Hommage à ... - 24.11.2011

Khalil Aloulou : Le peintre-ermite qui a toujours cultivé sa différence

Artiste-peintre singulier, Khalil Aloulou vient de s’éteindre à 69 ans, laissant derrière lui une oeuvre picturale des plus particulières. Mais aussi des disciples distingués, puisqu’il était le premier à découvrir et encourager, avec Habib Ben Messaoud, les Adel Megdiche, Maher Medhafar, Rachid Fakhfakh, Raouf Karray et autres Samir Triki. Dans son borj à Sfax, racheté à la famille du leader Hédi Chaker, il avait créé sa bulle et laissé libre cours à son talent, évitant les mondanités de la ville et encore plus celles de la capitale. Fetah Ben Ameur, l’un des meilleurs critiques d’art qui l’ont connu de près, lui rend hommage.

«Qui ne connaît pas, du moins de vue, la silhouette de Khalil Aloulou et sa prodigieuse barbe ? Qui n’a pas vu ce peintre se faufiler entre les chaises et les tables du Café La Régence (rebaptisé Café de la Paix), recherchant partout sa paix intérieure et la paix à l’extérieur, palpant du bout des pores, les sons et les lumières qu’enfante le quotidien, s’enivrant de tout ce que les sens peuvent embrasser pour traduire par la suite, à petites touches, et sur la toile ce que ses rêves et ses visions, ce que ses phantasmes et la réalité veulent bien exalter à travers le pinceau». Rafik Ben Zina (*) ne pouvait mieux l’introduire. Et maintenant, qui va se souvenir d’Aloulou, ce vieux barbu, qui est, et sans aucun doute, le père fondateur de l’exposition «Elborj» à Sfax, le militant dans un domaine difficile à entamer et à donner valeur dans une atmosphère culturelle qui était guère habituée aux arts plastiques?

«Si Khalil», et parfois Aloulou tout court, est l’Artiste - Peintre, qu’a connu Sfax, depuis le début des années soixante. Un artiste - peintre engagé qui s’est forgé une personnalité artistique et culturelle distinguable. Un plasticien qui n’a jamais cru à l’impossible. Militant et instaurateur, il a choisi, dès le début de sa carrière, de n’être qu’artiste, offrant sa vie à son art et à sa croyance en l’art. Aloulou nous a quittés le vendredi 21 octobre, léguant une expérience humaine et une oeuvre artistique remarquables. D’abord, et en premier lieu, un parcours très riche, vu l’importance de l’attitude de l’artiste et des différents actes qu’il a pu réaliser dans sa vie, et en deuxième lieu, une oeuvre picturale étendue sur cinq décennies, dont la première et la deuxième étaient novatrices et fécondes.

Toujours en rupture

Né à Sfax en 1942 - le jeune Khalil s’inscrit à l’Ecole des Beaux Arts - de Tunis où il a terminé ses études en 1963 pour revenir à sa ville natale en tant qu’enseignant dans les lycées secondaires de la région. Depuis, il s’installe avec son collègue Habib Ben Massoud dans un atelier près de l’ancien port de pêche de Sfax, Chott Elkreknah. «Si Khalil» était, à la fois, enseignant, peintre et animateur d’un club d’arts plastiques ouvert à la maison des jeunes de Sfax. Très rapidement, le jeune homme barbu s’est entouré de nombreux lycéens, fans de l’art à Sfax qui seront bientôt, de grands noms. Parmi eux se trouvaient, en effet, Rachid Fakhfakh, Samir Triki, Raouf Karray, Adel Megdiche, Maher Mdhaffar… autant de futurs artistes, chercheurs, hommes de culture, disciples de l’artiste.

Homme de culture et de création, c’est le choix qu’a fait Khalil Aloulou, tout en assumant une situation très délicate ou, à la limite, fragile. Etre compris ou ne pas l’être, n’était pas un facteur déterminant, ni dans son rapport à son oeuvre ni dans le rapport à la société. Le choix a été fait et la destination l’était aussi. Dans la vie d’Aloulou, il n’y avait que son art, tout à fait, comme son collègue et ami Habib Chebil. Il aborda le monde avec des pinceaux et des couleurs et une expression originale. C’est avec cette attitude et cette conscience que «Si Khalil» se démarque des artistes de son époque.

Le monde d’Aloulou est restreint, ouvert sur maints relations et rapports, mais qui reste toujours à l’écart des principes de l’artiste. Aucune influence ne peut pénétrer dans la pensée de cet homme vigilant et attentif. «Si Khalil» ne manquait pas de conscience et d’espoir ; de ce fait, il a opté pour construire et reconstruire une auto-sphère qui lui assurait le minimum possible de respect et de dignité dans le cadre d’un détachement et d’une liberté assumée.

Les expositions individuelles, comme ces participations à des expositions collectives, ne se passaient pas sans créer l’événement : à chaque fois que l’artiste expose ou se manifeste, un discours et une polémique se déclenchent. C’est pour cette raison qu’on parle toujours d’un sens du refus ou d’engagement chez lui. L’art, l’oeuvre d’art, l’impact de l’art, le rôle de l’art, la figuration, l’abstraction, et le statut de l’artiste, étaient des problématiques essentielles dans le discours véhiculé par l’artiste. Respectueux, résistant et responsable, Aloulou dirigeait le monde autour de lui. Et rien n’échappait à sa conscience.

L’héritage culturel mondial et universel, les traditions arabo-musulmanes et la modernité furent l’amalgame des données qui inspirait son monde artistique. «Si Khalil» était fidèle à des traditions qu’il voyait authentiques et profondes, mais il était aussi pour la quête d’une modernité rêvée. Son oeuvre témoigne de cette dimension d’ouverture sur les possibilités de la cohérence entre deux champs référentiels : l’oriental et l’occidental. Cela fait de l’artiste un paradigme culturel, un modèle d’engagement, non seulement envers la culture nationale, mais aussi régionale, puisqu’il n’a pas manqué son rôle de fondateur des traditions artistiques à Sfax.

«Ma peinture, disait-il, ne tient pas compte uniquement du passé et du présent mais surtout du futur. C’est la notion la plus importante de ma démarche: essayer surtout de devancer le moment…on ne doit pas justifier une émotion par la raison. Il faut que l’oeuvre garde son mystère même pour son créateur, donner des titres aux oeuvres constitue un début d’explication, mais les titres ne sont que des repères pour situer l’émotion». Aloulou nous explique ainsi sa démarche en peinture et nous ouvre le chemin pour comprendre son approche, fondée sur l’idée de la recherche d’une expression qui dépasse la notion de temps.

«Je me cherche, encore et toujours»

Pour lui, l’art est une recherche perpétuelle qui n’a ni fin ni début. Cette idée générique a donné à son oeuvre artistique sa particularité et son énigme durant toute son expérience . Dix ans après cette déclaration, Aloulou croyait qu’il se cherchait toujours. Interviewé par Ali Baklouti, il répondait : «Je me cherche encore et je ne cesse d’apporter de temps en temps des retouches à mes ébauches. Parfois même, j’en arrive à tout gratter et à repeindre de nouveau». De ce fait, on ne peut pas classer l’oeuvre d’Aloulou qui, parfois, semble être figurative, elle prenait du réel son argument, parfois abstraite expérimentale invitant à la contemplation, et même expressionniste, minutieusement réalisée ou lettriste dont les graphismes jouaient un tournant d’expression. Aloulou ne se limitait pas à une seule expression et n’épousait pas un carcan stylistique défini ou définitif comme il n’utilisait pas un seul type de format de toile. Il ne cessait pas d’innover et de s’investir dans son oeuvre, tout en variant les manières et les factures plastiques. Cela a fait de l’artiste un chercheur de personnalité artistique authentique ramenant ces sensations et ces sentiments au premier plan d’une toile dite, après un effort : tableau. C’est ce que Ridha Najar a mentionné quand il écrivait : «La peinture d’Aloulou, le plus souvent rugueuse et agressive, tente de peindre l’homme «du côté des racines» en remontant aux origines de la matière vivante, de la Vie donc, et du Temps» .

En fait, l’importance de l’oeuvre de Khalil Aloulou réside dans l’essence du fondamental existentialiste que l’artiste cherche à extérioriser, en tant que simple reflet de la vie d’un homme, mais comme nécessité intérieure. quelles que soitent la nature et l’expression plastique de l’artiste Aloulou, nous nous sentons interrogés à penser l’art et ses multiples fonctions dans une société qui vient de recouvrer son indépendance. Le mérite d’Aloulou reste toujours cet acharnement à un art qui ne se dévoile pas rapidement, qui ne raconte pas, n’illustre pas, n’obéit pas à la facilité et ne se donne pas à l’opportunisme quelle que soit la situation de l’artiste. Tout cela fait de «Si Khalil» un artiste manifestant contre l’hypocrisie et la mesquinerie. Ce peintre qui a souhaité que la décentralisation soit plus effective et plus poussée, que la peinture devienne accessible aux masses, et c’est lui-même qui a demandé et depuis longtemps que Sfax puisse avoir une galerie d’art. Il a eu l’occasion d’êtres parmi les fondateurs de l’ex-Ecole des beaux-arts de Sfax, convertie à présent en Institut supérieur des arts et métiers, comme il a été parmi les précurseurs qui ont exposé à l’inauguration de la galerie municipale à Sfax en 1998.

Dr Fetah Ben Ameur
(Maître-assistant à l’ISAMS,
Chercheur en histoire de l’art tunisien et arabe
Critique d’art et membre du bureau de l’Union des plasticiens tunisiens).
(*) La Gazette du Sud, du 20 avril 1976
(**)Aloulou expose à Sfax, propos recueillis par Hsouna Elfaouzi, La Presse du 23 avril 1976

 

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3 Commentaires
Les Commentaires
MUZART - 25-11-2011 15:03

Mes Très Chers Amis Tunisiens bonjour à vous Tous !! Je suis un Tunisien de coeur né à Tunis en 1942 ! J'aime votre pays ! mon pays natal où j'ai vécu 14 ans ! J'aime votre jeunesse courageuse et éprise de liberté !! Je vous salue très fort ! PHMUZART PASTEUR PHILIPPE

Ben Salah - 25-11-2011 17:33

Qu'il repose en paix, son souvenir restera pour toujours.Il a été mon professeur au lycée de la route de Gabès à Sfax. Il nous apprenait en jouant, en discutant de politique,de l'art, de l'inspiration, de l'artiste qu'il y a en chacun de nous. Allah yarhmou. Toute ma compassion aux siens.

triki mohamed - 03-07-2014 13:26

dans la classe de adel meghdicjh de raouf elkaray et les autres je pense que c'est en 1967/68,j'y étais aussi certainement pendant deux années ,c'est vingt cinq ans aprés en 1990 que je retrouve ADEL ET RAOUF par le pure hasard cela m'a fait énormenment chaud au coeur,et m'a rappelé des bons souvenir et surtout ma conforté dans l'amour de sfax.j'ai participé au festival de mahres en 2006 je crois!;

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