Opinions - 26.10.2011

Tunisie- Constituante : Ennahdha en tête : les tenants d'une politique de la demande l'ont emporté

Les premières élections démocratiques en Tunisie ont livré leur verdict. Le peuple s’est exprimé, et a désigné ses représentants. Nous devons tous en prendre acte, particulièrement ceux qui n’ont pas voté pour la majorité qui est sortie des urnes.  Tout autant que les vainqueurs, les vaincus peuvent également être fiers de ce qui vient de se passer : un vote démocratique historique, une participation citoyenne massive, et…une alternance politique inespérée il y a à peine un an. Félicitations aux vainqueurs, honneur aux vaincus !

Les islamistes d’Ennahdha arrivent donc largement en tête en nombre de voix et de sièges, et confirment ainsi ce que tout le monde savait déjà, à savoir qu’ils constituent désormais la première force politique du pays. Maintenant qu’ils sont en passe d’accéder au pouvoir, les leaders d’Ennahdha doivent prendre garde à ne pas se tromper sur leur électorat : les quelque 40% des Tunisiens qui ont voté pour eux ne sont pas tous des militants islamistes, loin de là.  Sans les engagements qu’il a pris et n’a cessé de marteler en faveur d’une gouvernance civile de la chose publique et du respect des acquis des femmes tunisiennes, ce mouvement n’aurait ppas recueilli un tel score.  En effet, les islamistes n’ont pas été élus pour un projet de gouvernement islamique, mais parce qu’ils ont réussi à incarner mieux que les autres une moralisation de la vie publique et une proximité avec les masses. Pour preuves, Ennahdha est talonné par le Congrès pour la République, qui jouit également d’une  image de ‘’parti honnête’’, et le score surprenant de la populiste ‘’Pétition populaire’’.  Le bon peuple a voté pour des gens issus de ses rangs,  qui parlent son langage et vivent comme lui, et en lesquels il s’est logiquement et spontanément reconnu.

Ennahdha a aujourd’hui une chance historique : ce mouvement hérite de la charge d’un peuple jouissant d’un niveau d’éducation respectable, d’une économie aux fondements sains quoique perfectible, et d’un pays plutôt bien intégré dans son environnement régional. A eux de ne pas dilapider cette victoire à courir derrière  des chimères identitaires : Les Tunisiens veulent recouvrir une dignité, pas une identité.

Les grands perdants sont d’abord, il ne faut pas l’oublier, les rejetons du RCD, qui subissent de plein fouet un rejet massif.  Le 23 octobre, Les Tunisiens ont traduit  électoralement, pour ceux qui en doutaient encore, le soulèvement du 14 janvier. Ils ne veulent plus du RCD, et ni Mohamed Jegham, ni Kamel Morjane n’ont rien pu y faire. Ils n’ont pas réussi  à faire oublier qu’au mieux, ils ont été lâches.

Le deuxième camp qui a perdu aujourd’hui est celui de l’ancienne opposition « progressiste » à Ben Ali, le mouvement Ettajdid, le Parti démocratique progressiste et dans une moindre mesure, le FDLT de Mustapha Ben Jaafar et le CPR de Moncef Marzouki.  Quels enseignements en tirer ? Ce résultat modeste s’explique essentiellement par deux erreurs stratégiques. La première est de s’être présenté face aux électeurs en ordre dispersé, alors même que les points communs dépassent les divergences. Cet éparpillement a réduit la visibilité de ces partis, et donné le sentiment que leurs leaders ont voulu jouer solo, privilégiant leurs carrières personnelles au détriment d’une démarche collective.

La deuxième erreur stratégique de ce camp- ou d’une partie de ce camp- est d’avoir cherché à mener la bataille sur le terrain des valeurs. Quelle myopie ! Quelle méconnaissance de l’arrière-pays !  Car si la campagne a pris une tournure identitaire, cela est moins imputable à Ennahdha qu’à ses adversaires. Quid des classes populaires,  de petites gens qui peinent au labeur ou à chercher un emploi ?  Rien ou presque. Résultat paradoxal : c’est dans les beaux quartiers que ces partis de gauche réalisent aujourd’hui leurs meilleurs scores. Ce diagnostic est particulièrement vrai pour le Pôle démocratique progressiste, qui s’est pourtant constitué autour d’anciens communistes convertis à la social-démocratie. Pour le Parti démocratique progressiste, le grand perdant dans cette affaire, c’est la conjugaison d’un manque de consistance doctrinaire et d’un empressement trop voyant à courtiser le monde des affaires qui lui a été fatale. Le FDTL ne doit son succès tout relatif qu’à la notoriété de son patron et de sa réputation d’homme modéré, expérimenté et intègre. Le leadership du CPR au sein du camp progressiste s’explique d’ailleurs par le fait qu’il est le parti qui a montré le plus grand attachement à l’identité arabo-musulmane du pays. Comme quoi, en Tunisie, la clé du succès est peut-être dans un amalgame réussi entre attachement aux spécificités nationales et ouverture aux valeurs universelles.

Mais même défaite, la gauche de gouvernement peut, si elle entame dès aujourd’hui sa remise en cause nécessaire, rebondir lors des prochaines échéances. D’abord, ses leaders politiques qui n’ont pas été élus doivent prendre acte de leur défaite. La logique démocratique voudrait  qu’ils démissionnent de leurs postes.  Plus généralement, ces partis doivent s’appliquer à eux-mêmes les règles de la bonne gouvernance et de l’alternance avant d’aller les prêcher ailleurs. La vertu démocratique voudrait également que les représentants de cette gauche au sein de la Constituante aient un comportement droit et lisible pour tous. La gauche doit également clarifier sa posture à l’égard de l’héritage de l’Etat tunisien des 55 dernières années. On ne peut pas, en même temps, crier « tous pourris » à l’encontre de ceux qui étaient aux postes durant cette période et se positionner en défenseurs des acquis réalisés par cet Etat.

Enfin, la force de la gauche en Tunisie réside dans l’attraction qu’elle exerce sur une large partie de l’élite tunisienne. Mais encore faut-il qu’elle en tire profit et qu’elle élargisse sa conception de l’élite aux nouvelles générations et à des profils plus diversifiés. Le projet à construire, appelons-le Projet 2012, doit être le fruit d’enquêtes de terrain, d’une synthèse des travaux des chercheurs, universitaires et intellectuels de gauche.  Car en démocratie, c’est celui qui répond le mieux aux demandes de l’électorat qui gagne.

Ahmed Ben Lassoued

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