

10386

4212

7146

5248

3104

30095

Nord-Est

6893

1780

3044

2438

1432

15587

Centre Est

10027

3816

5328

6075

2594

27840

Sud-Est

8627

2765

1958

3491

637

17478

Nord-Ouest

6593

2004

2383

3157

814

14952

Centre Ouest

7569

3986

2023

4314

665

18557

Sud-Ouest

7779

2522

1019

2519

692

14582

ENSEMBLE

57874

21086

22900

27243

9939

139041

Source : INS

Si l’on compare les effectifs des chômeurs par nature du diplôme et par région, soit en référence aux poids démographiques respectifs de ces mêmes régions, soit aux parts respectives du chômage des diplômés du supérieur par région, on constate que les chômeurs des diplômés des filières courtes se concentrent principalement dans certaines régions. Ainsi la partie ouest la moins développée du pays concentre 37,9% des chômeurs diplômés des filières courtes contre 44,1% pour la partie la plus développée et 18% pour le District de Tunis. De même, si les chômeurs de cette catégorie représente 34,5%  du chômage global du supérieur dans le District de Tunis, ils représentent 53,3% dans la région du Sud ouest. En ce qui concerne les licenciés chômeurs en Lettres et en Sciences humaines, les proportions sont respectivement de 14,0% et de 17,3%. .

Cette donne est d’autant plus significative qu’elle est largement corroborée par le poids des chômeurs du niveau supérieur par rapport au chômage global par région. Il s’avère en effet que ce ne sont pas les régions qui enregistrent les taux de chômage du supérieur les plus élevés qui se distinguent par un poids correspondant des chômeurs du supérieur par rapport au chômage global.

Chômage du supérieur par région en 2010 (15 ans et plus)

Région

Chômeurs (1)

Chômeurs du niveau supérieur (2)

2/1 en %

District de Tunis

121122

35298

29,1%

Nord-Est

66409

18042

27,2%

Centre Est

82083

30425

37,1%

Sud-Est

48125

19396

40,3%

Nord-Ouest

62467

17225

27,6%

Centre Ouest

67016

20737

30,9%

Sud-Ouest

44530

16212

36,4%

ENSEMBLE

491842

157335

32,0%

Source : INS

Un début d’explication : les résultats du baccalauréat et « le choix » des filières

Si l’on se rapporte aux résultats du Baccalauréat de 2010, on constate que 23,7% des reçus sont originaires du District de Tunis (Gouvernorats de Tunis, l’Ariana, Ben Arous et Mannouba) ; 23,2% de  la région du Centre Est (Sfax, Sousse, Monastir, Mahdia) et 53,1% du reste des régions. A certains égards, le poids démographique des régions est, sur ce plan du moins, grossièrement respecté. Mais si l’observe le taux de réussite, la moyenne des reçus ou les filières d’orientation pour la même année, des disparités apparaissent.  Par « tradition », certains gouvernorats comme Sfax, Mahdia, Sousse, Monastir, Nabeul, L’Ariana et Tunis sont, en moyenne, situés en haut de l’échelle pour ce qui est du taux de réussite au baccalauréat, d’autres comme Gafsa, Tataouine, Kébili, Kasserine et Sidi Bouzid sont systématiquement en bas. L’ordre dans un groupe ou l’autre change parfois d’une année à l’autre, mais le résultat est invariablement le même : il y a les bons gouvernorats et les autres. Bien évidemment, ces résultats ont un impact certain sur l’orientation vers les diverses filières (encore que le score joue mais ne modifie pas radicalement l’ordre des choses et que certaines disparités à l’intérieur du même gouvernorat ont tendance à escamoter le lien entre filières choisies et résultats globaux comme c’est le cas à l’Ariana où est implanté le Lycée qui fournit le contingent le plus important des bacheliers orientés vers la médecine par exemple).  

Classement des gouvernorats par taux de réussite au bac (Session principale)

Gouvernorat

Rang 2005

Rang 2006

Rang 2008

Rang 2009

Rang 2010

Rang 2011

Tunis

7

8

5

7

10

6

L’Ariana

6

6

7

6

5

4

Ben Arous

10

9

8

11

9

8

Manouba

17

17

13

14

13

13

Nabeul

5

5

3

4

3

9

Zaghouan

11

18

17

19

18

17

Bizerte

13

13

10

8

8

11

Béja

22

15

18

17

17

15

Jendouba

24

24

21

16

16

22

Le Kef

16

14

19

23

20

20

Siliana

19

11

15

12

12

14

Kairouan

9

10

14

15

14

12

Kasserine

21

21

23

24

21

16

Sidi Bouzid

20

19

20

18

19

21

Sousse

2

2

4

2

1

5

Monastir

3

3

2

3

7

2

Mahdia

4

4

6

5

4

3

Sfax

1

1

1

1

2

1

Gafsa

23

23

22

20

24

24

Tozeur

18

22

11

10

15

19

Kébili

14

20

24

21

22

18

Gabès

12

12

12

13

11

10

Médenine

8

7

9

9

6

7

Tataouine

15

16

16

22

23

23

En 2010, la région du District de Tunis accapare 30,1% des orientés vers la filière « Médecine » contre 33,7% pour la région du Centre Est et 36,2% pour le reste des régions. En ce qui concerne les études d’ingénieurs, les parts sont respectivement de  26,5% ; 29,0% et 44,5%. Le pourcentage s’élève considérablement en faveur des deux régions indiquées s’agissant des grandes écoles de gestion (50,9% ; 31,9% contre 17,3% pour le reste des régions).   Par gouvernorat, la palme en matière d’orientation des bacheliers vers les études médicales revient à l’Ariana dont 3,9% y ont été orientés suivi de Sfax (2,7% des bacheliers) ; Monastir (2,6%) ; Sousse (2,5%) et Mahdia (2,1%) alors le pourcentage des bacheliers orientés vers la même filière n’est que de 0,2% à Tataouine ; 0,4% à Zaghouan et Siliana. En ce qui concerne le pourcentage des bacheliers orientés vers les études d’ingénieur, le gouvernorat de Sfax se distingue plus particulièrement avec 12,3% des bacheliers ; suivi de Nabeul (12,2%) ; L’Ariana (10,5%) et Monastir (9,7%) contre 1,8% pour Tataouine ; 3,6% pour Kairouan ; 3,7% pour Gabès ; 4,6% pour Siliana  et 5% pour Kébili et Kasserine. De même ; 8,2% des bacheliers de Tunis ont été orientés vers les grandes écoles de Gestion ; 7,4% à L’Ariana ;  7,3% à Sousse contre 0,3% à Tataouine et Gabès et 0,4% à Kébili, Gafsa et Sidi Bouzid.    

Effectifs des bacheliers orientés par filière et par gouvernorat en 2010

Gouvernorat

Médecine

Ingénieurs

G.E.Gestion

Autres

Total

Tunis

206

783

708

6957

8654

L’Ariana

150

398

283

2971

3802

Ben Arous

62

405

305

3890

4662

Manouba

16

161

103

2251

2531

Nabeul

95

632

150

4304

5181

Zaghouan

4

60

27

1000

1091

Bizerte

53

368

155

3385

3961

Béja

17

143

37

1950

2147

Jendouba

17

183

19

2838

3057

Le Kef

30

172

17

2028

2247

Siliana

7

84

14

1720

1825

Kairouan

72

142

48

3731

3993

Kasserine

27

160

16

3011

3214

Sidi Bouzid

29

193

13

2948

3183

Sousse

119

424

354

3922

4819

Monastir

111

407

147

3542

4207

Mahdia

59

186

79

2468

2792

Sfax

197

896

359

5860

7312

Gafsa

43

291

13

2949

3296

Tozeur

8

66

7

843

924

Kébili

9

69

5

1285

1368

Gabès

45

121

10

3053

3229

Médenine

62

234

74

3472

3842

Tataouine

3

26

4

1378

1411

TOTAL

1441

6604

2947

71756

82748

Source :  Mohamed Hedi ZAIEM (Les inégalités régionales et sociales dans l’enseignement supérieur)

L’impact des inégalités sociales

Les moyennes obtenues au baccalauréat par grandes catégories sociales font ressortir un lien direct entre la catégorie socioprofessionnelle à laquelle on appartient et la « moyenne »  des moyennes obtenue au baccalauréat, tant au niveau du taux de réussite qu’au niveau de la moyenne obtenue. Plus on s’élève dans la hiérarchie sociale, meilleurs sont les résultats à l’examen du baccalauréat, plus grande est la chance d’être orientée vers les études médicales, d’ingéniorat ou de gestion. Il faut dire qu’outre l’origine sociale des élèves, il s’est développé en Tunisie  depuis un quart de siècle une hiérarchie des Lycées. Les parents vont jusqu’à tricher délibérément sur leur lieu de résidence véritable pour inscrire leurs enfants dans tel Lycée de préférence à un autre.

Certes l’excellence dans les Lycées est apportée, dans une certaine mesure, par les élèves et les parents eux-mêmes, mais il est incontestable que le poids financier des études particulières et la concentration des meilleurs professeurs dans certaines zones et  Lycées ont joué considérablement en faveur des élèves issus de milieux sociaux favorisés. Les moyennes obtenues au baccalauréat en 2010 le démontrent.   En effet, si la moyenne nationale s’est située cette année-là à 11,09/20 ; la moyenne des élèves issus des classes sociales modestes n’a été que 10,44/20 contre 11,10/20 pour les classes moyennes et 12,10/20 pour les classes sociales supérieures. Quant au nombre de bacheliers, on constate que les CSP supérieures qui ne représentent pourtant que 5,1% des ménages accaparent 16% des bacheliers alors que les CSP modestes qui représentent près de 40% des ménages n’ont que 27% des bacheliers. Ce phénomène est évidemment amplifié en raison du nombre d’enfants par ménage et par catégorie socioprofessionnelle.

Moyenne au baccalauréat selon la CSP

CSP

Moyenne

Effectifs des élèves

Effectives des élèves en %

Pondération de la CSP

Modestes

10,44

22221

26,9%

39,8%

Moyennes

11,10

27734

33,5%

22,7%

Supérieures

12,10

13218

16,0%

5,1%

Non déclarées (ou identifiées)

11,15

19575

23,7%

32,4%

Ensemble

11,09

82748

100,0%

100,0%

Source :  Mohamed Hedi ZAIEM (Les inégalités régionales et sociales dans l’enseignement supérieur)

(Nous convenons que la référence à la profession du père ne suffit pas à définir correctement le milieu social auquel on appartient, ni d’ailleurs la référence à la tranche de dépenses. Aussi, nous adoptons, faute de mieux, la nomenclature adoptée par l’INS qui subdivise les ménages en 12 catégories socioprofessionnelles principales. La pondération de la répartition en quatrième colonne du tableau est relative à l’enquête de consommation des ménages de 2005) 

Pour la même année 2010, sur 1441 bacheliers orientés vers les études médicales 43,6% ont des parents qui appartiennent  aux catégories socioprofessionnelles supérieures  contre 4,7% pour les élèves dont les parents appartiennent aux catégories sociales les plus modestes et 23,3% pour les élèves appartenant aux classes moyennes, celles-ci représentant pourtant les 2/3 de la population. En ce qui concerne les bacheliers orientés vers les études d’ingénieur, la part des CSP supérieures descend à 30,3% contre 33,7% pour les CSP moyennes et 11,6% pour les classes sociales modestes. Les classes moyennes réduisent l’écart en ce qui concerne les bacheliers orientés vers les grandes écoles de gestion avec 35% du total contre 26,2% pour les classes sociales supérieures et 13% pour les classes modestes (la différence dans chaque configuration entre 100% et la somme des parts des trois CSP énumérées est comptabilisée au crédit des CSP non déclarées)

Filières d’orientation selon la CSP des parents en 2010

CSP

Médecine

Ingénieurs

G.E.Gestion

Autres

Total

Modestes

68

765

384

21004

22221

Moyennes

336

2223

1031

24144

27734

Supérieures

628

1999

772

9819

13218

Non déclarées

409

1617

760

16789

19575

Ensemble

1441

6604

2947

71756

82748

Source :  Mohamed Hedi ZAIEM (Les inégalités régionales et sociales dans l’enseignement supérieur)

Or on sait que le taux de chômage des diplômés du supérieur varie très substantiellement selon les filières. Sur 223.700 chômeurs diplômés recensés en Novembre 2011, le taux de chômage des diplômés des filières courtes avoisine 45,2% du total alors que celui des diplômés des filières « Maîtrise » atteint 46,3% contre 8,5% seulement pour les autres filières (médecine, pharmacie, ingénieurs, etc.). Une première explication de la distribution inégale du chômage en général, du chômage des diplômés en particulier, réside donc dans les résultats du baccalauréat et par voie de conséquence dans l’orientation vers certaines filières de peu d’employabilité. C’est ainsi que Kébili, Tataouine, Gafsa, Sidi Bouzid et Kasserine se distinguent tout à la fois par des résultats médiocres au Baccalauréat, des filières « obstruées » et enfin par de forts taux de chômage des diplômés du supérieur.

Répartition des chômeurs de l’enseignement supérieur selon la nature du diplôme en 1000

Nature du diplôme

Mai 2006

Mai 2007

Mai 2008

Mai 2009

Mai 2010

Mai 2011

Novembre 2011

TS ou équivalent

25,3

33,1

41,0

52,2

57,9

87,1

101,2

Maîtrise en sciences humaines

12,4

14,9

17,2

18,3

21,1

32,0

31,8

Maîtrise en sciences exactes

11,2

13,2

18,9

23,9

27,2

36,9

39,2

Maîtrise en droit, économie et gestion

17,5

18,0

20,7

22,6

22,9

30,8

32,5

Autres diplômes

4,8

5,8

7,0

8,0

9,9

15,5

19,0

Total

71,2

85,0

104,8

125,0

139,0

202,3

223,7

Source : INS

Le constat

Le premier est que le chômage des diplômés du supérieur est lié, à titre individuel, aux résultats du baccalauréat, mais que ceux-ci sont plus au moins liés à la région d’origine et à la catégorie socioprofessionnelle à laquelle on appartient. Le chômage des diplômés du supérieur est en quelque sorte la résultante du degré de l’engagement individuel des élèves, des parents et des enseignants, mais aussi les conséquences d’une forme d’héritage régional et social handicapant. Naturellement, le mérite personnel joue, mais il semble qu’il pèse de moins en moins lourd face à certains résidus régionaux et sociaux infiniment plus rédhibitoires. Autrement dit, l’école ne joue plus son rôle d’ascenseur social, pas plus sur le plan national que sur le plan régional. Curieusement, ce problème est systématiquement escamoté par les bien-pensants et la classe politique d’hier et d’aujourd’hui.  

Faut-il instituer alors une forme de discrimination positive en faveur des régions et des catégories sociales défavorisées dans le but de faciliter l’accès de leurs bacheliers aux filières les plus prisées ? Si l’on tient à la République une et indivisible et des valeurs comme la méritocratie, on ne peut répondre que par la négative. De surcroît, cela conduirait à un nivellement par le bas et plus grave encore à une forme d’amnésie consciente qui dispenserait la société et les décideurs de ne pas affronter de face un certain nombre d’effets pervers (cours particuliers, note pédagogique comme base des choix des enseignants, etc.).

Le second est que l’implantation de projets industriels dans les régions défavorisées ne pourrait pas réduire, à elle seule, le taux de chômage des diplômés du supérieur, gouvernorat par gouvernorat. En effet, faute de main d’œuvre qualifiée sur place, l’impact de ces implantations sur l’emploi local direct destiné aux diplômés du supérieur sera nécessairement réduit. Quant à l’emploi indirect, il sera forcément dépendant de l’engagement « local » de l’emploi direct généré. Dans le cas contraire, on arrivera, sur ce plan du moins, à une forme de développement du pôle et non à un pôle de développement, ce qui a été le cas , rappelons-le, à Kasserine et à Gabès. En d’autres termes, l’implantation de projets industriels dans les zones les moins favorisées doit être couplée nécessairement avec un programme de mise à niveau des diplômés chômeurs des régions considérées.

Est-ce à dire que les régions les moins favorisées doivent être laissées sur la route  et ne pas bénéficier de toutes les priorités en matière d’investissement public et privé? Certainement pas. Mais il est indispensable et même urgent de mettre chacun devant ses responsabilités. Les mentalités et les comportements sociaux doivent changer au plus vite dans les régions défavorisées, en particulier face à l’éducation. Après tout, le développement n’est en définitive qu’une évolution progressive et progressiste des mentalités et des comportements sociaux. C’est d’ailleurs dans cette perspective que l’Etat se doit d’intervenir courageusement dans son domaine, quitte à choquer et aller à contre courant du sens commun (des projets industriels sont en panne dans certaines régions à cause, notamment, de la faiblesse de l’Etat à résoudre certains problèmes fonciers).

Le troisième constat est que le chômage des diplômés du supérieur n’est nécessairement pas une fatalité  pour peu qu’une prise de conscience fasse le jour intimant à la société, les partis politiques, les enseignants, les syndicats et le monde économique la nécessité absolue de procéder à un certain nombre de réformes structurelles. On pense, à tort malheureusement, que le pays pourrait résoudre ses multiples problèmes dont le chômage des diplômés en psalmodiant quelques incantations ou en chargeant le débat public de quelques querelles spectaculaires et stériles. Or le seul moyen d’y faire face véritablement est  de s’atteler à l’essentiel, à commencer par la réforme fiscale, mère de toutes les réformes et seule source équitable de donner à l’Etat les moyens de son ambition, la réforme de l’éducation et de la formation sans laquelle rien ne pourra se réaliser et enfin la réforme de la stratégie économique, la stratégie industrielle tout particulièrement.   

Le quatrième constat est que par ignorance ou cynisme, ou les deux à la fois, les nombreux marchands de sable qui sévissent actuellement dans notre pays continuent impunément à distiller leur poison mortel en laissant croire que le chômage des diplômés du supérieur peut être réduit, presque sans effort et sans remise en cause, simplement à coup de créations d’emploi dans la Fonction Publique. Ce discours est tout à la fois ignorantiste et ignominieux. En fait, ceux qui le tiennent font preuve d’un irrespect total envers les diplômés du supérieur et leurs familles dans la mesure où le respect commande, tout au contraire, de dire la vérité  et de bannir la démagogie. 

Le cinquième et dernier constat est que le taux de chômage par région et par CSP constitue la conséquence directe de l’aggravation des inégalités régionales et sociales et non l’inverse. Vouloir combattre le chômage par région et par catégorie socioprofessionnelle sans remettre en cause, concomitamment, le modèle de développement, le rôle de l’Etat, la répartition primaire des revenus et les mécanismes de redistribution revient à mettre les habits de Don Quichotte se battant dérisoirement contre les moulins à vent.

Habib Touhami

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1 Commentaire
Les Commentaires
gaha chiha - 05-12-2012 11:51

J'apprécie les analyses de Si Touhami. Bien documentés et bien conduits, ses écrits m'éclairent et donnent aux lecteurs des opportunités de compréhension... dans l'article présent, Si Touhami écrivait à juste titre cette phrase: "Mais il est indispensable et même urgent de mettre chacun devant ses responsabilités. Les mentalités et les comportements sociaux doivent changer au plus vite dans les régions défavorisées, en particulier face à l’éducation". Il a bien raison l'auteur, cependant, peut-il reprendre ce point de vue et nous dire comment y parvenir... Merci

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