News - 10.09.2012

Jean Daniel : le cri du coeur d'un (vrai) ami de la Tunisie

 Il est toujours intéressant de lire et d’écouter Jean Daniel, non seulement parce qu’il est un grand ami de la Tunisie où il avait séjourné à la fin des années 50 et avait failli y perdre la vie en couvrant les évènements de Bizerte, mais parce qu’il ne s’embarrasse pas de circonlocutions quand il s’agit  de dénoncer nos travers, ne manquant pas à l'occasion de dénoncer les dérives autoritaires des régimes de Bourguiba pour lequel il avait pourtant une grande admiration et surtout de Ben Ali . Venant d’un fin connaisseur de la politique tunisienne,  ses critiques sonnent souvent juste au point d’être appréciés par un Bourguiba dont on connaît pourtant  l’aversion qui lui inspiraient ceux qui osaient lui porter la contradiction. C’est pourquoi, on est attentif à tout ce qu’il écrit, notamment, en cette période trouble que vit le pays et qu’on a peine à saisir. Quelles réflexions lui inspire cette révolution tunisienne, presque deux ans après son déclenchement ? :

« On a beau s’évertuer à penser que les islamistes au pouvoir sont sincères lorsqu’ils parlent d’un islam respectueux de la Constitution et des libertés, chaque jour apporte un incident grave dont les autorités, en principe garantes de l’ordre, ne paraissent guère s’émouvoir. Peu à peu, l’islamisme rampant qui gagnait toutes les couches de la société ne prend même plus les précautions que la peur inspirait à ses militants lorsque régnait une certaine discipline. On peut dire que la violence salafiste s’exerce le plus souvent aux dépens de femmes, et qu’il y a des quartiers où elles ne se hasardent plus dehors.

Le tourisme n’a pas complètement disparu, notamment à Hammamet et à Djerba, mais il y a désormais une nouvelle et sombre Tunisie qui est en train de se développer dans la discrétion et l’efficacité. Il y a encore, certes, dans les forces libérales, des démocrates de tout âge décidés à résister. Les plus optimistes sont ceux qui font dépendre l’avenir du redressement économique, et ce sont donc les investisseurs étrangers qui ont entre leurs mains le destin de ce pays ».


En quelques mots tout est dit : « une nouvelle et sombre Tunisie est en train de se développer dans la discrétion et l’efficacité ». Cette observation recoupe les impressions qu’éprouve la majorité des Tunisiens et non seulement « les résidus de la francophonie » ou la bourgeoisie « décadente ». Il est vrai que nous avons du mal à y croire. Alors que nous pensions que les questions des droits de la femme et de l’égalité entre les sexes ont été réglées une fois pour toutes par le CSP dès 1956, voilà que des voix s’élèvent aujourd’hui, pour remettre en question ces acquis, sur la base d’une lecture littéraliste du coran ; qu'on parle de la femme seulement comme d'un complément de l'homme ; que l'on remet au goût du jour le mariage coutumier, la polygamie, présentée comme le meilleur remède contre...le cancer de l'utérus. Ce n’est pas à la femme seulement  que l’on s’en prend, mais à la Tunisie éternelle, celle de Carthage  et sa constitution, la première du monde antique,  d’Ibn Khaldoun, des réformateurs du XIXe siècle, à son mode de vie. 

Quand Jean Daniel  parle d'islamisation rampante, il est bien optimiste. Ce à quoi nous assistons aujourd'hui, c'est une islamisation galopante pour créer une situation irréversible avant les prochaines élections qu'Ennahdha risque de perdre. La Tunisie, notre Tunisie est en train de nous échapper des mains....A moins d'un sursaut.

Mustapha