Success Story - 06.06.2011

Ministre délégué auprès du ministre de l'Intérieur, chargé des Réformes Me Mohamed Azher Akremi: Pourquoi le ministère de l'Intérieur doit disparaître

Ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur, chargé des Réformes Me Mohamed Azher Akremi: Pourquoi le ministère de l’Intérieur doit disparaître

«Avec sa structure actuelle, le ministère de l’Intérieur ne peut assumer que son ancienne fonction, totalement récusée. Une totale refonte est nécessaire à entreprendre, en scindant la sécurité du développement régional et en donnant à la sécurité nationale une nouvelle vision, en créant une agence indépendante spécialisée dans le renseignement et la sécurité extérieure, et en regroupant les forces de sécurité, Police et Garde nationale». Pour Me Mohamed Azher Akremi, 51 ans, ministre délégué auprès du Ministre de l’Intérieur, chargé des Réformes, nommé à ce poste inédit le 1er juillet 2011, le diagnostic est clair. « L’ordre public avait été dévoyé sous le régime déchu en ordre privé, dévoué à une seule personne et à son clan, et nous n’avons pas su, à l’instar de la santé ou de l’éducation, faire de la police un service public au service des Tunisiens. Le rejet est total, la confiance détruite et la relation rompue».

Que pourra faire le gouvernement dans ce domaine sensible et délicat, en si peu de temps, d’ici le 23 octobre ? « Faire aboutir le maximum de réformes possibles, répond-il. Du moins, élaborer une nouvelle conception de la sécurité nationale et la faire partager avec la plus large frange possible de la société civile, des organisations et des partis politique». Sur quelles bases ? Comment s’y prendre ? Mais, comment Me Azher Akremi, militant indépendant connu pour son engagement pendant plus de 10 dans les mouvements révolutionnaires au Moyen-Orient, puis à son retour à Tunis, par son activisme militant au sein de l’opposition, a-t-il été investi de cette charge ? Un véritable chemin de croix.

Le ministère de l’Intérieur ? Il le connaît déjà bien. Certes pas le grand bureau spacieux de ministre délégué qu’il occupe actuellement, mais plutôt les geôles des caves où il avait été arrêté et interrogé en 1990, à son retour de Damas. Il rentrait alors de 10 ans d’exil durant lesquels il avait décroché sa maîtrise en droit, mais surtout milité au sein du mouvement Fath, Conseil révolutionnaires d’Abou Nidhal, suivi des formations paramilitaires soutenues en Europe de l’Est, notamment 6 mois dans l’ex-RDA, participé à la rédaction de l’organe de «Falastine Ethaoura» et pris part à diverses actions sur le terrain.

Issue d’une fratrie nombreuse composée de 12 frères et soeurs que leur père, modeste petit cultivateur, peinait à nourrir, Me Akremi avait appris très tôt le prix de l’effort, travaillant l’été dans les oasis proches de sa Gafsa natale, pour 9 D par mois, afin de payer ses fournitures scolaires. «Les vraies vacances pour moi, ce n’était pas l’été, où je devais trimer dur sous un soleil de plomb, mais l’année scolaire, savourant le confort de la salle de classe et le plaisir du savoir», «se souvient-il. Evoluant un peu dans le monde des adultes, il s’adonnera au commerce des fruits et légumes en allant avec des amis vendre des produits agricoles dans la région du bassin minier. C’était un peu moins fatigant, mais surtout une prise de conscience de la condition des mineurs.

Le premier élan révolutionnaire

L’attaque de Gafsa, en janvier 1980, surprend le jeune élève qui s’apprêtait à passer le bac. Sans trop réfléchir, il est descendu dans la rue avec tous ses amis dénoncer le régime et crier fortement le ras-le-bol d’une jeunesse en révolte. Ce fut alors sa première épreuve du feu. Arrestation, interrogatoires et incorporation d’office dans le service national au sein de l’armée. Avec ses camarades d’infortune, il devait être envoyé à Rejim Maatoug, au fond du désert lorsqu’une miraculeuse incapacité médicale l’en sortira. Retour en classe, moyennant cependant une assignation au contrôle administratif et l’obligation d’aller chaque matin signer au poste de police, et il décroche son bac et avec brio. A tout prix, il voulait faire droit, mais le voilà orienté vers la philo.

Septembre 1980, il monte à Tunis et découvre la faculté des Lettres en pleine ébullition estudiantine. Il passera l’année universitaire à fréquenter les différents groupuscules, cherchant à connaître leurs idéologies et s’assurer de la sincérité de leur engagement, sans pour autant trouver ce qui étanchait sa soif. A la recherche d’action militante forte, en prévision de la constitution d’une faction militaire en Tunisie, il se décide alors à s’engager dans les rangs du Polisario, se rend à cet effet en Algérie mais s’en fera dissuader par des amis bien mûrs. « Ce n’est pas clair, lui avait -on dit, et c’est très infiltré par différents manipulateurs et services de sécurité. Allez plutôt en Syrie, lui avaient-on conseillé, vous pourrez alors poursuivre vos études et vous engager dans des mouvements militants».

L’enfant prodige d’Abou Nidhal

Le jeune Mohamed Azher s’y résout et prend le chemin de Damas où il s’inscrit à la faculté de Droit. Des compatriotes lui proposent d’adhérer au parti Baath pour sécuriser bourse et hébergement, mais il déclinera l’offre, préférant trouver un petit job de laveur de vaisselle dans un restaurant et une petite chambre où dormir. Ses deux premières années en Syrie seront studieuses. Mais, l’invasion israélienne du Liban, la boucherie d’Ariel Sharon à Sabra et Chatila, étaient venues réveiller en lui la fibre révolutionnaire et le romantisme de l’engagement. Sans perdre une minute, il rallie les troupes d’Abou Nidhal au sein du Fath, Conseil révolutionnaire, où il est accueilli dans ce qui était la périphérie de l’organisation, pour être mis à l’épreuve durant une année au moins, avant d’être inséré dans les rangs. L’idée de créer une organisation armée en Tunisie lui est revenue en tête et il reprit contact à cet effet avec des amis qui n’ont pas tardé à le rejoindre pour participer à des formations intensives et se préparer à l’action.

En 1984, il est promu cadre dirigeant et envoyé alors en formation en Europe. Dans l’ex-République Démocratique d’Allemagne, il aura à fréquenter des militants de différents pays et même de rencontrer les plus hauts dirigeants, jusqu’au président Heinrich Honecker. De retour en Syrie, il se décidera à reprendre ses études en 1987, avec en plus du droit, des études en journalisme, et à rejoindre la rédaction de Falastine Ethouara où il signera ses articles enflammés sous divers pseudonymes: Abou Daoud, Ahmed Youssef et autres, gardant son statut dans les rangs opérationnels et se rapprochant encore plus d’Abou Nidhal.

Il l’a échappé belle !

Evidemment, toutes ses activités ne pouvaient échapper à l’espièglerie des services de renseignements tunisiens. Mais les rapports étaient contradictoires, tant Mohamed Azher Akremi avait bien maîtrisé les techniques du camouflage et de la désinformation. La plus grande peur de sa vie, il l’a éprouvée lors de son retour en Tunisie, début 1990. Maîtrise en poche, croyant que de nouvelles perspectives allaient s’ouvrir au pays et que sa place est parmi les siens où il peut être plus utile, il se décide à rentrer. La police l’attendait à l’aéroport pour le transférer aux sinistres locaux de la DST.

« Vous ne pouvez imaginer dans quel état j’ai franchi le seuil du ministère, ignorant totalement le niveau de leur connaissance de mes véritables activités, dit-il. L’interrogatoire s’annonçait violent, surtout s’ils découvraient ma relation avec Abou Nidhal, mais j’ai rapidement compris qu’ils étaient dans le flou absolu, relevant plein de contradictions dans leurs renseignements. Du coup, mon séjour ne s’était pas prolongé. A peine libéré, je n’avais qu’une idée en tête, écrire dans les journaux, d’abord pour faire connaître mes idées et contribuer ainsi à une plus grande prise de conscience politique, mais aussi gagner ma vie, ne serait-ce que modestement. Le quotidien Ech-Chourouk était alors à son apogée et feu Slaheddine El Amri m’y accueillit avec bienveillance, m’encourageant à écrire dans toutes les rubriques, même la culture ou la section judiciaire. Je commençais alors à me faire un nom et mes articles étaient suivis par de hauts responsables du système».

« C’est ainsi que j’ai été approché par le ministre de la Justice, pour rejoindre son Cabinet en qualité de conseiller de presse, dès 1992. Juriste de formation, je ne pouvais espérer mieux pour comprendre l’appareil judiciaire tunisien, ses arcanes et ses acteurs. Tout se passait bien jusqu’à ce qu’en 1994, les pressions aient commencé à se faire plus fortes sur le ministre afin que je sois enrôlé dans le RCD. Comment un membre du Cabinet et qui plus est, chargé de la communication n’appartient pas au RCD. Très gêné, le ministre s’en est ouvert à moi, me laissant la liberté de prendre ma décision. Evidemment, ce n’était pas négociable ! D’autant plus que j’avais la hantise de voir mon passé militant dans les rangs d’Abou Nidhal démasqué et de passer ainsi pour un agent dormant introduit en hibernation dans le système»

Endossant sa robe d’avocat, il ira faire son stage chez un confrère de la Place d’Afrique puis ouvrira son propre cabinet et assurera dès ses débuts, en 1995, la défense pour la première fois lors d’un procès politique. Au barreau, Me Mohamed Azher Akremi découvre un vaste champ de militantisme, tant au sein du Conseil de l’Ordre des avocats que dans les différentes composantes de la société civile, sans perdre la plume, continuant à écrire dans les journaux. Avec des confrères, il fondera l’association Avocats sans frontières et s’en retirera dès l’obtention du visa, laissant la place aux jeunes et poursuivra son action militante sur plus d’un terrain. Courtisé par nombre de partis, il ira faire une courte expérience, en 2007, au sein du FDTL du Dr Mustapha Ben Jâafar, pour se résoudre définitivement qu’il ne peut être, résolument, qu’indépendant. Une indépendance qui lui permet d’élargir son champ d’action et de servir toutes les nobles causes.

Où était-il le 14 janvier 2011 ?

«D’abord, le 11 janvier. Lors d’une réunion au siège du Conseil de l’Ordre, on nous recommandait de ne pas descendre dans la rue, de ne pas envenimer la situation avec le pouvoir et compromettre le gagne-pain de 5000 avocats démunis. Puis, le 13 janvier, un mot d’ordre avait été lancé au Palais de Justice pour un rassemblement à midi devant la statue d’Ibn Khaldoun, avenue Bourguiba, chacun promettant de s’y rendre. Arrivé sur les lieux, je n’y ai trouvé seulement qu’une dizaine de confrères, dont Mes Abdelaziz Mzoughi, Koutheir Bouallègue, Mondher Charni, Nedhir Ben Yedder, Najet Lâabidi et d’autres. Mais, en face, il y avait plus de 250 agents de police prêts à charger, ce qui ne saura tarder. Nous en avons eu notre part, Mzoughi a été violemment pris à partie, avec le crâne ensanglanté, alors que, pour ma part, j’ai essayé de protéger ma consoeur Najet Lâabidi et de l’emmener nous réfugier à l’agence Biat. Tout au long de ces dernières années, j’avais le sentiment que le régime allait droit dans le mur et je me suis dit que l’échéance de 2014 sera fatidique. Tout se jouerait à ce moment-là. Mais, voilà que tout se précipite. Heureusement !».

«Vendredi 14, je suis allé dès 9 heures du matin devant le ministère de l’Intérieur, avec un ami, l’envoyé spécial du quotidien italien Corriere della Sera. La foule commençait à enfler et je sentais les choses venir. Vers 11 heures, nous sommes montés dans un immeuble d’en face, pour mieux observer l’avenue. Là, à voir cette extraordinaire déferlante, j’ai eu la conviction que c’était terminé et que le régime allait basculer». «Depuis lors, je me suis dédié en conseiller volontaire et bénévole pour le peuple, répondant aux sollicitations des médias, accordant interviews, participant aux débats et fournissant éclairages politiques et juridiques. Une nouvelle bataille commençait alors pour moi : faire triompher les idéaux de la révolution, en édifiant la démocratie, dans un Etat moderne et moderniste, équitable et prospère pour tous».

Comment est-il devenu ministre ?

«J’étais déjà membre de la Haute Instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, ce qui m’occupait déjà fort, en plus des participations médiatiques et des contacts ininterrompus avec différentes composantes de la société civile et familles politiques. Tout cela me mettait en contact avec les dirigeants du pays, mais sans la moindre ambition politique. Jusqu’au jour où le Premier ministre m’invita à le rencontrer. D’emblée, il me dit : «Celui qui sert l’Etat durant les périodes fastes de sécurité et d’opulence ne sert en fait que lui-même et les siens. Il doit apporter la preuve d’avoir servi le pays. Mais dans ces moments exceptionnels que nous vivons actuellement, celui qui accepte de servir le pays, nul ne peut lui contester ce grand mérite». Cela a suffi pour vaincre ma réticence et me convaincre de rejoindre le gouvernement. »

Quelles sont ses prérogatives actuelles ?

«Essentiellement esquisser une réforme du système national de sécurité. Vous ne pouvez pas réaliser l’ampleur du désastre hérité. D’abord une situation matérielle des plus démunies : des véhicules en nombre réduit et dans un état délabré, des équipements quasi désuets, des locaux vétustes et inappropriés, des équipements rudimentaires, bref tout laisse à désirer, sans parler des rémunérations, des conditions de travail et de l’environnement général. Je reviens d’une tournée dans les postes avancés de la Garde nationale à la frontière avec la Libye. J’en ai le coeur fendu. Des hommes d’une rare qualité de courage et de patriotisme affectés dans de modestes postes égrenés tout au long de ces frontières, en plein sud, sans un minimum de confort ou de ravitaillement. Juste un seul camion-citerne qui approvisionne en eau une dizaine de postes. Le menu est réduit au minimum, à cause d’une bureaucratie de procédure qui prive ces hommes d’un approvisionnement fourni et à temps. Comment voulez-vos que ces vaillants gardiens de notre souveraineté puissent marcher à pied de longues distances dans le Sahara et s’acquitter convenablement de leur mission dans ces conditions tout à fait spartiates.Leurs collègues dans d’autres localités citadines ne sont pas mieux lotis : un poste de police ne dispose que de deux vieilles voitures et de quelques agents pour faire face aux appels d’urgence. Comment voulez-vous qu’on s’y prenne. En cas d’appel d’urgence, on ne peut dépêcher qu’un ou deux agents, dans une voiture déglinguée, ce qui ne saurait dissuader les malfrats et imposer l’autorité de la police. A cela s’ajoute la carence patente de la formation sur tous les plans : professionnel, technologique, relationnel et autres. Comment peut-on alors construire une police dissuasive, respectée et non violente, puissante, plutôt que forte, digne de confiance, à même de jouer pleinement son rôle dans l’édifice citoyen et démocratique général ?

En visitant les postes et les commandements, je découvre des hommes et des femmes d’exception. Nombre d’entre eux ont poussé leurs études universitaires au troisième cycle. Le centre d’études et de recherche créé au sein du Bataillon anti-terroriste est digne des grands centres spécialisés. A lire ses travaux ou suivre les présentations faites par ses chercheurs, on découvre avec appréciation leurs riches connaissances et profondes analyses. Mais, cette police a été meurtrie, spoliée de ses lettres de noblesse, objet de mille et une tentatives de dévoiement de sa mission, appauvrie dans ses moyens, constamment montée contre le peuple, lancée à ses trousses. Les dégâts sont immenses».

Réconcilier police et population, ce n’est pas par des embrassades en public. C’est beaucoup plus profond que ça. Il faut extirper les origines du mal, définir une stratégie d’ensemble, se donner les moyens nécessaires, lancer les formations et agir en continu : une totale refonte. Unifier les forces de sécurité, Police et Garde nationale, changer complètement l’aménagement des postes de sécurité, changer d’uniformes, de couleurs des véhicules et autres signes et symboles, un vrai changement en profondeur. Là-dessus, le consensus est total».

Comment y parvenir en un minimum de temps possible ? « Nous devons surtout atteindre au plus vite le point de non-retour. Avec le concours de tous, les excellentes compétences dans les divers corps et à tous les niveaux et les syndicats, nous travaillons d’arrache-pied pour finaliser la nouvelle stratégie. Sans plus tarder, nous nous proposons de la soumettre, dès la mi-septembre, à un premier débat afin de recueillir les différents points de vue, pour nous permettre de parvenir à la mouture finale. Je sais que c’est une course contre la montre, mais nous ferons tout pour y arriver».