Opinions - 22.06.2012

Caisse de compensation des produits alimentaires: A qui profite-t-elle le plus? Faut-il la supprimer ?

Rien que pour les produits alimentaires, la subvention supportée par le budget de l’Etat à travers la Caisse de compensation atteint, en 2011, 1 000 MD, soit 4% du budget total. La subvention moyenne par personne et par an s’élève à 93D300 et contribue à concurrence de 4,1% à l’augmentation du pouvoir d’achat de la population. Mais en fait, à qui profite-t-elle le plus ? Analyse détaillée.  

Au début des années 70 et pour protéger le pouvoir d’achat du consommateur, le gouvernement tunisien a créé une caisse de compensation dont le budget ne cesse d’augmenter depuis, passant de1MDen1970 à234MD en1985, pour atteindre plus de 1000 MD en 2011.

La subvention n’a cessé d’augmenter pour atteindre aujourd’hui près de 4% du budget de l’Etat. On se demande alors à qui profite cette caisse? A la population urbaine ou rurale, à la population vivant dans les régions côtières ou des régions intérieures? Est-ce vraiment les pauvres qui en profitent le plus? Quel est l’impact de la subvention sur la distribution des revenus?

Pour répondre à ces questions, il est nécessaire d’estimer la subvention par tête, relative à chaque produit subventionné (SPA), à l’ensemble des produits et pour chacune des catégories de consommateurs. En principe, l’enquête sur le budget et la consommation des ménages, réalisée par l’INS en 2011, fournit les dépenses par personne et par an pour les produits subventionnés et pour chaque catégorie (DPA). Malheureusement, les résultats de cette enquête ne sont toujours pas disponibles. C’est pour cette raison que nous avons pris comme base les résultats de l’enquête sur le budget et la consommation des ménages de 2005. Nous avons projeté ensuite les données précédentes à l’horizon 2011. Sachant que les produits subventionnés ont des coefficients d’élasticité revenu et d’élasticité prix très faibles, nous supposons que les quantités consommées, par personne et par an, de ces produits sont restées stables durant les cinq dernières années. Ainsi le seul facteur qui intervient dans cette projection est la hausse des prix d’une façon générale et plus particulièrement celui des produits subventionnés.

Par ailleurs, le ministère de l’Economie a annoncé que durant l’année 2012, il n’y aura pas d’augmentation de prix pour les produits alimentaires subventionnés (Pi11) et a fourni à cette occasion une estimation du montant de la subvention par unité de chaque produit (Si11).

A partir de ces données et de nos projections, nous avons pu estimer pour chaque produit subventionné et pour leur ensemble, le montant de la subvention par personne et par an et sa variation par milieu, par région et par tranche de revenu.

Nos estimations montrent que, au niveau national, la subvention (SPA) s’élève à 93,300 DT par personne et par an en 2011. Cette subvention contribue à concurrence de 4,1% à l’augmentation du pouvoir d’achat de la population puisque chaque citoyen perçoit en moyenne 93,300 DT de subvention pour une dépense monétaire (DPA) moyenne de 2.330 DT.

Le taux d’accroissement annuel moyen de la subvention s’élève à 4%, alors que la consommation privée s’est accrue à un rythme de 6% par an sur les 25 dernières années. En effet, la subvention a presque triplé, passant de 32DT en 1985 à 93,300 DT en 2011.

Actuellement, la subvention couvre uniquement les produits céréaliers, le sucre et les huiles végétales. Ces derniers sont très riches en calories et dont le coût unitaire de la calorie est nettement plus faible que les autres produits alimentaires riches en protéines animales et en calcium. Nous avons constaté que plus on avance dans l’échelle des revenus, plus l’alimentation devient diversifiée et plus le coût unitaire de la calorie devient plus élevé. Dans cette étude, nous avons calculé les variations du niveau de la subvention par personne par an (SPA), selon le milieu de résidence, les régions et le niveau de revenu. Nous avons ainsi déterminé, d’une part, les couches de la population qui profitent le moins de la Caisse de compensation et, d’autre part, nous avons mis en relief la contribution de la subvention à l’amélioration du pouvoir d’achat de chaque groupe.

L’analyse par milieu

L’analyse de la subvention (SPA) par «milieu» montre que :
• La ration alimentaire des urbains est plus diversifiée que celle des ruraux, puisque les produits alimentaires riches en calories (céréale, sucre, huile…) contribuent à concurrence de 19% de l’apport énergétique de la ration des ruraux alors que ce taux atteint à peine 12 % pour la population urbaine.
• Le citoyen du milieu urbain a une  dépense totale par personne et par an (DPA) égale à 2 780 DT dépassant de 87% celle du citoyen rural qui ne dispose que d’une DPA de 1 486 DT
• Nos résultats montrent que la subvention (SPA) pour les ruraux, qui s’élève à 106,400DT, dépasse de 18% celle des urbains avec un montant de 90,300 DT
La population urbaine possédant une DPA plus élevée que les ruraux dispose d’une ration alimentaire plus diversifiée. Leur panier moyen contient alors moins de produits subventionnés que les ruraux, ce qui explique leur niveau individuel plus faible de la subvention. L’amélioration du pouvoir d’achat (SPA/DPA) due à la subvention s’élève à 7,2% en milieu rural, contre 3,1% en milieu urbain. En conclusion, la Caisse de compensation semble plus favorable aux citoyens ruraux par rapport aux urbains. Plus on est urbanisé, moins on profite de la Caisse.

Les disparités par régions

L’étude des disparités des subventions par régions consiste à séparer les régions côtières des régions intérieures.
Nous avons démontré, d’une part, que l’écart en termes de DPA, a atteint 80% entre les régions côtières (2 617 DT) aux dépens des régions de l’intérieure (1 447 DT). D’autre part, la subvention (SPA) dans les régions côtières qui s’élève à 91,900 DT est plus faible que celle des régions de l’intérieur où la SPA dépasse 96,500 DT
Ainsi la subvention de la Caisse de compensation profite plus aux citoyens des régions de l’intérieur, qui voient leur pouvoir d’achat s’améliorer de 6,7%, alors que pour celui des régions côtières, la Caisse ne contribue à son amélioration qu’à concurrence de 3,5% seulement.

Les tranches de revenu

L’analyse de la distribution de la subvention SPA par tranche de revenu a montré qu’elle n’augmente pas au même rythme que le revenu. Elle est estimée à 81, 1 D chez les pauvres dont la dépense par personne et par an (DPA) est inférieure à 1 200D et atteint 110 D chez les plus aisés qui disposent d’une DPA supérieure à 2 750 D en passant par une SPA égale à 101,5 D pour la classe moyenne

La distribution de la subvention entre les couches de la population est très égalitaire puisque 10%, de la population la plus pauvre détient 8% du budget de la Caisse et les 20% les plus aisés n’accaparent que 22% de ce budget de telle sorte que la classe moyenne qui représente 70% de la population se partage les 70% de la subvention.

Comme la distribution de la subvention est plus égalitaire que la distribution des revenus, la Caisse de compensation contribue d’une façon très importante à l’amélioration du pouvoir d’achat des pauvres puisqu’elle leur procure un revenu fictif de 81,1 D qui représente 18% de leurs dépenses moyennes estimées à 450 D ; ce gain de pouvoir d’achat pour la classe moyenne s’élève à 6,8% de la DPA estimée 1 500D et une SPA égale 101,5 D. En revanche, ce gain chez les classes aisées est trois fois plus faible que celui enregistré chez la classe moyenne puisqu’il est limité à 2% d’une DPA = 5500 D et une SPA = 110 D.

Du fait que la distribution de la subvention est plus égalitaire que la distribution des revenus, l’effet de ces transferts sur la distribution des revenus corrigés par la subvention est positif, faisant passer l’indice de concentration de 0,39 à 0,37

Quant à l’incidence des subventions sur le plan nutritionnel, l’enquête a montré que la subvention pour les produits riches en calories (céréales, sucre, huile…) accaparent la totalité de la subvention puisque la Caisse ne subventionne plus les produits riches en protéines animales, en calcium et en vitamines comme le lait, les œufs et la volaille qui étaient subventionnés à travers les produits de nutrition animale.

Assurer une ration alimentaire suffisante à un coût très faible

On peut alors conclure que la Caisse, en limitant son intervention aux produits alimentaires très riches en calories, a cherché à assurer aux citoyens une ration alimentaire suffisante en ce nutriment (calories) à un coût très faible et arrive à jouer un rôle très important dans la distribution des revenus en la rendant plus égalitaire. En revanche, la Caisse, qui ne subventionne plus les produits riches en protéines animales et en calcium, ne cherche plus à assurer un certain équilibre nutritionnel dans la ration alimentaire. Ce déséquilibre risque d’augmenter le taux d’obésité de la population.

Principaux enseignements

Les conclusions de cette étude sont en contradiction par rapport aux résultats constatés par une étude similaire que nous avons effectuée sur le même sujet en 1985. Les principales conclusions de cette étude sont les suivantes :

Le taux d’accroissement annuel de la subvention par personne et par an (SPA) est plus élevé que celui de la consommation privée qui sont respectivement de 26% et 13% entre 1980 et 1985, puisque la SPA s’élève à 32 D en 1985 alors qu’elle ne dépassait pas 10D en 1980.

Plus on est urbanisé, plus on profite de la Caisse. En effet, le citoyen des grandes villes reçoit une subvention de 44 D tandis que le rural n’en reçoit que la moitié environ, soit 24 D. Plus on avance dans l’échelle des revenus, plus on profite de la Caisse. En effet, la personne qui survit avec moins de 90D par personne ne reçoit qu’une subvention de 11D, alors que celle qui vit aisément avec 1 100 D par personne et par an reçoit 51 D.

Comment peut-on expliquer pourquoi la Caisse en 2011 est devenue plus favorable au milieu rural alors qu’en 1985 , c’était le citoyen urbain qui en profitait le plus .Ce changement est dû essentiellement au fait que la Caisse subventionnait des produits riches en protéines animales et en calcium qui sont faiblement consommés par la population rurale et les couches les plus défavorisées du milieu urbain. En effet, l’analyse de l’incidence de subvention sur le plan nutritionnel a montré que la subvention pour les produits riches en calories (céréales, sucre, huile) accaparent près de 75% de la subvention, ne laissant que 20% aux produits riches en protéines, en calcium et en vitamines.

L’analyse par milieu a montré que la subvention en milieu urbain est 5 fois plus élevée qu’en milieu rural pour les produits riches en protéines, en calcium et en vitamines; la subvention accordée à ces produits ne représente que 6% en milieu rural contre 17% en milieu urbain.

Cette tendance à favoriser les produits riches en calories aux dépens des autres produits est encore plus nette si on analyse la subvention par produit et tranche de revenu.

En effet, on constate que plus on avance dans l’échelle des revenus, plus la subvention allouée aux produits riches en protéines et calcium augment, elle passe de 3% pour ceux qui ont une DPA inférieure à 130D à 21% pour ceux qui ont une DPA supérieure à 910 D.

A.K.
(*) Directeur de l’INS à la retraite

(*) En attendant la promulgation de la loi de finances 2012 et la publications des résultats de l’enquête budget et consommation de 2010

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