News - 14.10.2012

Hizb ut-tahrir : Le retour du Califat comme solution?

Surtout ne commettez pas l’erreur de les confondre avec des salafistes. Les dirigeants de Hizb ut-tahrir comme leurs adhérents, en ont horreur. Islamistes, oui, et encore, «des purs», salafistes, pas du tout, s’affirment-ils. Qui sont-ils au fait ? Que prônent-ils ? Et quelle sera leur position à l’égard des prochaines élections? Voyage au cœur d’un des partis les plus spécifiques, des plus anciens parmi ceux actuellement sur la scène et des plus énigmatiques.

Dans le vieux quartier populaire de Bab El Khadhra, au  cœur de Tunis,  une petite porte d’escalier vous conduit au premier étage où se trouve le siège du parti. Un petit appartement vieillot, modeste, avec juste une salle aménagée pour les réunions et un bureau réservé au chef. Officiellement, Ridha Belhadj, qui reçoit Leaders dans ce bureau, n’est  ni le président ni le secrétaire général du parti, juste le porte-parole, celui qui apparaît le plus dans les médias. «En fait, explique-t-il, nous avons un président du bureau politique qui est actuellement Abderraouf Amri, élu pour un mandat tournant de deux ans. Par souci de cohérence du discours, nous avons voulu éviter la multiplication des intervenants, craignant confusion de propos et d’image. Bientôt, nous allons apparaître en masse et en groupe avec une répartition précise des tâches».

A ses côtés, Ahmed Tattar et Mohamed Ali Ben Salem, deux quadras, font partie du bureau de communication. Sur une photo qu’il nous montre, figure Me Hanen Khemiri, avocate qui fera partie de l’équipe dirigeante appelée à plus de visibilité médiatique.

Fondé en 1953 à Amman, en Jordanie, par Taqiuddin an-Nabhani, suite à une scission d’avec les Frères musulmans, il est implanté dans plus de 70 pays, revendiquant des millions d’adhérents et de sympathisants. S’inscrivant contre la violence, il prône le rétablissement du Califat. En Tunisie, ses origines remontent au début des années 70, mais il doit sa notoriété à l’activisme de ses jeunes à l’Université dans les années 80. Après la révolution, se démarquant nettement d’Ennahdha et des salafistes, il a dû attendre jusqu’en juillet 2012 pour obtenir son visa, sans se priver cependant d’organiser des manifestations, tenir des meetings et multiplier les interviews. Au cœur de son programme, le retour du Califat. Ridha Belhadj s’en ouvre à Leaders.

«Nous sommes soumis à une campagne électorale précoce et prolongée, attisée par une classe politique opportuniste, croyant que tout est possible et que le centre de décision est l’Occident auquel il faut plaire et se conformer. La précieuse opportunité historique que nous offre la révolution risque ainsi de se dilapider !». Le jugement de Hizb ut-tahrir est sévère. Son porte-parole, Ridha Belhadj, n’hésite pas à marteler sans cesse : «Le pouvoir est devenu objet de forte convoitise, une prise de guerre : les visages se répètent, les discours aussi, certains cherchent à se faire blanchir. Ceux qui ont échoué par compromission sous la dictature s’activent à se refaire une nouvelle virginité révolutionnaire. Il fallait conserver le mouvement de la Kasbah, cette geste populaire sincère et profonde,  garder vivace sa capacité d’indignation et de contestation et entretenir encore plus longuement et intensément les valeurs de la révolution».

Hizb ut-tahrir participera-t-il aux prochaines élections et avec quel objectif? Se positionnant en alternative, la réponse est nette : «Si c’est participer à l’exercice du pouvoir, c’est non ! Nous ne ferons pas partie du décor, affirme-t-il. Personne jusqu’ici n’a voulu nous impliquer dans l’élaboration de la Constitution ni consulter sur les grands problèmes qui se posent au pays. Alors, nous nous lancerons dans les prochaines élections avec de grandes campagnes pour défendre les intérêts des Tunisiens et constituer une force d’interrogation pour les gouvernants et de contrôle de leur gestion. Notre potentiel sera sans doute très fort et notre poids conséquent. Nous serons l’alternative».

Une course à l’occupation de l’espace

Combien le parti compte en effectif? «Des milliers, se contente de répondre Belhadj, s’excusant de ne pouvoir en donner le chiffre exact pour des considérations internes. Nous enregistrons une forte affluence. L’autre jour à la Soukra, on s’attendait à recevoir 5 000 présents et voilà arriver plus de 7 500. Un peu partout dans le pays, nous implantons nos structures régionales et locales, toujours dans une atmosphère festive. Nos manifestations sont bien accueillies, jamais le moindre incident ou rejet n’a été enregistré. Ceux qui viennent rejoindre nos rangs, de toutes les couches, avec notamment beaucoup de professions libérales, sont ceux qui veulent vivre pleinement leur religion, de manière consensuelle et respectueuse de leurs convictions et pratiques, sans immixtion dans leur vie privée ou accoutrement, et sans concessions quant à leurs principes».

Gardant ses distances vis-à-vis d’Ennahdha, Ridha Belhadj estime que le parti de Ghannouchi, qui a pris conscience de sa véritable situation, essaye à présent de se redéployer sur divers fronts. «On le voit s’employer à mettre la main sur l’appareil de l’Etat, procédant à de multiples nominations, pas toujours en tenant compte de leurs compétences. Il tente aussi de récupérer l’élan révolutionnaire en multipliant les manifestations sur le terrain, et mettant la pression sur le gouvernement. Et il se repositionne sur le thème de l’éveil islamiste, poussant les initiatives de Habib Ellouze et autres prédicateurs. Comme pour se rattraper et sans laisser la révolution se poursuivre et accomplir ses nobles objectifs».

Belhadj rappelle que Hizb ut-tahrir, ancré de longue date en Tunisie, avec  une forte montée en puissance durant les années 80, était déjà bien structuré avant le déclenchement de la révolution. «Cela nous a permis d’y contribuer activement, affirme-t-il, notamment grâce à nos jeunes un peu partout dans le pays et très actifs sur Internet. Nous étions en première ligne dans nombre de régions et à l’avant-garde dans les quartiers les plus chauds, à la Cité Ettadhamen par exemple. Cet ancrage dans la société tunisienne nous a légitimement donné notre place dans le paysage politique au lendemain de la chute de la dictature, mais aussi investis d’une grande responsabilité. Dès le départ, on a voulu nous placer sous la bannière du salafisme dont nous sommes bien loin. Il nous a fallu nous en démarquer nettement et rapidement et nous nous sommes employés à lutter contre l’anarchie et la violence, appelant au sens de la mesure, à la défense des biens et des personnes, au retour de la sécurité et à la reprise des activités».

Ce que prône Hizb ut-tahrir

Etayant les principes fondateurs de son parti, Belhadj souligne que Hizb ut-tahrir bannit la violence qu’il qualifie de véritable crime, s’oppose à toute accointance avec des puissances étrangères, sous quelque forme que ce soit, n’accapare pas l’Islam ni ne s’érige en autorité religieuse fondée à lancer des anathèmes contre certains ou à fournir à d’autres des certificats de bonne conduite religieuse. Il se présente en alternative pour gouverner selon un système intégré et cohérent embrassant les divers aspects, à commencer par l’économie, moteur du développement. «Notre force est dans le détail de nos propositions qui répondent à toutes les interrogations et offrent de véritables modèles éprouvés, affirme-t-il. Notre objectif n’est pas de nous hisser au pouvoir, pour l’accaparer mais de construire un Etat, sans mettre la population devant le fait accompli. Cet Etat, nous le construisons sur la base d’une révolution industrielle et technologique capable de créer de la valeur et de généraliser la prospérité». Cette vision a conduit le parti à privilégier ce que Belhadj qualifie de «grands thèmes mobilisateurs», à savoir la réconciliation de la nation avec son identité, l’action en faveur de l’union arabe et l’audace à faire front contre l’Occident. «Nous constatons aujourd’hui, explique-t-il, un grand éveil islamiste, mais qui n’est cependant pas à l’abri de dangers. Beaucoup de désinvolture, de manipulation, de manque d’encadrement, ce qui souligne la nécessité d’une plus grande maturation».

De grandes menaces sur les salafistes

Quand on l’interroge sur les mouvements salafistes, il prend d’abord garde de ne pas généraliser, puis rappelle que cette tendance s’est affirmée surtout ces dernières années. «Ses adeptes, souligne-t-il, se réfèrent à une seule génération des ancêtres, et non à toute la chaîne, alors que pour nous, nous puisons nos racines dans l’ensemble, essentiellement le Coran et la Sunna. Ma grande crainte est de voir cette mouvance constituer une proie pour des services occidentaux avides d’infiltrer ses groupes, de les implanter ici et là et de les manipuler à leur guise. C’est là un très grand danger. Mais, j’entrevois cependant auprès de certains salafistes une prise de conscience de ces risques et une prudence pour éviter de s’engouffrer dans tant de pièges. Ce que je constate aussi d’un autre côté, c’est la multiplication des provocations qui ne feront qu’attiser les esprits et déchaîner les passions, tout en augmentant les risques d’infiltration et de manipulation».

Pour revenir à la vision de Hizb ut-tahrir, Belhadj estime que «le Tunisien moyen est acquis à son Islam et à l’application de ses préceptes, mais le problème est la bonne application et qui en a la charge. C’est pourquoi nous appelons à l’application de l’Islam, mais avec la nécessité de pouvoir choisir qui en sera responsable et la garantie de pouvoir lui demander des comptes. C’est le seul moyen pour que notre sentiment religieux ne soit pas falsifié ou usurpé».

Plus concrètement, quelle démarche adoptera Hizb ut-tahrir pour contribuer à la sortie de crise et dans la perspective, les mois à venir, des élections ? «La crise est artificielle, répond Belhadj. Elle oppose une vision laïque pour contrer l’aspiration islamique et s’accompagne par une exclusion rapide de la charia. Ceux qui prennent le risque de bannir la charia, sans lui donner d’autres dimensions, privent la révolution de son ambition et de ses perspectives. Ils confisquent nos élans révolutionnaires. Mais, je demeure optimiste, car le grand éveil islamiste est fort, à l’état brut, profondément ancré dans les cœurs. Nous allons bientôt multiplier les initiatives pour dénoncer l’ANC et contester sa méthodologie, en rappelant nos propositions, notamment notre projet de Constitution. D’ailleurs, n’est-il pas déplorable que nous ne soyons nullement consultés à ce sujet et associés aux options fondamentales y afférentes ?».

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