Opinions - 24.05.2012

Elyès Jouini: Dégradation de la notation de la Tunisie par S&P: une très mauvaise nouvelle

Une très mauvaise nouvelle qui peut avoir des conséquences graves pour plusieurs raisons:

1 - Tout d'abord le fait que la Tunisie ne soit plus dans la catégorie investment grade implique un changement radical dans l'écran radar des investisseurs dans la dette souveraine. En effet, les banques et fonds d'investissements imposent des seuils de qualité de crédit à leurs équipes d'investissements et l’investment grade en est un des principaux; si bien que les investisseurs familiers au risque tunisien ne pourront désormais plus échanger des obligations tunisiennes, et de nouvelles équipes spécialisées dans le speculative grade prendront donc le relais....sans parler des fonds de pensions qui ne pourront plus détenir de la dette souveraine tunisienne.

De fait, cela implique une plus grande aversion envers la Tunisie... qui se manifestera a travers des taux d'intérêt plus élevés mais aussi des souscriptions plus faibles pour les futures émissions tunisiennes, pouvant devenir un obstacle au refinancement de la dette dans les scénarios les plus pessimistes.

2 -  Les conséquences de la dégradation de la notation souveraine de la Tunisie ne se limitent pas aux marchés financiers.

En effet, les agences de crédit export (COFACE, SACE, ECGD, etc.), qui fournissent des garanties aux entreprises étrangères qui investissent en Tunisie, se fient également aux avis des agences de notation. L'abaissement de la note de la Tunisie aura pour conséquence des taux de garantie plus élevés et des lignes de garantie plus faibles et pourrait donc se traduire par  une baisse des IDE envers la Tunisie.

Une baisse des investissements peut s'avérer très grave étant donné la fragilité du contexte actuel.

3 - Le fait que S&P ait dégradé la Tunisie de deux crans en l'espace d'un an (la notation de la Tunisie au mois de février dernier était de BBB) envoie un très mauvais signal à la communauté financière internationale et peut être associé à de faibles espoirs sur le potentiel d'ajustement de l'économie tunisienne.

Par ailleurs, au-delà de sa portée réelle, le déclassement de la Tunisie dans la catégorie spéculative grade s'accompagne d'une dimension symbolique très importante. En effet, suite à la décision de S&P, la Tunisie n'est plus le pays le mieux classé parmi ses pairs du monde arabe (en excluant les économies rentières du Golfe). Le Maroc prend le devant de la scène et cela peut avoir des conséquences dans les décisions d'investissements des firmes étrangères à l'instar de Bombardier....

De récents travaux empiriques de Rabah Arezki au FMI montrent l'asymétrie entre les dégradations et les améliorations des notations souveraines. Cela veut dire que la Tunisie doit se préparer à un accueil par la communauté financière internationale moins favorable que par le passé et qu'elle doit dès à présent se mobiliser pour le rétablissement de son image et s'engager dans un programme dynamique d'investor relation.

Enfin...espérons que cela pourra contribuer à ce que les autorités prennent enfin conscience des conséquences qu'entraîne le manque de visibilité politique et économique et les poussera à être plus pro-actifs... Il est plus que temps de mettre fin à l’amateurisme et à l’inaction !

Elyès Jouini

 

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