Opinions - 23.06.2011

A propos de «Réformer ou mourir»

La série « Réformer ou mourir » publiée dernièrement sur les colonnes du journal en ligne « Leaders.com.tn » a suscité maintes réactions et critiques. Cela appelle de ma part quelques commentaires. Mais je tiens d’abord à remercier tous ceux qui m’ont fait l’honneur de me lire et d’enrichir mes écrits par leurs critiques. Qu’il me soit permis aussi de remercier l’équipe de « Leaders » d’avoir courageusement publié mes critiques contre la politique de Ben Ali et de son Gouvernement dans plusieurs domaines (économie, emploi, santé, inégalités sociales, etc.) du temps où il était dangereux et risqué de le faire. Venons-en maintenant aux principales critiques.

La première, directe et abrupte, a porté sur mon « oubli » de toute évocation de la réforme de la politique culturelle. Pour dire vrai, la dimension proprement culturelle du développement économique et sociale ne pouvait échapper à personne tant elle est évidente. En effet, le développement est par définition culturel et je dirais même cultuel. Mais deux raisons expliquent mes réticences à l’évoquer directement. La première est que je ne voulais pas à toucher au « sacré », c'est-à-dire à la culture. En fait, nul écrit sur la réforme de la politique culturelle ne peut être pertinent ou suffisamment construit. Je vais plus loin encore en soutenant qu’il ne peut y avoir de politique culturelle au sens où on l’entend généralement. Dimensionner la culture, l’encadrer ou l’institutionnaliser constituent des actes qui confinent au sacrilège. L’Etat et les Collectivités territoriales auront dans l’avenir à encourager la construction du maximum d’espaces culturels et à légiférer pour apporter le soutien matériel à la diffusion de la culture, mais ils ne doivent en aucun cas se mêler du contenu ou de la forme de la culture à diffuser. C’est en tout cas la position que je défends. La seconde est que d’autres ont su, beaucoup mieux que moi, défendre la culture de la façon la plus héroïque qui soit. Je citerais l’exemple de certains « saltimbanques » du Théâtre Tunisien qui ont fait la fierté de ce pays tant ils ont su « résister » alors que l’attitude générale était à l’abandon sinon à la compromission. Grâce à eux, la flamme de la résistance au régime de Ben Ali ne s’est jamais éteinte.  Par leur posture, ils ont démontré que la culture doit être iconoclaste ou alors ce n’est pas de la culture.

Edgar MORIN  disait que  « la notion de culture est sans doute en science sociale la notion la moins définie de toutes les notions ; tantôt elle englobe tous les faits sociaux pour s'opposer à la nature, tantôt elle est le résidu où se rassemble tout ce qui n'est ni politique, ni économique, ni religieux. ». Comment disserter alors sur la politique culturelle sans commettre des bévues ou des raccourcis. Comment le faire dans un siècle si fortement soumis à la mondialisation, une mondialisation charriant forcément l’homogénéisation et la standardisation d’une part, l’industrialisation de la culture d’autre part. A cela s’ajoute l’effet pervers de la hiérarchie socio-éducative qui met à la portée des plus favorisés des formes de culture auxquelles les moins favorisés n’ont pas accès. Car il y a bien une culture « cultivée » et une culture « populaire », et c’est cette culture « cultivée » qui pèse le plus lourd sur le budget des Etats. Il ne faut donc pas que dans ce domaine aussi s’appliquent les lois de la redistribution inversée, les plus humbles  contribuant au bien-être des plus nantis. Ou bien la culture « cultivée »  est financée par l’argent public auquel cas elle doit bénéficier à tous, ou bien elle doit trouver d’autres sources de financement comme le mécénat et alors  le rapport des oeuvres à l’esprit ne concernera que la minorité.  Dans un cas comme dans l’autre, la culture est perdante.

La seconde critique non moins directe concerne le titre de la série lui-même. Pourquoi ai-je utilisé le terme un peu violent de « mourir »? En fait, j’ai beaucoup hésité et j’ai même laissé à « Leaders » le choix de choisir un autre titre si les responsables du site le jugent opportun. Ils se sont abstenus de le faire et je les en remercie. Quoi qu’il en soit, j’assume le titre. Je crois en effet que si la Tunisie ne procède pas aux réformes structurelles qui s’imposent, elle ne pourra pas consolider son processus de développement et que de ce fait elle ne pourra pas avancer sur le chemin de la liberté et de la démocratie. Faute de réformes hardies, le pays ira, par lassitude ou déception, vers le désespoir et les choix électoraux suicidaires. Jamais la démocratie ne pourra trouver assise si le modèle de développement n’est pas remis en cause. Si rien ne change véritablement et en profondeur, les déséquilibres régionaux, sociaux, économiques, démographiques et environnementaux finiront par avoir le dessus sur la solidarité nationale et sur les éléments constitutifs de la Nation. Sans réformes, le pays s’immolera en toute conscience. Il s’agira alors bien d’un suicide, un suicide collectif et absurde qui plus est.

Finalement, deux questions semblent avoir attiré le plus d’attention : la réforme du système éducatif et de formation d’une part, la réforme de la politique fiscale d’autre part. Je dois dire que l’intuition des électeurs correspond tout à fait à mes propres préoccupations. Ces deux questions constituent en effet la clé de voûte de tout l’édifice. Concernant le système éducatif et au-delà de ses résultats « techniques » ou de ses nombreuses incompatibilités avec les évolutions économiques et techniques, ce qui doit nous interroger en priorité ce sont ses conséquences sur la mobilité sociale. Sans circulation sociale, aucune société ne pourrait être apaisée et solidaire. Et dans la mesure où cette réforme sera la plus difficile et la plus longue à mettre œuvre, elle constituera un formidable test quant à notre volonté de vivre en commun. Quant à la fiscalité, ce n’est pas là une question d’équité et de solidarité qu’il s’agit seulement, mais bien de notre volonté d’anticiper par rapport à ce qui se passe en Grèce où l’endettement du pays a pour principale origine la fuite fiscale. Dans ses profondeurs, le pays n’accepte plus  de voir la richesse produite ne bénéficier qu’au plus petit nombre et il tolère encore moins que ce petit nombre continue à rechigner devant tout devoir fiscal élémentaire.

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2 Commentaires
Les Commentaires
souf moufid - 25-06-2011 20:44

pour la fiscalité nous les fonctionnaires on payent à l'état plus que les hommes d'affaires ce qui est inverse aux pays européens tels que allemagne ou la france.la fraude fiscal est une affaire pénale en allemagne.

lotfi - 26-06-2011 09:50

la Grece se trouve en quasi faillite plus a cause de sa mal gouvernance que de la fiscalite .la part d' achat d'armes a plombée son budget les reméd du FMI des agences de notations auto_proclamées la speculation sur la dette ont fait le reste.quand on n 'a plus les moyens de s' acheter son pantalon on ne peut plus serrer sa ceinture...

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