Opinions - 17.08.2012

Quel enjeux pour rétablir la confiance ?

Héritière d'une civilisation vieille de 3000 ans, la Tunisie se distingue par un emplacement stratégique au cœur du bassin méditerranéen et par l'existence d'une brillante intelligentsia. 

A l’aube de l’indépendance en 1956 à contre-courant de tous les pays arabes et au détriment de l’investissement en armement avec Bourguiba la priorité a été donnée à l’éducation et à la santé.

Bref, la Tunisie a su poser des jalons judicieux pour ancrer la société dans le monde moderne. L’accent a été mis sur le développement  de ses ressources humaines et l’égalité entre l’homme et la femme.

Le taux d’alphabétisation des adultes est passé de 16 % en 1960 à  75,3 % en 2001. Le nombre d’étudiants d'enseignement supérieur en Tunisie a subi une croissance vertigineuse, passant de : 5 593 en 1966 à 346 876 en 2011.

Mais le déséquilibre entre le développement vertigineux des capacités de production  de l’enseignement en Tunisie et l’emploi a précipité la faillite du  modèle économique. La peur, l’impuissance et surtout la résistance au développement démocratique ont été le catalyseur de  la défiance de la jeunesse et la révolution du 14 janvier 2011.

La confiance  est cruciale dans l’économie moderne, alors que les Anciens y voyaient un acte de foi soutenu par Dieu.

Le capitalisme moderne, qui semble reposer sur la seule recherche du profit matériel dépend en fait d'un pur acte de confiance celui de se fier à l'autre, à ses promesses et à ses engagements.

Certes depuis  la création de l’argent qui anime notre existence jusqu’aux transactions électroniques modernes basés sur  une simple ligne d’écriture informatique tout  repose sur une mystérieuse convention de foi souvent non  écrite et  jamais signée.

Par contre, dans l’antiquité et surtout chez les théologiens le seul socle solide qui permet d'assurer la confiance c’est la foi en Dieu.

La crise économique de 2008, appelée souvent  à raison dans le monde  anglophone  Grande Récession (Great Recession) est la résultante de la crise financière mondiale qui a débuté en 2007 qui n’est autre qu’une crise de confiance due à la découverte d’arnaqueurs qui manipulent les institutions financières.

Ainsi les banques et les États ne se font plus confiance ; et les individus ne se fient plus ni aux États, ni aux banques, ni à personne c’est la faillite des institutions financières, c’est le chômage et  c'est la crise !
Je cite le philosophe français Pierre-Henri Tavoillot « en temps de crise, ce n'est pas la confiance qui disparaît, c'est la défiance qui s'accroît. Mais si la méfiance advient, alors la fin est proche ».
Bref en Tunisie, dix huit mois après la révolution, c’est  toujours la défiance de certaine catégorie de population envers l’état généré par un manque de confiance.

Seuls le partage de la richesse et la justice sociale  et un nouveau modèle économique permettront de répondre aux aspirations exprimées par nos jeunes lors  de la révolution et ce pour générer la confiance et la motivation qui sont les deux atous capable de  construire une Tunisie plus sûr pour nous tous.
L’écosystème politique est encore aujourd’hui composé d'hommes d'un certain âge pour qui l'exercice du pouvoir se résume à ce qu'ils ont connu durant leur jeunesse. Leurs solutions et méthodes sont celles du passé, et ils ne comprennent pas pourquoi ils sont aujourd'hui inefficaces et impuissants face aux exigences de cette jeunesse  qu'ils ne contrôlent plus. 

Soucieux de préparer la Tunisie aux défis de la mondialisation nos gouvernants , les partis politique et la société  civile n’ont aucune autre alternative que de se mettre à table pour discuter  des enjeux stratégiques de demain qui sont :

• L’enjeu des pratiques sociales et le développement de l'esprit de solidarité nationale.
• L’enjeu de l’économie du savoir
• L’enjeu de l’enseignement et la qualité des ressources humaines
• L'enjeu de la Recherche-Développement (R&D) et l’innovation industrielle
• L’enjeu des infrastructures de base
• L'enjeu du service public et du service universel

1. Les pratiques sociales et le développement de l'esprit de solidarité nationale

La Tunisie  parviendra grâce à un  programme audacieux et original  de développement et d'équité sociale à corriger les inégalités que subissent les personnes, les groupes et les régions défavorisés pour améliorer de façon constante le  bien-être et la paix sociale des Tunisiens.

Les programmes d’enracinement des valeurs de solidarité et le  renforcement des mécanismes d’entraide entre les différentes catégories sociales est  un levier formidable pour relever les grands défis,
Au contraire de ce qui a été dit sous le règne de Ben Ali par des institutions fantoches manipulés par le pouvoir en plac , la  Tunisie a beaucoup manqué de vrai élan de solidarité.

Pendant la révolution libyenne les Tunisiens ont su démontrer qu’ils sont généreux et capables d'un formidable élan de solidarité qui a défrayé la chronique et a été salué par le monde entier.

2. l’économie du savoir

Quant à l’enjeu de l’économie du savoir, qui est seul susceptible de corriger les inégalités entre les régions , les pays développés et pays en développement, entre ceux qui ont la jeunesse, le savoir, l'intelligence et ceux qui ont l’industrie, la matière première ou l’argent.

Le pari (car c’en est un) de la technologie numérique (ou T.I.C.) s’inscrit pleinement dans ce cadre-là. En effet, les technologies numériques, par le maillage de l’espace tunisien de communication ouvrent toute grande la porte à l’essor de l’économie du savoir et  à la mobilité des connaissances, des hommes et des moyens.
En définitive, l'information est devenue réellement la matière première de la nouvelle organisation du travail d'une économie de plus en plus orientée vers la production et la jouissance de biens immatériels et des services.
Les experts ont reconnu que la Tunisie a franchi un pas important dans le secteur TIC  , mais il recommande bon nombre de réformes. Il s’agit aussi de renforcer l’indépendance et les pouvoirs de l’instance nationale de Télécommunications et libérer Totalement le secteur. D’après les experts de la Banque Mondiale,  une libéralisation des télécommunications permettra d’augmenter le PIB de 1% .

Ces experts constatent aussi que le volume des communications à l’international en Tunisie est en stagnation par contre, il est en augmentation dans les  autres pays du Maghreb et en Europe, car les appels internationaux en Tunisie sont parmi les plus chers au monde, coût comparable à celui des économies faibles tels que le Sénégal et la république du Congo.

Les télécommunications à l’international constituent un outil de développement et d’intégration dans l’économie mondiale et sont susceptibles de booster l’investissement extérieur. 

Avec la libéralisation totale du secteur des Télécommunications on pourrait assister à l'émergence de dizaines d’opérateurs virtuels dans la Téléphonie mobile (MVNO), le Téléphonie sur IP et la Télévision sur IP qui vont générer des milliers de postes d’emplois pour nos jeunes diplômés et  auront également pour conséquence l’amélioration de  l’offre et le choix pour les consommateurs et l’intensification des infrastructures.

La filialisation et la mutualisation des Infrastructures réseaux en fibre optique de la STEG, de la société des Autoroutes et de la SNCFT peut booster le secteur et créer des centaines d’emplois.  

Avec la mise en œuvre en Tunisie de l'administration électronique , la carte d'identité électronique, l’école numérique avec le cartable électronique, le livre électronique, les tableaux interactifs et les classe virtuelle on pourrait générer des centaines de milliers d’emplois dans le secteur du multimédia pédagogique et ancrer une industrie génératrice de devises pour l’économie nationale.

Le  pôle de communication Elgazala  constitue un modèle du genre.

– Une population totale regroupant 4000 personnes
– 80 entreprises
– 1370 emplois dont 98% sont des cadres supérieurs
– Huit multinationales
– Un incubateur qui évolue vers une pépinière d’entreprises
–  7 unités de recherche
– Un centre d’études et de recherche en Télécommunications
– 3 établissements de formation dont une école doctorale
– Rayonnement international
–  75 % de la production destiné vers l’export

3. Recherche-Développement (R&D) et l’innovation industrielle

La recherche scientifique et technologique constitue aussi un axe majeur pour soutenir l’innovation et le développement économique en Tunisie.

Ainsi les domaines prioritaires en recherche sont les biotechnologies, les télécommunications, les nanotechnologies , le biomédical, le dessalement de l'eau de mer , l’environnement et l’énergie.
Le nombre d'ingénieurs et de scientifiques en Tunisie est l'un des plus élevés au monde, soit plus de 1 pour 1000 employés..

La Tunisie dispose d’un vivier de chercheurs expatriés qui  contribuent à des programmes prestigieux de recherche en  Europe, aux Etat unis d’Amérique et au Japon.

L’implication de nos meilleurs talents expatriés dans des programmes de coopération internationale peut constituer un levier formidable pour introduire notre pays dans la sphère des pays développés.
La Tunisienne Dr Zoubeïda Ounaïes est un exemple. Elle a à son actif à ce jour aux Etat unis , deux inventions: l’une portant sur «Materials made from carbone nanotube polymer composites and methods for making same » et l’autre portant sur : «Multilayer electroactive polymer composite material ».

Karim Ghariani était déjà à 19 ans, une icône mondiale en mathématiques en simplifiant un problème vieux de plus d’un siècle relatif aux nombres de Bernoulli , grâce à sa « Karimation ».

La Tunisie a enfanté des milliers de surdoués à l’instar de Karim Ghariani de Zoubeïda Ounaïes, d’Elyes Jouini  etc  … des compétences à la réputation internationale bien établie.

Bref  l’économie du savoir qui exige juste de l'intelligence et d’audace, semble être faite pour nous les Tunisiens.

4. L’enjeu des infrastructures de base

En matière d’infrastructure et de superstructure :( routes , autoroutes, maritimes et aériens) le  transport en tant que tel est un élément clé de la compétitivité de l’ensemble de l’économie d’un pays. 

Avec le développement de la  logistique, la Tunisie peut jouer un rôle de carrefour et de pôle d’échange international.

Dans un classement mondial de la logistique publié par la Banque mondiale. La Tunisie arrive au (60e) rang devant  le Maroc (94e) et l’Algérie au 140e derrière.

La performance de La Tunisie s’explique entre autres par la centralité géographique, le développement du secteur des TIC, la qualité des infrastructures et le niveau des ressources humaines.

L’accélération des flux de passagers et de marchandises et le Management logistique peuvent  modifier profondément les stratégies des acteurs économiques en termes d’offre, de demande et de régulation.
La mondialisation va favoriser l’émergence de ce pôle d’activité en Tunisie pour conférer à la Tunisie une dimension internationale et asseoir son attractivité économique et gagner les défis de la compétitivité logistique.
Ces Mutations organisationnelles seront intrinsèquement liées, et à la fois la conséquence aux développements des TIC, de la qualité de nos infrastructures et de nos ressources humaines. 

Les évolutions des TIC associées à de nombreuses avancées technologiques, institutionnelles et commerciales, vont  institués un cercle vertueux pour une flexibilité totale dans les échanges internationaux avec notre pays. 

L'informatique, les réseaux de télécommunication, les systèmes gestionnaires de bases de données (SGBD) et gestionnaires électroniques de documents (GED), les systèmes d'identification des unités logistiques (RFID , GPS & GPRS ) et les systèmes de lecture associés, l'échange de données informatisé (EDI), Internet, les systèmes d’information géographique (GIS) tous est presque acquis à la Tunisie.

« La logistique est l’un des principaux moteurs de la compétitivité. Elle peut entraîner le succès ou l’échec d’un pays à l’heure de la mondialisation » affirme Uri Dadush, Directeur chargé du commerce à la Banque mondiale.
La logistique est  un facteur de dynamisme pour les entreprises situées en amont (la production-transformation) et en aval (la distribution). Les implantations logistiques sont souvent considérées comme sources d’emplois et constituent  un élément-clef de la bonne santé de l’économie d’un pays.

Pour des  raisons d’écosystème logistique favorable les logisticiens internationaux feront de la Tunisie  l’une de leurs destinations privilégiées pour l’échange Europe-Afrique. Près de 200 projets internationaux dans le secteur logistique  sont à la recherche chaque année d’une localisation plus optimale pour leur investissement.

La réalisation de mégas projets structurels stimule l’activité économique et accroît l’attractivité de notre pays ; De plus, ces grandes réalisations conféreront à la Tunisie une dimension internationale et constitueront un acquis majeur pour les générations futures.

Bref, la Tunisie  s’engagera dans un plus fort transfert de valeur ajoutée entre les deux rives de la méditerranée pour une intégration économique régionale dans un monde multipolaire et hétérogène
L’évolution récente des IDE (Investissements Directs Etrangers) traduit une augmentation de l’attractivité de la zone  Tunisie.

Plusieurs acteurs industriels, présents à travers des activités d’assemblage  en Tunisie, ont pris conscience de l’opportunité que représentait la présence d’ingénieurs qualifiés aux salaires modérés et capables de collaborer efficacement avec des équipes européennes.

L’implantation d’entreprises de services hautement technologiques en Tunisie répond à cette même logique de recherche de compétences rares en Europe.

Ces entreprises recrutent en Tunisie des ingénieurs fortement qualifiés et capables d’interagir efficacement avec des clients européens grâce à une maîtrise des langues et à une présence dans des fuseaux horaires proches.

5. L’enjeu de l’enseignement et la qualité des ressources humaines

L’apparition de l’enseignement supérieur en Tunisie remonte loin dans l’histoire .La Tunisie à investi énormément depuis l’indépendance dans les infrastructures d’enseignement. En quelques années, plusieurs établissements d’enseignement supérieur furent créés depuis la création de la première université tunisienne en 1960. Le nombre d’étudiant est passé de 5000 en 1965 à 346 876  en 2010 .

Ce phénomène qui est passé de la stagnation dans  les années 60 à l’explosion les années 2000, repasse à la stagnation en 2025,  suivant l’évolution démographique en Tunisie. Une question stratégique est alors posée : que faire après 2025 ?

Dans la mondialisation,  les États  ont réalisé qu'il existait un marché mondial de l’enseignement supérieur.
Il y a aujourd'hui environ 3,5 millions d'étudiants mobiles à travers le monde. De 1999 à 2004, le nombre d’étudiants mobiles dans le monde a progressé de 41 %, passant de 1,75 à 2,5 millions d’étudiants et tous les indicateurs  donnent  à penser que ce chiffre va encore progresser fortement. À l’horizon 2025, il  devrait quintupler.

L’enseignement supérieur est devenue un enjeu stratégique pour nombre de pays et se révèle être un marché concurrentiel fort. L’émergence du nombre d'étudiants africains et arabes peut  constituer un formidable vivier pour nos  établissements d'enseignement supérieur privé

 L’accueil d’étudiants en mobilité internationale peut  non seulement accroître les recettes de l’enseignement supérieur local, mais peut également s’inscrire dans une stratégie plus vaste le recrutement des talents hautement qualifiés.

De nombreux pays ce sont engagés dans des initiatives de rayonnement international pour attirer le plus possible d’étudiants étrangers. Certains pays, comme Singapour, le Qatar ou Dubai, tentent d’investir lourdement pour bâtir un enseignement supérieur de haut niveau.

Je cite un rapport de L’UNESCO de 2006 : «le dynamisme de l’enseignement supérieur tient aux étudiants africains, arabes et chinois. Ils constituent la force motrice de son internationalisation ».

Cependant, les étudiants originaires d’Afrique subsaharienne restent les plus mobiles au monde, presque trois fois plus que la moyenne mondiale.

La mobilité des étudiants originaires des Etats arabes enregistre aussi une croissance continue, ces étudiants représentaient en 2006  7 % de l’ensemble des étudiants mobiles dans le monde.

Les études à l’étranger représentent le plus souvent des frais non négligeables que les bourses d’études ne couvrent en général que partiellement.

De nombreux États du nord, soucieux de ces enjeux économiques , pour conserver leur compétitivité ont  mis en place des dispositifs attractifs visant à attirer et à conserver « ce réservoir » d’étudiants étrangers.

Comment nos institutions s'adaptent-elles à cette nouvelle donne ?
La Tunisie dispose de tous les ingrédients pour réussir ce défis, ressources humaines qualifiés et une grande expérience de plus d’un demi siècle dans ce secteur.

A cet égard, la mise en œuvre de mécanismes pour le partenariat  public – privé et grandes universités de prestige  pour bénéficier des moyens du public, de la flexibilité du secteur privé  et de  prestige des grandes universités  du nord est vivement recommandée. Il s’agit aussi d’adapter les programmes et la logistique non pas en fonction du marché local, mais en termes de débouchés et d'accès à l'emploi orienté vers l’international et  cela se passe d'abord par l’utilisation des langues et notamment l'anglais.

On peut aussi réfléchir à des outils d’aide à la création en partenariat avec les pays d’Afrique d'institutions de premier cycle ou préparatoires tunisiennes et conclure des accords de double diplôme, des programmes conjoints et des délocalisations de formations avec des établissements locaux d’Afrique.

Les organismes d’aide à l’exportation tel que CEPEX pourrait aider à créer des bureaux à l'étranger pour promouvoir et recruter, voire développer, des formations spécifiques.

Un partenariat université virtuelle tunisienne avec les institutions prives en Tunisie pourrait générer des milliers d’emplois et des ressources non négligeables en devises  en coupant l’herbe sous les pieds de nos concurrents des pays du nord.  

6. L'enjeu du service public et du service universel.

La Tunisie dispose aussi des ressources de grande qualité dans le secteur du service universel, tel que la poste, les télécoms,  la distribution des eaux , l’énergie et la santé.

La aussi, il faut prévoir un partenariat public-privé pour exporter ce savoir-faire tunisien dans les pays d’Afrique.
J’ai travaillé personnellement sur un programme de mise à niveau de la poste libyenne : un partenariat public- privé pourrait créer des centaines de postes d’emplois dans ce secteur.

Enfin, je dirais qu’il faut dépasser la  défiance post-révolutionnaire envers les institutions publiques et la méfiance du public envers la sphère privée et établir des règles de jeux flexibles mais transparentes.
Il est vrai que Les années quatre-vingt dix ont créé un climat malsain caractérisé par l'individualisme et un sentiment d’impuissance  qui a renforcé la défiance et la méfiance.  J’espère que l’ère de l’après-révolution développe la confiance qui  nous sécurise, nous rassure et développe la solidarité et cohésion sociale.

Avec la solidarité, la confiance et la cohésion sociale un peuple intelligent comme  le peuple tunisien est en mesure de relever tous les défis.

Nejib Belhabib