Success Story - 11.07.2011

Porte-parole d'Afek Tounes Emna Menif : Ma vie est une série de combats

A 44 ans, Emna Menif, Professeur de médecine, figure de proue du syndicat des médecins hospitalo-universitaires, et porte-parole du parti Afek Tounes, incarne bien les valeurs de cette nouvelle génération affranchie par la révolution. Elle y a intensément contribué, en prend aujourd’hui pleine conscience et s’y investit.
La chute de la dictature ne fait que lui ouvrir un nouveau champ de bataille : encore un combat à gagner, elle qui a passé toute sa vie à batailler, d’un front à l’autre. Récit d’un parcours.

Dignité et respect : deux mots clés qu’elle a hérités dans ses gènes. Sa grand-mère maternelle n’avait-t-elle pas refusé la bigamie et accepté d’élever seule sa fille et, pour y subvenir, aller travailler comme infirmière dans une institution éducative à Souk El Khemis (Siliana). Femme divorcée, mère esseulée, elle a tenu à préserver sa dignité plutôt que d’accepter une «dhorra» !

Le journalisme mène à tout…

Emna, très jeune, ne voulait pas constituer une charge pour sa maman, comme à son papa, séparés, et tentera de financer ses études, en gagnant sa vie. Dotée d’une belle plume, affûtée dès sa prime jeunesse à la lecture de Zola et Tolstoï, elle sera pigiste au journal La Presse. Cinq ans durant (1986-1990), et malgré les exigences de ses premières années de médecine, elle fera le reporter sur le terrain et la rédactrice au desk, signant de superbes articles. Mais, dès qu’elle sentit que les années de grâce du « changement » commençaient à disparaître, elle se retirera avec grande amertume, sacrifiant son unique source de revenu, en attendant sa maigre indemnité d’interne des hôpitaux. Studieuse, elle réussira brillamment ses études, se spécialisera en radiologie. Nullement tentée par l’exercice en libre pratique beaucoup plus lucratif, elle préfèrera la santé publique. Un choix naturel pour celle qui se dédie avec grande conviction à ses patients dont la pluspart sont des nécessiteux, et à ses étudiants et disciples auxquels elle entend transmettre plus que la science et la noblesse de ses valeurs, les idéaux de la liberté, de l’intégrité, de la dignité et du respect de l’autre.

De tous les combats

Au prix de luttes qu’on imagine dans les milieux hospitalo-universitaires, elle sera chef de service à l’hôpital de la Rabta. Loin de s’installer dans le confort de son statut et de savourer ses honneurs et plaisirs, elle s’engagera dans l’action corporatiste et syndicale. Au sein du conseil de l’Ordre, au niveau régional, puis national, mais aussi au syndicat des médecins hospitalo-universitaires relevant de l’UGTT, gagnant sa place toujours par le suffrage de ses confrères, guère complaisants.

Emna Menif sera de tous les combats, de toutes les luttes. Oubliant son statut de chef de service, elle n’hésite pas à se mettre en première ligne, criant l’indignation de la corporation, portant ses revendications et mettant toute son énergie au service des bonnes causes. De sa voix déterminée et intransigeante, elle prononcera des discours enflammés, toujours soutenus par une argumentation irréfutable. Refuser de se résigner à la fatalité, redoubler d’indignation et toujours forcer le respect : pour elle, aucune concession n’est acceptable, aucune compromission par rapport à ses principes non négociables.

De l’avion à la manifestation

Frustrée par les années de dictature, blessée dans l’âme, meurtrie, elle puisait dans ses souffrances les ressorts de son combat. Dès le début de l’automne, elle sentait monter en elle une nouvelle sève magique. Son activisme redouble, le dernier quart d’heure de la libération s’accélérait. La montée en puissance des mouvements, début janvier, la surprend alors qu’elle était à l’autre bout du monde, dans le Sud-Est asiatique. Accrochée au téléphone, elle a dépensé tout son argent à appeler les siens en Tunisie, suivre heure par heure l’évolution de la situation, en attendant de pouvoir prendre le premier avion pouvant la ramener à Tunis. A peine débarquée, elle est dans la rue et dans les meetings, scandant de toutes ses forces les appels à la dignité, à la liberté et à la démocratie.

Sans même avoir le temps de savourer la fuite du dictateur et la chute de son Etat-RCD, elle a rapidement pris des risques qui menacent la révolution et s’est engagée dans le nouveau combat pour la citoyenneté, la tolérance et la préservation de l’esprit du 14 janvier. Avec ses camarades syndicalistes, elle découvre avec surprise la surenchère de ceux qui veulent récupérer la révolution et se hisser aux premières loges. Sans hésitation, le syndicat des médecins hospitalo-universitaires votera lors d’une houleuse assemblée générale, début mars, le gel de son affiliation à l’UGTT. Une alerte très sérieuse à la centrale ouvrière alors traversée par des courants contradictoires.

Entre la Kasbah et la Coupole

Souvenez-vous bien, la Tunisie à peine affranchie vivait les sit-in de la Kasbah 1 et 2. Le gouvernement Ghannouchi, interdit d’accéder à ses bureaux, se réfugiait dans l’aile administrative du palais de Carthage, avant que le Premier ministre finisse par remettre sa démission et que M. Béji Caïd Essebsi ne vienne lui succéder. La majorité silencieuse se met à bouger pour qu’elle ne soit plus majorité immobile. A la Kasbah répond la Coupole. Entre les deux, le coeur d’Emna balance et la voilà donc sur la pelouse de la Cité Sportive. «En fait, ce n’était pas contre la Kasbah. C’était juste pour dire voilà ce que d’autres Tunisiens pensent et expriment, dit-elle. C’était aussi un moment décisif pour moi : il était temps que je m’engage. Il fallait crier haut et fort que la violence n’est guère la voie de la démocratie, ni une forme de débat. Malheureusement, la scène politique ne s’exprimait alors que par la violence et rares étaient ceux qui privilégiaient le respect et le respect de la différence. »
L’engagement d’Emna Menif prendra rapidement une autre forme. « J’étais convaincue que pour aboutir à la Constituante appelée de nos voeux, il fallait quelque chose de plus fort, de plus profond. Avec mes amis, dit-elle, nous avons commencé à créer une association, «La Tunisie Unie». Mais, il en fallait plus. Nous ne nous sommes pas reconnus dans l’existant et nous nous sommes demandé s’il ne fallait pas envisager la création d’un parti politique. Un vrai parti, notre propre parti. C’est à ce moment-là que j’ai pris contact avec Sami Zaoui et tout le groupe. Ainsi naquit Afek Tounes, dans un élan citoyen, un sursaut patriotique.

«Perle rare », Emna Menif ne pouvait mieux servir de porte-parole, avec Faouzi Abderrahamène, à la disposition. Son expérience journalistique, son ton et sa clarté l’y autorisent tout naturellement. En plus, à deux, la tâche est encore plus facile. Il y brillera, sans accaparer les feux de la rampe. Samedi 23 avril 2011, au Palais des Congrès, lors du premier grand meeting du parti, elle fera un tabac. Habillée en noir, un collier de perles au cou, elle s’adressera aux centaines de nouveaux adhérents, quasi tous BCBG, avec la rage aux tripes, mais la raison au bout de la langue. La nouvelle Emna Menif est arrivée. Parti BCBG ? Elle s’en défend farouchement : «Etre cultivé n’est pas une tare. Plus, ajoutera-t-elle, on sera mieux représentés par des instruits que des ignares. Regardez où l’inculture nous a conduits ces dernières années».

Un parti élitiste qui n’arrive pas à dépasser les 2 000 adhérents ? «Attendez la suite, rétorque-t-elle. Nous ne sommes qu’à nos débuts et avec peu de moyens, d’ailleurs très transparents quant à notre financement. Jusque-là, nous sommes l’unique parti à avoir publié ses états financiers et révélé ses sources de financement.»

Vous comptez nombre de binationaux parmi vos dirigeants ? «Ils sont, avant tout, Tunisiens, oppose-t-elle. Et personne ne peut douter de leur patriotisme. Plus, nombre d’entre eux ont laissé leurs familles et sacrifié affaires et carrières pour se mettre pendant toute cette année au service de leur patrie. Ils en ont encore plus de mérite. Malheureusement, l’histoire a montré qu’un Tunisien 100% pur jus (Ben Ali) a failli mettre le pays à genoux. Alors, soyons sérieux, le patriotisme ne s’acquiert pas par le seul passeport!».

Afek Tounès manque de visibilité ! «D’abord d’une distorsion et d’un déficit d’image, du fait des médias. Je sais qu’il n’est pas facile d’émerger au milieu de tant de partis et d’ONG et qu’il n’est pas aisé de poser ses marques. Mais, n’oubliez pas, nous n’avons que quelques semaines d’âge et nous poussons bien. L’essentiel, c’est que nous bougeons beaucoup sur le terrain et cela compte beaucoup».

Vous finirez par sceller une alliance avec un ou d’autres partis ? « Le débat est ouvert, les passerelles aussi. Il est vrai que nous ne saurons atteindre nos objectifs sans unir nos forces avec d’autres familles qui partagent avec nous les mêmes valeurs et les mêmes idéaux. Chaque chose en son temps et nous serons heureux d’accueillir parmi nous toutes les bonnes volontés… » Quelle pourrait être sa plus grande crainte ? « Celle de voir le pays sombrer dans l’intolérance et que chacun se risquant à considérer que la liberté de l’autre est une agression à son égard». Et sa plus grande joie ? « De voir la Tunisie redevenir pour tous les Tunisiens et qu’on y vive libres et respectés».

Ce qui lui fera le plus plaisir à titre personnel ? « Que mon combat serve à quelque chose, qu’il soit compris et perçu à sa juste valeur, traduisant toute ma sincérité».

Ambitieuse, vous cherchez le pouvoir ! «Oui, je vous l’accorde. Mais, le vrai pouvoir que je cherche, c’est celui de réaliser, d’apporter des réponses aux problèmes de mes concitoyens, de contribuer à leur bonheur. Mon ambition est collective et non individuelle.»


R.D