Opinions - 09.09.2012

Les évaluations de la situation économique se succèdent: de plus en plus mauvaises

A

près les dégradations des notes de la dette souveraine par les organismes  S&P’s  et Moody’s, après la publication de la  note d’évaluation du système bancaire tunisien (BICRA) qui classe la Tunisie dans la famille 8, après la dégradation des  notes des plus grandes banques et entreprises tunisiennes, nous avons eu récemment la publication de l’Indice Mondial de la Compétitivité élaboré par le Forum  de Davos.
 
Ce classement est le plus important miroir de l’état de santé d’une économie et constitue le référentiel de base des investisseurs. Le classement obtenu par un pays est une sorte de carte de visite ou de vitrine qui lui permet (ou pas) de gagner la confiance des investisseurs et des bailleurs de fond.
 
Le classement 2012-2013 publié  par le Forum de Davos a simplement et carrément exclu la Tunisie en raison «du manque de clarté dans les données et l’impossibilité de les comparer avec les années précédentes».
La Tunisie rejoint ainsi  la liste des pays comme le Soudan, l’Angola ou la Somalie. où il est impossible de donner une vision claire de la situation de la compétitivité économique
 
A noter que la Tunisie a occupé la position 32 en 2010 et 40 en 2011 sur 141 pays. La dégradation de 8 places en 2011 était justifiée par les perturbations liées à la révolution. Le fait d’en être exclue aujourd’hui est un signe très négatif donné aux yeux du monde et une catastrophe que l’on mettra des années à surmonter. Il est évident que la situation de notre économie et les perspectives qu’elles présentent à moyen terme  sont de nature à semer le doute et vont de ce fait nous inscrire dans un cercle vicieux dont on ne sortira que si on change de braquet, qu’on mette les compétences là où il faut et qu’on se focalise sur les volets économique et social que ce gouvernement semble carrément ignorer ou du moins ne pas savoir comment l’aborder.
 
Pour comprendre ce qui signifie ce classement  et les implications négatives que représente le fait de ne pas y figurer, il faut commencer par comprendre  ce que c’est que la notion de compétitivité d’un pays selon le Forum Mondial de Davos : «Nous définissons la compétitivité comme l’ensemble des institutions, des politiques et des facteurs qui déterminent le niveau de productivité d’un pays. Le niveau de productivité, à son tour, détermine le niveau durable de la prospérité dont peut bénéficier une économie. » .
 
En d’autres termes, des économies plus compétitives sont en mesure de produire des niveaux de revenu plus élevés pour les citoyens et  d'améliorer ainsi les conditions de vie d’une population grâce à une meilleure productivité économique et non seulement grâce à un bilan favorable de la balance commerciale.
 
Comment est mesuré l’Indice de Productivité Globale?
 
Pour mesurer cet Indice la méthode consiste à évaluer avec des enquêtes 110 critères structurés  en 12 familles :
Les exigences de base : 43 Critères qui couvrent essentiellement :
  • Les Institutions : le droit des affaires, le système juridique, la sécurité, la bonne gouvernance publique et privée
  • L’infrastructure : transport, communication, électricité, eau, gaz, …
  • Stabilité macroéconomique : finance publique, épargne, inflation, taux d’intérêt
  • Les Systèmes de Santé et d’éducation : indice des grandes épidémies, mortalité infantile, espérance de vie, taux de scolarité, durée de scolarité

Les Facteurs d’amélioration de l’efficacité : 51 critères qui couvrent :

  • L’éducation secondaire, supérieure et continue : quantité et qualité du système de formation
  • L’efficacité du marché des biens : concurrence, fiscalité pesant sur les entreprises, ouverture internationale
  • L’efficacité du marché du travail : flexibilité, niveau des charges sociales, productivité, apprentissage, emploi des femmes 
  • Le perfectionnement du marché financier : liberté, protection des investissements et transparence du système
  • L’aptitude à intégrer la technologie : rapport des sociétés avec l’innovation et accès aux technologies de l’information (TIC)
  • La taille du marché : demande intérieure et capacité d’exportation

Innovation et niveau d’élaboration des facteurs : 16 critères qui couvrent : 

  • Le perfectionnement du tissu économique : présence des partenaires locaux, pôle de compétitivité et qualité du management
  • L’innovation : capacité à innover, niveau d’investissement de la R&D, protection de la propriété intellectuelle
En parcourant cette liste, il nous est aisé de constater que cette évaluation est en fait une évaluation complète de la politique économique d’un pays et de ses perspectives ainsi que des efforts déployés par son gouvernement pour s’inscrire dans une trajectoire de développement et de croissance.
 
Les raisons du non classement de la Tunisie ne sont pas logiques
 
Ne pas être en mesure de figurer dans l’index alors qu’il a été possible de le faire l’année dernière, et alors même qu’il a été possible de le faire cette année pour des pays qui ont vécu les même perturbations comme l’Egypte et la Libye nous laissent perplexes quant à la solidité des arguments évoqués pour justifier le déclassement de la Tunisie.
 
Parmi les autres arguments évoqués publiquement par certains spécialistes et parties prenantes du processus d’évaluation pour justifier le non classement, celui de dire que les résultats obtenus suite à l’enquête sont une aberration statistique et de ce fait non prises en compte est un argument irrecevable. Cet argument, selon toutes les considérations statistiques, ne peut être recevable. Pour définir statistiquement qu’un point de mesure est une aberration, il convient d’abord de le placer dans le nuage global des points qui le précédent et qui lui succèdent avant de le décider. Il aurait fallu maintenir sa validité jusqu’à sa comparaison avec les résultats des enquêtes futures, celles des prochaines années.
 
De la même manière,  je ne suis pas personnellement d‘avis que le Forum de Davos nous a fait une fleur en décidant de ne pas publier nos résultats pourtant disponibles, car ceci est contraire au principe de la transparence et nous prive d’un diagnostic de la situation, lequel diagnostic est nécessaire pour juger ce qui a été fait et surtout pour corriger la trajectoire et les priorités d’action des gouvernants et des décideurs en la matière. 
Il aurait été nettement plus pertinent de pousser au classement de la Tunisie dans l’Index surtout que nous risquons de ne pas y retourner l’année prochaine, ni même les années qui suivent d’une manière automatique dans la mesure où l’argument de non continuité des mesures pourraient alors être évoqué. Pour ma part, entre y figurer, même au plus profond du classement, et en être exclu, je suis résolument pour la première des deux solutions car elle permettra de focaliser les énergies sur le redressement réel et rendra nos progrès futurs plus spectaculaires aux yeux du monde.
 
Sachant,  que les données sont disponibles et les enquêtes réalisées, j’émets deux hypothèses pour expliquer potentiellement l’exclusion de la Tunisie:
 
• La première est que les notes obtenues montrent que la dégradation est telle que nous n’avons même pas atteint les minimums requis,  à savoir les critères dits « exigences de base »,  qui permettent de gagner le droit de figurer dans le classement. Ces critères, (voir plus haut) concernent essentiellement la situation relative au droit des affaires, la corruption, le système juridique, la sécurité, la bonne gouvernance publique et privée, l’infrastructure de transport, de communication, d’électricité, d’eau et gaz ainsi que la situation des finances publiques, l’inflation et les  taux d’intérêt. Il suffit de balayer ces critères et de les rapprocher des actualités du pays sur un an pour se rendre compte sans besoin d’analyse détaillée que la situation s’est réellement détériorée.
 
• La seconde et qui n’exclut pas la première, est que les résultats globaux sont si mauvais, qu’une sorte de « gentlemen agreement » aurait été trouvé entre le gouvernement et le forum de Davos pour nous retirer de l’index et éviter ainsi une mauvaise image.
 
Nous sommes en train de perdre un temps qu’il sera dur de rattraper. Un vent de changement et de transparence économique  doit souffler au plus vite  avant que ce pays ne s’installe dans la décroissance, ne perde tous ses soutiens et ne tue ainsi le moindre espoir que nous avons mis dans la révolution.

H.J.
 
 
 
 
 

 

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2 Commentaires
Les Commentaires
hugelin laurent - 10-09-2012 11:21

Voici un retour à la médecine antique. Le médecin a jugé bon de casser le thermomètre. ( Ceci entre dans le droit fil de la révocation du directeur de la Banque centrale) Le malade n'a plus de fièvre car il n'y a plus de relevé de température. On peut facilement comprendre et ne pas être étonné, qu'après cela, un tel médecin propose de pratiquer une saignée.(!)

khlifi - 10-09-2012 14:04

Si Hichem, je vous renvoie à deux articles de Monsieur Ben Romdhane, économiste comme vous, parus dans le Maghreb (édition française) sur les statistiques publiées par l'INS et vous sauriez, peut-être, pourquoi nos statistiques ne permettent pas d'avoir une idée precise sur la situation.Comparer 2012 à 2011( année chahutée) c'est necessaire mais comparer 2012 à 2010( année normale ) c'est plus transparent.

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