Opinions - 23.11.2012

Le CPR sauvera la démocratie

En cette période historique que traverse notre pays, il est très certainement du devoir de chaque citoyen et de l’élite en particulier d’assumer la lourde responsabilité d’écrire son avenir et d’en apprécier la teneur. Aucun pays ne peut faire face à un tel bouleversement sans compter sur toutes les forces vives de la nation et à leur tête la société civile comme véritable colonne vertébrale. La construction démocratique est bien l’affaire de tous et ne doit en aucun cas se limiter aux seules institutions si légitimes soient-elles. La Tunisie a besoin de son peuple, de ses partis politiques, de ses syndicats, de ses associations et de son élite dans une interaction permanente ayant pour objectif de créer une dynamique positive et des contre-pouvoirs indispensables à la vie démocratique.

La vie politique en Tunisie connaît une effervescence sans précédent avec tout ce que cela implique comme changements. Cette vitalité témoigne de la maturité du peuple tunisien et de la vitesse à laquelle son élite intègre les mécanismes de la démocratie. Les débordements et les abus de toutes sortes ont tout de même une vertu pédagogique dans un pays qui a trop longtemps souffert de l’absence d’un minimum de pratique démocratique. Ce qui est appréciable politiquement, c’est le fait que tous les différends et toutes les polémiques sont gérés à l’intérieur des institutions et dans le cadre des normes juridiques, qu’elles soient nationales ou internationales, ce qui représente la meilleure preuve de la maturité du peuple tunisien et le sens de l’Etat chez au moins une grande partie de son élite.

Le premier constat que l’on peut faire est que nous avons deux mouvements, un mouvement à la surface et un deuxième souterrain. A l’image de l’activité sismique, le souterrain est à la fois invisible et déterminant. Le mouvement tectonique fait souvent télescoper des plaques qui modifient la configuration à la surface. Il en va de même pour la vie politique en Tunisie avec des tractations souterraines, de nouvelles alliances qui ne se déroulent pas sans heurts mais qui finiront par la force des choses par faire rejaillir à la surface une nouvelle configuration politique. Plus clairement, nous assistons à la gestation d’une nouvelle naissance, d’un corps politique hybride dont l’élément fédérateur serait la reconquête du pouvoir  par tous les moyens. Une grande partie de l’opposition en Tunisie n’a jamais pu digérer le résultat des élections du 23 octobre 2011 qui a porté au pouvoir les exclus d’hier. Cette opposition est frustrée de voir aux manettes du pays ceux qu’elle considère comme « personnes inappropriées » avec comme arrière-pensée le ségrégationnisme de classes et de régions.

D’un autre côté, la Troïka au pouvoir a fait certaines erreurs de gestion dues principalement au manque d’expérience auquel s’ajoutent certaines prises de position de la part d’une partie du leadership du parti Ennahdha qui n’a fait que renforcer l’opposition et lui donner des arguments exploitables aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Notre démocratie naissante reste tout de même capable de digérer ces conflits qui ne font qu’accélérer le mouvement souterrain comme celui de la surface. Des plaques tectoniques sont en mouvement à l’intérieur de tous les partis de la Troïka, plus visible chez le CPR et Ettakatol à cause de leur taille mais aussi de leurs structures et de la culture démocratique en leur sein. En revanche, le mouvement est plus profond chez Ennahdha car il se fait sur un arrière-plan idéologique et des choix de société, ce qui implique un plus grand risque de choc frontal, voire de scission.

Quant aux partis de l’opposition, ils ont la conscience de la fragilité, le moins que l’on puisse dire, de leur assise populaire malgré les moyens colossaux dont ils disposent. Ils tentent désespérément de se regrouper dans une entité hétéroclite soudée par le seul et unique objectif, celui de représenter la seule alternative possible à la Troïka et écarter Ennahdha définitivement du pouvoir. La stratégie aussi bien pour Ennahdha que pour Nida Tounès consiste à polariser la scène politique par l’absorption de tous les partis considérés comme « satellites ». Pour Ennahdha, le CPR et Ettakatol ne peuvent assurer leur survie qu’en s’associant à ce grand parti, ce qui condamnerait le CPR et Ettakatol à terme à disparaître de la scène politique. Nida Tounès, de son côté, tente de phagocyter tous les autres partis de l’opposition en leur faisant miroiter le fait que leur survie dépend aussi de cette nouvelle alliance sur fond de calcules électoraliste.

Les deux scenarii représentent un véritable danger pour la démocratie en Tunisie. Dans les deux cas, le choix des Tunisiens se ferait par défaut et non par adhésion, on voterait toujours contre l’autre et non par conviction. L’offre politique ainsi appauvrie, nous aurions le choix entre deux absolus, entre deux radicalités sans véritable contre-pouvoir ou alternative. Ce scenario cauchemardesque doit être évité si l’on veut construire une véritable démocratie avec une pluralité de choix et une offre politique plus riche.

Du cauchemar de la polarisation au rêve de pluralité

Par son engagement dans une alliance contre-nature au sein de la Troïka, le CPR n’avait comme objectif que la réussite du processus démocratique en agissant aussi bien au niveau de l’Assemblée constituante qu’à celui de l’exécutif. Si sur le premier niveau, la performance du CPR est optimale, elle l’est moins au sein de l’exécutif ou du moins son action est peu visible mais demeure primordiale en dépit des prérogatives limitées du président de la République et des ministres du CPR.

Pour la Constituante, l’interaction avec Ennahdha a fait bouger les lignes de démarcation le plus souvent en faveur des thèses défendues par le CPR, notamment pour un Etat civil, une démocratie ouverte et pluraliste, les libertés individuelles et collectives, les libertés de créer et de croyance, pour un régime politique mixte et toutes les avancées enregistrées sur le plan législatif. Cette interaction positive, on la doit aussi à Ennahdha qui a su s’adapter pour faire les concessions indispensables au maintien de cette alliance. L’histoire reconnaîtra plus tard l’importance de l’action du CPR et dans une certaine mesure d’Ettakatol dans ce processus fondamental pour la démocratie en Tunisie. Par son positionnement intellectuel et ses références idéologiques, le CPR est le maillon indispensable à l’édification de la démocratie en Tunisie et à l’élimination du risque de polarisation politique.

Pour répondre aux principes de la révolution, le CPR est à l’initiative de plusieurs actions et projets de loi visant à assainir la scène politique de ses éléments les plus corrompus tout en évitant de tomber dans la vengeance aveugle et les divisions au sein d’une population qui a besoin plus que jamais de se souder et de tourner la page : projet de loi pour la protection de la révolution des anciens leaders du RCD, projet  pour une presse libre, projet d’audit de la dette odieuse, projet pour le règlement du dossier des hommes d’affaires en cours d’élaboration, etc.

Le CPR est attaché à l’indépendance de toutes les institutions et il s’est abstenu de procéder à des nominations partisanes au sein de l’administration et dans les rouages de l’Etat, donnant ainsi l’exemple et mettant la barre très haut en termes de responsabilité et de bonne gouvernance.

Quant à la présidence de la République, elle a apporté la caution démocratique dont la Tunisie a besoin pour rassurer le monde entier et inscrire la Tunisie dans le camp des pays démocratiques. Cette présidence a humanisé la fonction présidentielle en réduisant le fossé qui sépare le président de son peuple et en fixant aux successeurs potentiels la nouvelle conduite à tenir. Une présidence du peuple, par le peuple et pour le peuple. Ainsi l’avenir est balisé et le risque de retour en arrière bien amoindri. Ce sont ces actions dont la portée n’est pas matérielle et immédiate que l’histoire retiendra et dont la reconnaissance n’est pas toujours à l’heure dans un contexte social où la priorité d’une bonne partie de la population est limitée aux besoins du quotidien et comment les assouvir au plus vite. Il y a des actions de fond, qui visent à assurer l’avenir du pays et à le sortir définitivement du sous-développement  et ces actions-là peuvent ne pas payer politiquement immédiatement, et il y a d’autres qui peuvent payer politiquement sans que l’histoire n’en retienne la portée car elles sont souvent populistes et mercantiles visant le gain électoraliste au détriment du travail de fond.

Le CPR, fidèle à son sens de l’Etat et à l’idée de servir le pays avant de servir le parti, continuera à défendre le projet démocratique quel qu’en soit le prix à payer politiquement. Raison pour laquelle le CPR est resté pratiquement le seul lien politique et idéologique entre les deux pôles : le conservateur (Ennahdha) et le moderniste (l’opposition) incarnant ainsi l’âme modérée des Tunisiens sûrs de leur identité et sûrs de leur capacité à s’ouvrir sur l’Autre. C’est de cette matrice, de cette « tunisianité » que le CPR est né et que le CPR continuera à défendre. Il compte aussi sur l’intelligence d’un peuple qui a prouvé par le passé qu’il sait reconnaître ceux qui le défendent et défendent ses intérêts et ceux dont l’obsession électoraliste ouvre la voie à toutes les manipulations et toutes les compromissions.

Par son engagement à défendre une démocratie sociale authentique et moderne, le CPR peut et doit être le pivot d’une nouvelle dynamique positive à même de fédérer toutes les forces démocratiques du pays autour d’un même projet pour la Tunisie de demain. L’avenir de la Tunisie se dessine aujourd’hui, et le refus de la polarisation est une condition sine qua non à la réussite du processus démocratique car la véritable démocratie commence par le chiffre trois, raison pour laquelle entre les deux pôles, des partis comme le CPR, Ettakatol, l’Alliance démocratique, et dans une certaine mesure El Joumhouri et El Massar, si ces derniers ne cèdent pas aux sirènes électoralistes de Nida Tounès, sont les vecteurs d’une démocratie pluraliste, vivante et moderne. C’est en ces termes que le CPR définit la Tunisie de demain et c’est ce projet que le parti défendra ayant comme seul objectif la Tunisie que nous avons toujours aimée, plurielle, ouverte, moderne et authentique à la fois, là où il fait bon vivre.

Hédi Ben Abbès
Secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères,
chargé des affaires de l’Amérique et de l’Asie  et porte-parole du CPR