Success Story - 12.11.2011

Mohsen Marzouk : pourquoi dérange-t-il tant?

Son parcours de militant pour les libertés et de spécialiste en transition démocratique ne lui attire pas que des appréciations. Membre de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la Révolution, auteur de l’initiative du Pacte Républicain, puis de l’appel au référendum, Mohsen Marzouk s’est trouvé au coeur de multiples controverses.

Dans cette course effrénée au pouvoir qui s’installe et à laquelle se livrent les politiques, à différents niveaux, nombreux sont ceux qui voient en lui un compétiteur redoutable. Ils n’hésitent pas alors à entraver son ascension.

Mais, pour cet enfant de Mahrès (parent du grand sculpteur Hachemi Marzouk qui avait figuré à l’affiche de plusieurs films de Fernando Arrabal), nourri de nobles valeurs, « le combat ne s’arrête pas et l’ambition personnelle n’y a pas de place ». Qui est-il en fait ?

La transition démocratique, cela fait près de 30 ans que Mohsen Marzouk y travaille dans différentes organisations internationales, de Freedom House à la Fondation Arabe pour la Démocratie, en passant par la Fondation Al Kawakibi. Un engagement qui lui vaut aujourd’hui d’être l’objet d’attaques tuniso-tunisiennes sur les réseaux sociaux. On l’accuse, notamment, de servir des intérêts et des agendas politiques étrangers.

Des accusations de plus en plus virulentes, surtout depuis qu’il est monté au créneau à propos du référendum, qu’il estime nécessaire afin de délimiter la durée et les prérogatives de l’Assemblée constituante. Ses contradicteurs mentionnent même que son nom apparaît dans des câbles diplomatiques publiés par WikiLeaks et qu’il est interdit d’entrée en Egypte depuis. A coeur ouvert, Mohsen Marzouk répond aux questions de Leaders, revient sur ses combats, ses prises de position et précise son parcours, réfutant toutes les rumeurs malveillantes à son encontre.

Où était-il le 14 janvier 2011?

Le 14 janvier 2011, il était à Doha, au Qatar. La veille, il avait fait une intervention sur « Al Jazeera » où il interpellait Ben Ali à propos des évènements qui se sont produits en Tunisie depuis le 17 décembre 2010. Son diagnostic : la situation de la Tunisie est ouverte à toutes les éventualités. Bien qu’au fond, il ait privilégié l’hypothèse d’une ouverture politique.

Le lendemain, c’est la divine surprise ! Fuite de Ben Ali et de sa famille. La Tunisie était grosse d’une révolution et personne ne s’en doutait, à commencer par le président déchu qui pensait déjà à sa réélection…en 2014 après un énième amendement de la Constitution. Pour le militant des droits de l’homme, un rêve vient de s’accomplir.

La lutte pour les libertés et la démocratie, Mohsen Marzouk est tombé dedans depuis tout petit. Son enfance difficile à Mahrès, où son père meurt alors qu’il n’a que cinq ans, l’oblige à venir en aide à sa mère tout en poursuivant ses études. A huit ans, il fait le marchand de jasmins et s’initie à la couture, un savoir-faire qui lui sera utile dans sa future vie de militant puisqu’il lui permettra de coudre lui-même ses banderoles.

Les privations et les injustices sociales, c’est dans sa chair qu’il les vit donc, ce qui le pousse à s’engager dans les mouvements de lutte lycéens dès le milieu des années 1980. Cela lui vaut d’être renvoyé de tous les établissements scolaires publics tunisiens. Il ne doit son salut qu’à un proviseur conciliant, M. Ahmed Zeghal, qui accepte de lui accorder une seconde chance et lui dit : « Il faut que tu continues tes études, c’est le seul moyen pour toi de pouvoir exprimer tes idées politiques et les faire avancer ». Un conseil qui ne tombe pas dans l’oreille d’un sourd.

Une année après, le jeune homme décroche son bac avec brio, rafle le premier prix d’un concours de philosophie et rejoint les bancs de la faculté. Nouvelle série d’engagements là aussi qui se concluent par son arrestation, sur ordre du ministre de l’Intérieur de l’époque, un certain Zine El Abidine Ben Ali, qui l’envoie à Rejim Maâtoug, le camp militaire du désert tunisien. Mohsen Marzouk y passera une année.

Avec ses compagnons d’infortune, il subit les maltraitances mais se console en lisant cette histoire qui ressemble étrangement à la sienne, celle de Papillon écrite par Henri Charrière. Ce qui le fait tenir ? Le courage de sa mère, militante accomplie quoiqu’illettrée, compagne de route, soutien indéfectible de tous ses combats qui se pointera même un jour à Rejim Maâtoug pour le soutenir.

A la fin de cette année de bagne, le jeune étudiant retrouve une Tunisie où le nouveau président Ben Ali multiplie les signes d’ouverture. Il décide d’en profiter pour s’engager à l’UGET où il est élu au bureau exécutif. Puis il intègre Eltaller, une ONG internationale fondée par Nelson Mandela et rejoint au début des années 2000 le Bureau International du Travail où il coordonne un programme de développement. S’ensuit une carrière qui le mène à Doha, au Qatar, où il est nommé secrétaire général de la Fondation Arabe de la Démocratie et président de la commission exécutive du centre de formation Al Kawakibi.

C’est là qu’il organise, avec ses collègues Chawki Tebib, Nedir Ben Yedder et Kamel Jendoubi des ateliers de formation pour la réussite des passages vers la transition démocratique à l’intention d’un public de Tunisiens, de Libyens, d’Egyptiens, de Syriens, de Yéménites, etc. Un rêve impossible à l’époque pour ces peuples arabes écrasés sous les dictatures.

La révolution tunisienne, suivie de celle de l’Egypte et de la Libye, est passée par là. Mohsen Marzouk y sera actif dès les premières heures. Arrivé en Tunisie pour l’accompagner dans son apprentissage de la transition démocratique et la justice transitionnelle, sa spécialité, Mohsen Marzouk se dit profondément déçu de retrouver une élite politique, celle qui est au pouvoir et celle qui aspire à l’être, en pleine déconfiture et se demande où sont passées toutes ces heures de formation et ces échanges d’expérience qu’il a assurés à plusieurs des acteurs qui s’activent actuellement sur la scène politique tunisienne.

Le combat pour le référendum

En bon spécialiste de la transition démocratique, Mohsen Marzouk lance, dès le 21 janvier 2011, un appel à l’adoption d’un pacte républicain, un classique des périodes de transition déjà mis en oeuvre en Amérique latine et en Europe de l’Est lorsque ces régions sont passées de la dictature vers la démocratie. La campagne de lynchage commence alors. Loin de valoriser son expérience dans des instances internationales spécialisées dans la transition démocratique, plusieurs personnes remettent en cause son militantisme et l’accusent d’être à la solde des Américains.

Une véritable cabale s’organise contre lui, notamment sur les réseaux sociaux. Elle s’intensifie lorsqu’il se fait l’un des plus ardents défenseurs du référendum, expliquant que c’est l’une des formes les plus achevées de la démocratie qui permet au peuple d’exprimer directement ses opinions. A travers ce référendum, il appelle à mettre au point un agenda qui trace les principales étapes de la transition démocratique qui peut se conclure en une année avec des élections présidentielles et législatives.

Ces prises de positions accentuent la croisade contre lui. « On m’a même appelé bé3ith il istifté», commente t-il…et on lui ressort la vieille antienne : son expérience avec Freedom House et ses connivences supposées avec les Américains.
Cette institution américaine est en grande partie financée par des allocations du Congrès. De là à penser qu’elle est à la solde de la CIA et que par conséquent ses collaborateurs ne sont que des espions américains, il y a un pas que ses détracteurs franchissent allègrement. Marzouk trouve ces accusations injustes. « Lorsque j’étais à Freedom House, j’écrivais des articles où Je critiquais sévèrement la politique étrangère américaine en la qualifiant d’injuste envers le monde arabe », soutient-il. Et de rappeler que « cette ONG prestigieuse et fondée notamment par l’épouse de Franklin Roosevelt, a été d’un apport certain pour plusieurs acteurs tunisiens en matière de transition démocratique. L’objectif de ma mission au sein de Freedom House n’est guère de se pencher sur l’arsenal militaire de la Tunisie qui aurait représenté un danger pour l’humanité. Il est, plutôt, axé sur trois vecteurs : l’acquisition des libertés, l’expertise et l’apprentissage de la transition démocratique et un appui international et d’en faire profiter mon pays et ceux de la région ». Ce plaidoyer pro domo suffira t-il à faire taire ses contempteurs ?