Opinions - 12.08.2011

Pourquoi je m'engage ?

En tant qu’intellectuel

«Il faut bien que certains se disent ceci: jamais cette société ne trouvera d’issue s’il n’existe pas de gens prêts à renoncer à une part au moins de leurs pouvoirs et de leurs privilèges. Sinon, ils perdront tout et nous perdrons avec eux.

Je redoute sincèrement pour ce pays un destin comme celui du Tchad ou même de l’Iran. Cela arrive toujours par défaillance de l’intelligence et du caractère. Que ceux qui se sentent une responsabilité la prennent. L’intellectuel a la sienne, qui est de réfléchir et de faire don de la substance de sa pensée à son pays».(Hichem Djaït en 1984 dans son article «Tunisie: dérive ou renouveau»).

C’est ainsi que le 15 janvier 2011, je faisais partie d’une cinquantaine d’intellectuels anciens de grandes écoles, professions libérales, avocats, juristes et hommes d’affaires qui se sont spontanément réunis jugeant que le moment était venu d’oeuvrer de toutes nos forces pour créer la Tunisie comme on l’a rêvée, une Tunisie où tous les efforts se conjuguent pour la mise en place d’une démocratie saine et stable , un développement durable et équitable, une administration efficace et au service du citoyen. On se devait tous de participer de toutes nos forces au développement d’une nouvelle république basée sur une démarche participative et consensuelle.

On a donc décidé de créer un mouvement pour une nouvelle république qui se doit de relever les défis économiques, sociaux et politiques. Un manifeste a été élaboré jour après jour et bien que plusieurs membres du mouvement soient allés fonder des partis politiques, le mouvement s’est dit devoir être à égale distance de tous les partis et de tous les décideurs et de leur apporter les éclairages que seuls des intellectuels indépendants peuvent avoir. Les sujets ne manquent pas : la gestion de la transition du point de vue économique, politique et social, emploi et chômage, justice et réconciliation..

En tant que membre de la société civile

La société civile se doit aujourd’hui de jouer le rôle qu’elle n’a pas pu jouer durant les cinquante dernières années, celle d’une force de proposition, de persuasion et de pression pour les décideurs, une force de création d’une solidarité sociale de valeurs ajoutées et d’emploi.

La politique des 50 dernières années a fait de sorte de réduire le rôle de la société civile à un simple outil économique ou politique à la disposition de l’Etat. Bien sûr, des exceptions existent mais elles ne font que confirmer la règle. La révolution a vu naître des centaines d’associations citoyennes de solidarité, sociales, politiques et économiques. Nous considérons que c’est cette troisème composante de notre société, aux côtés du public et du privé, qui pourrait réaliser une mutation profonde permettant d’atteindre les objectifs de la révolution.

C’est ainsi que le mouvement pour une nouvelle république s’est constitué en association (Association Nou-R). Cette association se veut un véritable think-tank qui contribuera à jeter les fondements de la démocratie en Tunisie à travers des débats, des séminaires, des workshops, des études et des recherches exploratoires et prospectives et à produire des diagnostics, des recommandations, des programmes de travail et des feuilles de route afin d’orienter et d’aider les décideurs et la société civile.

Les défis économiques et politiques de la transition, le rôle de la diaspora dans la relance de l’économie, le nouveau modèle économique tunisien sont en train d’être passés au peigne fin par Nou-R en coordination avec d’autres associations et think-tank. Le réseau associatif est enfin en marche.

En tant qu’homme d’affaires

Les hommes d’affaires se sont trop abstenus de jouer leur vrai rôle, la création de richesse mais aussi la promotion de l’équité et du développement citoyen et responsable, l’instauration d’un véritable partenariat avec l’Etat pour améliorer son efficacité mais aussi participer à la mise en place et à la mise en oeuvre d’un ensemble de lois et d’institutions moteurs pour le développement du pays.

On a demandé durant plus de 50 ans à l’homme d’affaires de ne pas s’immiscer dans la politique, son rôle se limitant à celui d’un opérateur économique, et de laisser la politique aux politiciens. Le gouvernement pouvait écouter, lorsque bon lui semblait, les opérateurs économiques privés et ensuite prendre la décision qu’il voulait. Nous avons vu le résultat de cette myopie. Il est crucial pour la Tunisie qu’un véritable partenariat s’établisse entre le public et le privé :

• Les institutions de l’Etat doivent s’inspirer et profiter des systèmes de management des hommes et des ressources des entreprises privées afin d’améliorer leurs services au profit des citoyens.
• Cette interface doit se faire à travers la société civile, l’Etat consulte, écoute et intègre dans tous ses processus les avis, les conseils des opérateurs économiques privés
• L’Etat se doit de consulter

Afin de réussir, ce gouvernement devra s’interfacer, écouter, canaliser et utiliser les compétences de dizaines de think-tank qui se sont spontanément constitués ces derniers jours en Tunisie groupant compétences et talents qui constituent des forces de proposition et de persuasion.

Il devra certainement s’appuyer sur les dizaines d’études, consultations, diagnostics et plans d’action d’organisations nationales et internationales qui ont été réalisés mais qui n’ont pas pu se concrétiser vu l’environnement et les dysfonctionnements existants et dont cette révolution vient de constituer la vraie rupture.

En tant que père de famille

La jeune fille de 17 ans d’un ami, lors d’une réunion familiale, lui a fait la réflexion suivante : «La génération de grand-père a sorti les colons de la Tunisie, notre génération a fait la révolution et sorti la dictature, et votre génération qu’a-t-elle fait tout ce temps-là ?». Mon ami, après avoir réfléchi longuement, lui a répondu : «Nous avons élevé ta génération et j’espère que nous saurons comment vous aider à libérer correctement votre potentiel afin de bâtir la Tunisie que nous n’avons pas pu faire».

La véritable construction démocratique ne peut être réalisée en quelques mois. C’est pierre par pierre que chaque père est appelé à édifier une société équilibrée jouissant de la liberté et de la dignité où règnent équité et justice sociale. Jour après jour, je me dois de réinjecter la valeur du travail honnête et bien fait dans une société où «Dabbar Rasek» était devenu le leitmotiv pour tous, c’est-à-dire le gain facile, indépendamment des moyens mis en oeuvre, la valeur de s’écouter et de se comprendre dans la différence, la valeur de dire et vivre ce qui est juste et honnête jusqu’au bout mais dans la manière, en utilisant les canaux et les mots adéquats.

La révolution est fragile, la route est longue, le monde entier nous regarde et nous tient pour l’origine et le succès de la révolution arabe. Engageons-nous tous !

Maher Kallel