Opinions - 26.04.2011

Arithmétique électorale : les « mauvais» comptes ne font pas la démocratie

Pour Néjib Chebbi, dont le regard est obstinément fixé sur la ligne bleue des présidentielles, les élections du 24 Juillet ne seraient qu’un tour de piste au cours duquel le PDP affirmerait le statut présidentiable de son chef. Et pour cela, il ne faudrait surtout pas qu’il se dilue dans un front démocratique uni qui pourrait en outre, aux dires de ses amis, lui faire perdre des sièges. Car le scrutin avec répartition proportionnelle aux plus forts restes favoriserait, paraît-il, la représentation des « petits » partis, qui auraient donc intérêt à aller aux élections en ordre dispersé afin de peser davantage, pour se regrouper ensuite.

Ce raisonnement en apparence « mathématique » pèche malheureusement par deux côtés : 

Côté arithmétique d’abord : la répartition proportionnelle aux plus forts restes ne crée pas de sièges supplémentaires, elle ne fait que répartir ceux qui existent, c’est un jeu à somme nulle où les sièges gagnés par les petits partis ne le sont généralement qu’au détriment des plus petits qu’eux. Sans compter que les plus forts restes peuvent aussi profiter aux plus grands, tout dépend … de la comparaison des restes justement ! Prétendre que « les » simulations donneraient l’arc démocratique gagnant au jeu de la division est donc tout simplement une plaisanterie. Des simulations tout aussi plausibles, aux résultats totalement divergents, pourraient leur être opposées.Les résultats dépendront en fait des poids respectifs des partis en présence le jour du scrutin, ce qui constitue précisément l’inconnue majeure de cette élection, une inconnue largement imprévisible compte tenu de l’absence totale de données fiables et de traditions démocratiques dans le pays. Quoiqu’en disent les sondages folkloriques qui fleurissent sur le net …

Mais c’est du côté politique que le bât blesse le plus, et que l’erreur de raisonnement devient une faute. Car l’hypothèse de base qui le sous-tend est que le PDP et la coalition démocratique à laquelle il pourrait se rattacher n’auraient qu’une vocation minoritaire. Ce qui, compte tenu des ambitions présidentielles de M. Chebbi, ne manque pas de piquant.  Avec quelles voix pense-t-il donc être élu s’il se présente ? Celles de ses (ex) alliés du pacte du 18 Octobre, qui a déjà du plomb dans l’aile, et dont il ne restera sans doute rien au lendemain d’élections dont le PDP sortirait minoritaire ?

A ce déficit d’ambition, incompréhensible pour un opposant de la première heure, s’ajoute une faute de discernement politique. Dans un pays sans tradition démocratique, et l’ancrage partisan des citoyens qui va avec, un pays engagé de surcroît dans une transition post-révolutionnaire, penser la politique et les élections en termes statiques est tout simplement inconcevable. L’instant que nous vivons est celui de la structuration du champ politique autour des valeurs essentielles que partagent – ou non – les citoyens. Les lignes restent extrêmement mouvantes, et la situation très volatile : ainsi  il y a trois mois, Ennahdha était loin de peser sur le débat public de la même façon qu’aujourd’hui. De même que Farhat Rajhi – adulé du grand public il y a seulement deux mois –  a brutalement disparu du paysage politique et médiatique sans que personne ne s’en émeuve. Alors, comment peut-on penser une élection qui se tient dans trois mois avec les paramètres de la situation d’aujourd’hui ?

Et les paramètres qui prévaudront le 24 juillet, c’est aujourd’hui qu’ils se fabriquent grâce à l’action politique. La politique au sens noble du terme, et non celle qui consisterait à éparpiller les choix pour tenter de grappiller un siège par ci ou par là, et peut-être – qui sait ? – une majorité grâce à quelque accident heureux de l’arithmétique électorale. Celle qui consiste à donner des perspectives aux citoyens pour qu’ils puissent choisir en toute connaissance de cause entre des projets de société différents, car il s’agit tout de même d’écrire la Constitution qui régira notre pays durant le prochain demi-siècle ! Celle qui consiste  enfin à donner aux partisans de la Tunisie moderne et démocratique l’espoir que seul un élan unitaire peut leur procurer, car qui ferait confiance à des partis pour « gouverner » ensemble demain s’ils n’ont pas aujourd’hui la capacité de s’unir sur un projet avant les élections ?

Mr Néjib Chebbi, j’en appelle à l’homme d’état que j’ai découvert sur nos écrans TV au lendemain du 14 Janvier, au chef de parti responsable, au militant engagé, au débatteur talentueux. Ne manquez pas ce rendez-vous avec l’histoire, car il n’y en aura pas de plus grand et de plus important pour vous avant longtemps ! Soyez au rendez-vous des espoirs des citoyens aujourd’hui, et ceux-ci seront demain au rendez-vous de votre ambition – qui serait alors légitime – de les servir en assumant les plus hautes charges de l’Etat.

Mohamed Jaoua
* Universitaire