Opinions - 18.03.2012

La Tunisie à la croisée des chemins se doit d'accorder la priorité à ses vrais problèmes

A l’occasion du 56ième anniversaire de l’indépendance de la Tunisie, l’ancien Premier ministre, Rachid Sfar a bien voulu nous livrer ces « Quelques réflexions citoyennes  pour le présent et l’avenir de notre pays ». Il y plaide notamment « Pour une démocratie véritable étayée par un nouveau contrat social de développement durable et équitable entre les régions et entre les personnes ».

En guise de commémoration de l’anniversaire de l’Indépendance de notre pays je livre à mes concitoyens ces modestes réflexions pour contribuer à la relance du développement de notre pays  qui ne peut être réalisé que dans la paix des cœurs , la sérénité et la stabilité.                                                                                                                                                                      
Outre l’instauration et la consolidation d’une vraie culture démocratique à laquelle la nouvelle Constitution en gestation doit largement contribuer ;  l'enjeu principal pour  l’avenir notre pays consiste à trouver dans la concertation permanente des solutions urgentes notamment à deux blocages majeurs, le premier est relatif à notre tissu économique, le second est attaché au système éducatif :
  • Il s’agit pour le premier de la grave pénurie d’offre d'emplois de qualité supérieure.
  • Il s’agit pour le second  de l’inadéquation de la qualification et du savoir faire des sorties du système éducatif avec les besoins des nouveaux investissements requis.
Aborder les problèmes lancinants du marché du travail dans la Tunisie d’aujourd’hui  exige que l'on mette plus fortement l'accent sur les handicaps à la promotion des investissements  créateurs  d'emplois hautement qualifiés dans le secteur privé, ainsi que sur la nécessité de l’institutionnalisation et du perfectionnement des mécanismes d’un dialogue social permanent. Parallèlement il importe de mener tambour battant la énième réforme globale de notre système éducatif pour le hisser qualitativement au niveau requis par la féroce compétition internationale.
  
Jusqu'ici, les réponses de politique générale et sectorielle ont été inadéquates surtout dans leur mise en œuvre. La réponse apportée à la crise mondiale ; par exemple ; a été timide et n'a pas tenté d'aborder les problèmes structurels du marché du travail. Le Plan d'action en 17 points adopté par le gouvernement de transition en 2011 a tenter de faire face à une situation dégradée en réactivant et en promulguant un certain nombre de mesures destinées à améliorer théoriquement la création d'emplois, en particulier pour les jeunes. Mais il ne s'agissait essentiellement là, par définition, que de mesures palliatives à court terme. Les politiques à adopter pour l’avenir doivent avoir davantage une  portée  structurelle et, ce qui est plus important, un dialogue national permanent doit être institutionnaliser pour définir les réponses à apporter aux incohérences  existant sur le marché du travail et sur la relance de l’investissement public et privé. Une solution rapide doit être notamment apportée à toutes les entraves qui handicapent l’investissement privé et notamment pour réduire la dichotomie entre le secteur on-shore et off-shore qui pouvait se justifier en 1972 mais qui a trop duré…
 
Il me semble que, nonobstant la conjoncture défavorable pour l’année 2012 , les prévisions officielles de croissance viennent d’être révisées à la baisse soit 3,5 pour cent au lieu des 4,5 pour cent initialement prévues-Il est possible d'aller de l'avant et de faire face aux défis auxquels est confronté notre Pays à condition de s’employer, aussi  rapidement que possible  dans la concertation permanente et institutionnalisée, à mettre en œuvre de grandes réformes structurelles  indispensables pour assurer la relance des investissements privés créateurs d’emploi du niveau requis par la situation du marché de l’emploi. Ces réformes doivent nécessairement  s’inscrire dans une vision prospective de la Tunisie au moins jusque à l’horizon 2030. 
 
Dans ce cadre, et à titre de contribution à une réflexion citoyenne, je vais tenter de présenter très brièvement  cinq groupes de recommandations préliminaires pour des mesures que j’estime urgentes pour préparer la relance économique de notre pays dans l’attente des réformes structurelles plus approfondies qui viendront consolider la croissance économique du pays et tenter par des étapes successives de la porter vers les 6 à 7 pour cent reconnus aujourd’hui par tous comme nécessaires pour réduire substantiellement le taux de chômage.
 
I - Premièrement, il s’agit de libérer  davantage le potentiel d'investissement privé dans notre pays après avoir rétablit ; la confiance avec la paix des cœurs et la sécurité. 
 
La main mise sur l'économie de notre pays par un groupe restreint  pendant de longue années a eu,  un impact négatif direct sur le volume et la qualité des investissements et plus particulièrement  en matière d'innovation , de productivité et d’égalité des chances pour l’émergence de nouveaux entrepreneurs en nombre suffisant , mais il a également affecté la mise en œuvre des politiques publiques relatives notamment à la protection des droits de propriété et à l’accès aux marchés de capitaux.
 
Pour que le nouveau gouvernement encourage efficacement  l'investissement, il importe qu'il desserre clairement l'emprise gouvernementale sur l'allocation de ressources pour l’investissement dans tous les secteurs et plus particulièrement des secteurs à haute valeur ajoutée.. Il faut libérer véritablement l’initiative économique dans notre pays et la soustraire à l’arbitraire des interventions politiques notamment pour l’accès aux financements adéquats. -C’est dans ce sens, d’ailleurs -et contrairement à ce que croient  et disent certains analystes,- que j’ai eu la charge d’engager les premières générations de réformes de ce qu’on appelle communément le PAS.
 
Réformes clairement inscrites dans le 7 éme Plan dont la loi de promulgation fut signé par le Président Bourguiba en Juillet  1987.  Malheureusement de larges pans de ce Plan  furent dévoyés dans leur mise en œuvre par la suite notamment dans la partie relative au nouveau schéma prévue pour un développement régional plus équilibré clairement exposé dans le document du plan et qui appelait clairement à la rupture avec la tendance passé qui si « elle perdurait devait conduire, à l’horizon 2020, à un basculement concentrationnaire des deux tiers de notre population  ,sur une bande côtière d’à peine 15 kilomètres de large avec toutes les conséquences socio-économiques ; écologiques et politiques que cet entassement comporte…
 
Très peu de responsables malheureusement lisent le document du plan et celui du Budget économique. Malgré leurs nombreuses lacunes; ces documents restent indispensables pour engager un débat sérieux et utile.
 
Les Investissements Directs Etrangers «IDE» à condition qu’ils soient de la qualité requise, quand à eux,  peuvent et doivent également jouer un rôle  plus important dans le processus de développement. Il est clairement établi qu'ils n'ont pas seulement un effet positif sur la croissance économique dans le pays d'accueil, mais qu'ils peuvent aussi améliorer la création d'emplois grâce à des effets d'entraînement sur la productivité et les conditions de travail dans les entreprises nationales. Cependant, quand perdurent des obstacles institutionnels dans le pays d'accueil (comme la corruption et des processus bureaucratiques prohibitifs), les avantages des IDE tendent à se restreindre.
 
Une plus grande transparence effective est nécessaire en matière de gouvernance et de pratique d'entreprise, et le dialogue social au sein même de l’entreprise doit jouer un rôle crucial à cet égard. Les mesures d'incitation destinées à améliorer les investissements  notamment dans les régions défavorisées sont indispensables mais il est faut faire davantage pour:
  1. Améliorer la transparence et la surveillance : Le Fonds fiduciaire Multi-donateurs pour la gouvernance, financé par la Norvège et la Suisse, a déjà mis en œuvre deux projets visant à améliorer la transparence en Tunisie. Le premier projet établira un réseau de surveillance au niveau régional afin d'appuyer le secteur public et de faciliter l'échange d'expériences et de bonnes pratiques ; quant au second, il est conçu pour améliorer le rendement des services sociaux et l'utilisation des fonds publics, ainsi que pour élargir le rôle des citoyens en matière de gouvernance. Après évaluation pour apporter les correctifs appropriés, ce type de projets mérite d’être renforcé et généralisé.
  2. Renforcer la lutte contre la corruption : Dans certains pays asiatiques et même africains  les efforts renouvelés déployés contre la corruption ont été récompensés par des perspectives d'investissement plus fortes et plus efficaces. La lutte contre la corruption exige une forte volonté politique, l’exemplarité et un travail de longue haleine avec la contribution active de la société civile.
  3. Encourager la poursuite du développement du marché financier, qui est particulièrement bénéfique pour les Moyennes entreprises fiables : Dans le cadre du train de réformes de 2010, les pouvoirs publics ont créé une institution financière spécialisée qui apporte des financements aux PME. Il importe de veiller à ce que l'allocation de ressources de cette banque soit régie par des critères d'efficacité et non par les préoccupations de groupes d'intérêts restreints, comme ce fut le cas dans le passé. Pour le gouvernement, un autre objectif consiste à renforcer davantage le dispositif l'incitation des entreprises à entrer en bourse. 
  4. Assouplir les restrictions imposées aux investissements : L'investissement privé demeure largement dépendant de l'autorisation expresse des pouvoirs publics, notamment dans des secteurs considérés comme « sensibles ».
  5. Libéraliser l'investissement dans certains de ces secteurs pourrait conduire à une activité d'investissement plus dynamique, en particulier dans des domaines qui placeraient effectivement la Tunisie dans la partie supérieure de la chaîne de valeur technologique.
  6. Réviser la fiscalité de l’entreprise pour l’aligner sur celles de nos concurrents surs les marchés extérieurs à savoir notamment le Maroc ; l’Egypte et la Turquie tout en encourageant les regroupements d’entreprises de moins de cinquante ouvriers. Cette révision profonde de la fiscalité de l’entreprise devrait  tendre à rapprocher définitivement les règles de détermination du  bénéfice imposable des règles de détermination du bénéfice comptable et devrait être accompagnée d’une rationalisation du contrôle fiscal et sa dépolitisation ainsi que la conception d’un système fiable de facturation mettant un terme à des fraudes importantes en matière de TVA. Ces mesures ne préjugent en rien de la nécessaire révision approfondie de notre système fiscal et du code d’encouragement des investissements ; révision qui nécessitera des études et un dialogue approfondis.
II - Deuxièmement, il s’agit d’encourager fortement la création d'emplois qualifiés par des politiques sectorielles et régionales  volontaristes  bien conçues et bien mise en oeuvre…
Le plan d'urgence du gouvernement de transition visait à offrir aux jeunes diplômés un appui complémentaire provisoire, tout en étant censé les préparer à un emploi dans le secteur public ou privé.
 
Il est toutefois indispensable- et c’est une évidence- que le secteur privé  soit invité à déployer davantage de dynamisme  en matière d’investissement de qualité supérieure pour fournir les emplois nécessaires à la main-d’œuvre tunisienne qualifiée et non qualifiée, qui connaitra encore pendant au moins une décennie une croissance forte. A cet égard, les mesures à court terme  indispensables doivent être combinées avec des stratégies volontaristes de développement industriel à moyen et long terme en partenariat avec l’émergence d’un vrai partenariat entre le secteur public et le secteur privé.
 
En Tunisie, une politique cohérente à l'échelle nationale visant à renforcer les liens entre éducation, innovation et développement économique fait cruellement défaut nonobstant quelques tentatives encore timides. Il faut rapidement remédier à cette situation intenable…
   
Il existe,  actuellement, une pléthore de petits programmes et  surtout de structures théoriquement destinés à promouvoir l'investissement et l'entrepreneuriat. Il faut les  soumettre à un réexamen pour évaluer leur efficacité ; certaines structures n’existent que sur le papier ou sont des coquilles vides. Sur plus d’une centaine de zones industrielles prévues en 2011 ; une vingtaine à peine seraient opérationnelles, et aucune ne satisfait aux normes internationales. Les études de marché pour des projets innovants et viables sont inexistants…l’information économique viable et actualisée n’est pas mise à la disposition des entreprises….La formation et le recyclage des entrepreneurs au management stratégique est faible…j’avais souhaité depuis de nombreuses années la multiplication des cours de recyclage pour les entrepreneurs  dans tous les gouvernorats même le soir quand nos  amphis réalisées à cout de millions de dinars sont vides….
 
Le gouvernement devrait se doter  progressivement de crédits budgétaires adéquats en commençant par la loi de finances complémentaire 2012, tant pour un meilleur développement régional que pour s'engager dans la promotion explicite de secteurs à forte croissance. L'investissement doit être concentré sur l'identification des sources nationales de croissance et sur les projets nouveaux à haute valeur ajoutée ainsi que sur la conception de stratégies efficaces et crédibles de promotion des nouveaux secteurs. Des incitations comme  l’affectation aux Banques de lignes de crédit à long terme pour investissement avec bonification des taux d’intérêts ; l'amortissement accéléré et les partenariats public- privé pourraient être utilisées pour promouvoir l'investissement dans les nouveaux secteurs en croissance et à fort taux d’emplois des diplômés du supérieur. 

III. Il s’agit troisièmement d’améliorer l'efficacité et la solvabilité du système la protection sociale…
 
En dépit de ses points forts, le système de protection sociale tunisien présente un certain nombre de faiblesses qui ont réduit son efficacité et limité sa couverture. Ces faiblesses sont principalement liées à la gouvernance des régimes d'aide sociale, qui ne dispose pas toujours de critères objectifs pour l'allocation des prestations. Il est donc essentiel d'améliorer la transparence du système de protection sociale et de mieux le cibler.
 
Il est également possible de rendre le système de protection sociale plus attractif pour les travailleurs du secteur informel pour l’intégrer dans les circuits de l’économie normale notamment par le biais d’un contrôle fiscal et douanier efficient et systématique. 
 
Les changements démographiques ont mis à l'épreuve l’équilibre financier des régimes de protection sociale, et notamment du régime de retraites, qui est déjà déficitaire.
 
Il est donc impératif d’engager les réformes qui s’imposent et d'élargir la base de cotisations en facilitant systématiquement la création d'emplois formels à travers une effective libéralisation des investissements et en transformant progressivement les emplois informels en emplois formels.
 
IV. Quatrièmement, il s’agit de multiplier au moins par trois le rythme de création des emplois de qualité employant les diplômés du supérieur …
 
Outre la création d'emplois plus qualifiés par des investissements adéquats, il est possible d'améliorer la qualité des emplois en modifiant la législation sur l'emploi en vigueur. Cela dicte la  révision  du Code du travail de 1996. Les politiques mises en œuvre dans ce domaine pourraient être axées sur :
  1. La promotion des droits liés à l'emploi grâce à un dialogue social approfondi et serein : Étant donné que les réformes antérieures du marché du travail ont eu un impact négatif sur les travailleurs non permanents, le dialogue social devrait porter dans l'avenir sur l'offre d'une meilleure protection de l'emploi pour cette catégorie de travailleurs. Le concept de flexi-sécurité de l’emploi développé dans les pays scandinaves et en Allemagne peut inspirer notre démarche, il assure un meilleur équilibre entre les contraintes de l’entreprise soumise à une concurrence internationale exacerbée et les droits de travailleurs attachés à la pérennité et aux performances de leurs entreprises perçues comme des entreprises citoyennes et non comme des entreprises prédatrices.
  2. L'amélioration du salaire minimum : Les salaires minimums, qui ont diminué en valeur réelle au cours des cinq dernières années, devraient être révisés raisonnablement et prudemment. Même si leur augmentation peut être perçue comme un obstacle à la compétitivité, il est nécessaire de soutenir la demande intérieure, en particulier dans le contexte actuel d’incertitudes notamment sur le marché européen. 
  3. L'extension de la protection sociale : La protection sociale devrait être étendue aux populations qui ne bénéficient pas d'une couverture efficace. On pourra à cet effet faciliter les procédures administratives et les cotisations pour les travailleurs les plus vulnérables. Toutefois, les travailleurs du secteur informel ne devraient pas être le seul centre d'attention : la protection des travailleurs temporaires devrait également être assurée.
  4. Un meilleur appui aux chômeurs : Un système de prestations de chômage rationnel et tirant les leçons des dérapages des pays qui nous ont devancés dans ce domaine devrait être mis en œuvre. Une répartition plus équitable des gains économiques et surtout un ciblage efficient des bénéficiaires des produits subventionnées - actuellement disponibles pour tous - devrait contribuer à dégager des ressources importantes pour le financement des prestations de chômage. 

V....et enfin cinquièmement il s’agit de s’engager résolument  dans un nouveau et véritable dialogue social pour déboucher sur un nouveau contrat social de développement durable et équitable  pour tous qui soit  digne de la Révolution tunisienne de janvier 2014.
 
On ne peut réaliser efficacement  les changements envisagées dans les quatre précédentes recommandations qu'en formulant et en mettant en œuvre des  nouvelles stratégies nationales, sectorielle et régionales définies avec la participation de l'ensemble des partenaires et acteurs socio-économiques- syndicats et organisations patronales.et même  les représentants de la société civile.
 
Le dialogue social et économique  a été souvent  galvaudé et  inefficace en Tunisie sous le régime autoritaire devenu mafieux malgré la multiplication des consultations formelles «  dites nationales » et dont les recommandations restaient  souvent secrètes pour être mise en œuvre de manière partielle au gré des intérêts particuliers. Avec le changement d’un gouvernement  démocratiquement élu, voici que se présente en Tunisie une nouvelle occasion historique  de dialogue social véritable pour une réflexion collective  incontournable sur les solutions structurelles à apporter à des problèmes structurels socio-économiques graves et persistants  qui mettent en péril l’avenir de notre Pays.
 
Le recours au dialogue social dans d'autres systèmes économiques en période de transition démocratique – comme dans le cas des pays de l’ex Europe de l’Est –montre comment il est possible de rendre la croissance à la fois équitable et durable pour assurer la véritable paix sociale sans contraintes.
                     
LA TUNISIE À LA CROISÉE DES CHEMINS
 
En guise de conclusion je veux rappeler que La Tunisie se trouvait, de toute évidence, sur le chemin d’une croissance relativement stable mais insuffisante quand la crise économique mondiale a éclaté en 2008. En particulier, la croissance économique avait atteint en moyenne 5 pour cent par an depuis les années 1990 sans jamais pouvoir aller vers les 7 pour cent indispensables pour atténuer structurellement et durablement le chômage. 
 
La situation économique et sociale du pays était  relativement stable  en apparence. Les problèmes étaient camouflés par l’absence de liberté d’expression et nous étions constamment trompés par des rapports élogieux notamment ceux de la Banque Mondiale et du FMI.
 
Le ratio dette publique/PIB avait, certes, sensiblement diminué au cours de la décennie passée et avoisinait les 45 pour cent du PIB. De plus, le pays se classait théoriquement  en position favorable dans un certain nombre de domaines sociaux et humains, tels que le taux d’instruction des filles – un des plus élevés du Moyen-Orient – ou le système de protection sociale du pays mais rares étaient les rapports qui signalaient la grave dégradation qualitative du système éducatif..
 
La crise mondiale elle-même n’a eu qu’un impact apparemment non catastrophique sur l’économie et sur le marché du travail  pendant les années 2007 à 2010; elle s’est fait ressentir essentiellement par des effets significatifs sur l’aggravation du déficit du commerce extérieur et  sur la croissance de l’économie. La croissance économique a ralenti, passant de 4,5 pour cent en 2008 à 3,1 pour cent en 2009, mais une reprise avait déjà commencé à se produire dès 2010. Le taux officiel de chômage a connu une augmentation de 12,4 pour cent en 2008 à  plus de 14 pour cent en 2010 ; mais ces moyennes masquaient les forts taux de chômage des régions défavorisées. Cependant, en dépit d’effets mesurables par des moyennes qui apparaissaient limités dans les rapports officiels, la crise a mis en évidence, dans le paysage économique et social du pays, des inégalités structurelles qui ne pouvaient persister durablement sans explosion populaire.
 
Malgré les relatives avancées économiques de la deuxième moitié de la décennie passée, le manque d’emplois de qualité et le déséquilibre du développement régional sont  demeurés le « talon d’Achille » de l’économie tunisienne, car les perspectives d’obtenir des emplois satisfaisants, d’investir dans des secteurs dynamiques et de faire carrière ont été insuffisants et inégalement réparties en Tunisie. L’ascenseur social était bloqué, la corruption et la prédation faisaient des ravages dont l’ampleur étaient insoupçonnée.
 
La création d’emplois dans le secteur privé est restée concentrée sur les emplois faiblement qualifiés, alors que les investissements privés (étrangers aussi bien qu’intérieurs) sont demeurés relativement faibles en raison des entraves déjà signalées et parce que étroitement accaparés et contrôlés par un Clan au pouvoir qui entravait le travail du gouvernement légal. Au cours des trois dernières décennies, de 1984 à 2010, la croissance du PIB réel a augmenté d’environ 200 pour cent, mais le taux de chômage a seulement diminué de 3,4 points et il a dangereusement augmenté- au cours des dernières années- pour les diplômés du supérieur et surtout dans les régions défavorisées. 
 
Particulièrement alarmant est le fait qu’en dépit du niveau d’instruction relativement élevé de la population jeune, les taux de chômage chez les jeunes en Tunisie -se situant autour de 30 pour cent- sont parmi les plus élevés dans le monde.
 
Les offres d’emploi étaient donc manifestement insuffisantes et de mauvaise qualité avant même la crise financière mondiale et avant la révolution du 14 janvier 2011.Depuis la situation de l’emploi s’est encore lourdement dégradée. On parle aujourd’hui de 800.000 chômeurs.  
 
Les réponses à cette grave situation ayant été orientées jusqu’içi vers les préoccupations économiques et sociales les plus pressantes du court terme, ces réponses devront dans l’avenir revêtir davantage d’ampleur et se focaliser durablement sur des objectifs à Moyen et  long terme.
 
Notre  pays est politiquement, économiquement et socialement à la croisée des chemins
 
Pour conclure disons qu’il reste à résoudre des problèmes structurels clés relatifs au marché du travail, à la dynamique de la relance des investissement et dans le domaine de la protection sociale pour s’assurer que toute croissance acquise soit suffisante et réellement inclusive tant  pour la prise en  charge des jeunes diplômés que pour les non diplômés et surtout pour les demandeurs d’emplois des régions les moins développées. Cela passe nécessairement par  la réalisation davantage d’investissements pour la création d’emplois à tous les niveaux de qualification ; de meilleures stratégies de transition vers le marché du travail pour les diplômés – en particulier les femmes, dont le taux d’emploi présente un large écart avec celui des hommes ; un meilleur accès au crédit, notamment pour les PME et pour les groupes défavorisés un ample développement des systèmes de microcrédits ; une efficience accrue de la protection sociale ; et une réforme de la sécurité sociale garantissant la continuation d’une couverture adéquate. Pour atteindre ces objectifs, une amélioration du dialogue politique  et social entre tous les acteurs est primordiale et devrait couvrir dans la durée et en permanence tous les vrais problèmes de notre pays. 
 
A ce titre, pourquoi ne pas réactiver, en attendant la nouvelle Constitution un dialogue Institutionnel sur les problèmes économiques et sociaux de notre pays au sein d’un CONSEIL ECONOMIQUE ET SOCIAL PROVISOIRE DONT LA COMPOSITION ET LES ATTRIBUTIONS SERONT PREVUES PAR DECRET POUR NE PAS PERDRE ENCORE DU TEMPS DANS L’ELABORATION D’UN TEXTE LEGISLATIF QUI NE PEUT ETRE QUE PROVISOIRE ?
 
Rachid Sfar