News - 09.06.2011

Ce que les opérateurs tuniso-américains ont demandé à Caïd Essebsi

Créer un corps de volontaires tunisiens pouvant servir dans le pays et à l’étranger, lever l’interdiction sur la franchise des marques internationales, débloquer la situation dans nombre d’entreprises à partenaires étrangers tels que Tunisie Telecom ou l’aéroport de Monastir et relancer les méga-projets immobiliers quitte à indemniser les promoteurs des pays du Golfe et remettre les terrains aux enchères : autant de questions qui ont été posées au Premier Ministre, M. Béji Caïd Essebsi par les adhérents de la chambre de commerce tuniso-américaine (TACC). Devant une salle archi-comble et en présence de l’ambassadeur des Etats-Unis d’Amérique, M. Gordon Gray, le chef du gouvernement ne cachait pas son plaisir de s’adresser aux opérateurs économiques et de répondre à leurs questions, d’autant qu’il le fait dans « une instance dont, pour la première fois, la direction a été démocratiquement élue, et qui a porté à sa tête une femme, M. Amel Bouchammaoui, deux réalisations pionnières ».

« La dernière fois que vous étiez notre invité à la TACC, lui rappelle le past-président, Me Moncef Barouni, c’était avant la guerre du Golfe. Prémonitoire, vous avez alors prédit que la guerre allait éclater et l’Irak en pâtir ! Aujourd’hui, pourriez-vous nous dire si, d’une manière ou d’une autre, la réussite de la transition démocratique aura un impact, aussi minime que cela puisse être, sur la réélection de Barack Obama ? En ancien ministre des affaires étrangères et stratège visionnaire, M. Béji Caïd Essebsi s’élance : « Vous savez tous combien les Américains sont attentifs à notre révolution et soucieux de son aboutissement. Ils y trouveront une belle démonstration du triomphe de la démocratie, si chère à leur combat et pourront apporter la preuve que cette fois-ci, et contrairement à d’autres expériences menées ici et là, leur soutien n’est pas vain. Nous leur apporteront aussi la preuve qu’être arabe et musulman n’est pas incompatible avec la liberté et la démocratie.»

Il reviendra longuement sur les deux siècles d’étroites relations bilatérales et évoquera la chaleur des échanges qu’il vient d’avoir à Deauville, lors du sommet du G8 avec le président Obama : « il est venu jusqu’au desk affecté à la délégation tunisienne, dira-t-il,  pour nous féliciter du fond du cœur et nous réitérer l’engagement à long terme des Etats-Unis aux côtés de la Tunisie. Tout ce que nous avons demandé, ce n’est pas de l’aide, mais de la compréhension. Voilà donc la nouvelle donne pour vous hommes d’affaires : nous réunissons pour vous les bonnes conditions nationales et internationales, oeuvrons pour la restauration totale de la sécurité et la stabilité sociale, et à vous d’investir et de créer de la richesse. Aujourd’hui, la Tunisie compte 77 entreprises américaines qui emploient 14 000 salariés : à vous de les multiplier plusieurs fois ».

« Nous y oeuvrons, affirmera l’ambassadeur Gray. D’ailleurs les Etat-Unis participeront à la conférence internationale sur l’investissement qui se tiendra les 16 et 17 juin à Tunis avec une délégation de haut niveau, qui sera conduite par M. Jose Fernandez, Assistant Secretary of State for Economic, Energy and Business Affairs, c’est vous dire toute l’importance que nous y accordons. De grandes compagnies, telles que Fedex, seront également présentes.» Le Premier Ministre, s’en félicite, décernant au passage au diplomate américain, un satisfecit sincère.

«Maintenant que vous avez fixé au 23 octobre la date des élections et appelé à la levée des sit-ins et grèves, pourquoi ne pas décréter l’interdiction de toute grève et débrayage social jusqu’au 31 décembre, lui demande un chef d’entreprise ? » La réponse est claire : «une loi suffit-elle d’être prise pour être respectée, dans le contexte actuel. Le gouvernement ne cesse de réitérer les appels dans ce sens et il nous appartient à nous tous d’y œuvrer ».

« Vous incitez les investisseurs étrangers à s’installer en Tunisie alors que certains d’entre eux rencontrent de réelles difficultés », l’interpelle le représentant d’une multinationale, citant le cas des Emiratis actionnaires de Tunisie Telecom. « Je comprends, mais s’ils ont mis 35% dans cette compagnie, la Tunisie y détient 65%, c’est vous dire notre implication et notre intérêt, répond le Premier ministre. Mais, je vais vous rassurer, nous venons de tenir une série de séances de travail à ce sujet et je puis vous assurer que nous nous acheminons vers une solution équitable. Notez avec moi, cependant, que c’est la première fois qu’un syndicat se mobilise pour réduire des salaires… ».

« Et l’aéroport de Monastir ? » demande un journaliste. « Le dénouement est imminent », le rassure M. Caid Essebsi.

Sans la moindre réserve, il approuve la proposition de l’ambassadeur Salah Hannachi de créer un corps de jeunes volontaires tunisiens, celle de Jamel Ksibi de relancer les méga-projets, ou encore l’appel à la levée de l’interdiction qui frappe la franchise des enseignes étrangères. « L’essentiel, c’est que l’économique reprenne, vite et bien, que des emplois se créent, que des produits s’exportent sans barrières, et que la démocratie naissante s’ancre et se propage dans tous les pays de la région. J’ai hâte à voir tout cela se réaliser avant de remettre mon mandat aux élus du 23 octobre », conclura-t-il.

Le style Caïd Essebsi fait mouche, comme le lui déclarera une jeune manager : « vous parlez vrai et proche du peuple, avec vous, nous comprenons les choses, allez encore plus de l’avant et mettez à profit ces quatre mois qui nous séparent des élections, pour relancer l’économie et stabiliser le pays ». La salle applaudit ! Le téléphone portable du Premier Ministre sonne. Il le sort de sa poche échange quelques mots avec son interlocuteur : « oui, j’ai compris, okay ! Je sais que mille une choses m’attendent», avant de prendre congé de ses hôtes : «Désolé, les amis, je dois y aller ! ».