News - 09.11.2012

Foire du livre: Tout y est, mais la culture est réduite à la portion congrue

La Foire internationale du livre de Tunis a offert cette année à ses visiteurs plusieurs « premières ». Normal, serait-on tenté de dire puisque cette 29e est la première depuis la révolution. Dès l’entrée, elle affiche son nouveau look, autre première. Avec une affluence de salafistes extrêmement visible, jamais observée jusque là dans une manifestation culturelle.

Un étal improvisé dressé entre les deux principales portes d’accès donne d’emblée le ton. Aucun visiteur ne peut le rater et pourrait même le prendre pour la mascotte de la Foire. Un jeune salafiste, en habits de style afghan comme il se doit et grosse barbe négligée y officie comme vendeur de parfums exotiques, notamment, semble-t-il, ceux utilisés pour la toilette des morts (essence d’ambre, musc, etc). Beaucoup de gens, en général de même look, s’y agglutinent sans cesse comme pour l’acquisition d’un bien rare et précieux. On se croirait n’importe où, sauf à l’entrée d’une grande exposition de livre. A la rigueur devant une mosquée tenue par des jihadistes ou une zaouia.

Juste en face, sur le parvis, une longue file indienne s’étire devant une tente bédouine pour l’achat de galettes farcies préparées sur place par une nuée de femmes en mélia du sud. Il est vrai que les nourritures terrestres ne sont pas que spirituelles.

Presque tout y est, mais la culture en est le grand parent pauvre.

Passé le hall d’entrée, le visiteur est immédiatement frappé par la proportion très élevée de barbus qui s’affairent en groupes dans les travées et dans les stands. Beaucoup d’entre eux sont surchargés de grands sachets en plastique débordant de titres. Le Tunisien serait-il  devenu à ce point si friand de livres ? On ne tardera pas à trouver l’explication de la ruée sur les livres.

En parcourant les stands, un constat s’impose tout de suite et c’est aussi une première : les éditeurs français, d’habitude très visibles, brillent par leur absence parce qu’ils avaient préféré se faire représenter par les libraires locaux. Ils été supplantés par les exposants égyptiens qui, à eux seuls, occupent le tiers de la superficie totale des stands. Ce sont ces derniers qui sont les plus courues. Les volumineux recueils en plusieurs volumes de fatwas (décrets charaïques), d’exégèse du Coran et d’essais religieux font manifestement un tabac. Des jeunes s’arrachent les collections des fatwas de Cheikh Abdul Aziz Ibn Bez et d’autres docteurs de la foi.

Les titres les plus « en vogue » laissent perplexe. Un livre conseille comment éviter le supplice de la tombe, « Adhab Al-Qabr », c’est son titre. Un autre disserte sur les péchés auxquels les femmes ne doivent pas succomber. Un autre encore présente un argumentaire circonstancié sur les vertus de la polygamie, sans compter les œuvres complètes de Cheikh Rached Ghannouchi signalées par des affichettes un peu partout. Des montagnes de livres théologiques de tous les genres et en langue arabe trouvent aisément preneurs. Le must, que s’arrachent des nuées de jeunes au look salafiste est livre illustré d’un bouquet de fleurs, avec titre rose : « La nuit de ma vie, entre rêve et réalité ». Avec un titre grivois : « l’art des préliminaires et du flirt entre époux ». Editeur : Dar Al-Imen- Alexandrie. Publicité gratuite.

Saisissante est, dans cette foire, cette étonnante promiscuité entre ouvrages voués aux fondamentaux religieux et autres qui traitent de l’intimité des couples…
Sans doute pour contribuer à la préservation de la pureté, un homme propose aux visiteurs, à de petits prix, des gants de crin, accessoire incontournable du hammam.