Lu pour vous - 25.03.2011

Le goulag n'est jamais fini Vigilance continue

En tant que penseur musulman libre et coranique, j’avais toujours refusé et condamné toutes les formes de violence d’où qu’elles viennent. La liberté est une dimension structurante de ma pensée, et ma religion est la liberté. J’avais écrit cet ouvrage à l’occasion du XX° anniversaire du coup d’état médical du 7 Novembre 1987 qualifié de béni, et qui s’était révélé maudit. Je n’en change rien. Je veux que l’ouvrage conserve son caractère de document historique daté, car c’est dans cet esprit que l’avais écrit. Historien professionnel, je l’ai écrit pour l’histoire.

Je n’ai pu le publier nulle part. Toutes les grandes maisons d’édition françaises auxquelles je l’avais proposé l’avaient refusé :
Albin Michel, Laffont et Seghers, Karthala, Plon, Fayard, Seuil, Persée, Bénévent. Al Qalam (Paris), après un long atermoiement, m’avait proposé un contrat inacceptable. Le Fennec (Casablanca, Maroc), après signature du contrat, suivi d’un long silence, avait finalement refusé. L’ouvrage parut ensuite sur Internet avec un titre d’emprunt, Le Rapp dans la musique contemporaine, puis il fut effacé. J’avais décidé d’attendre des temps meilleurs. Les temps meilleurs sont venus. Je publie l’ouvrage à mon compte.

Au changement promis le 7 Novembre, j’avais cru avec l’ensemble des tunisiens. Je fus déçu. Le discours du Président Ben Ali, du 13 Janvier 2011, avait annoncé le début de la fin de l’une des dictatures les plus affreuses du monde. Il a fui le lendemain. Le 14 Janvier doit rester la Fête Nationale de la Démocratie. A ce propos, il serait injuste que les sous-fifres payent, et que les chefs jouissent d’une confortable retraite dorée parmi leurs victimes ou dans des pays amis. Le dictateur doit rendre compte au peuple, avec tous ceux qui l’avaient aidé dans ses forfaits, dans des procès publics, justes et transparents, même en son absence en cas de refus de le livrer à la justice.

Je n’oublie pas que le président Sarkozy avait loué et encouragé la démocratie à la Ben Ali. Chirac l’avait précédé. La France a des intérêts. Beaucoup d’autres états aussi. De tout temps, ce n’est pas seulement depuis Machiavel, la raison d’état règne en politique. Cela ne changera jamais. Seulement il faut savoir où mettre ses intérêts. Cela vaut aussi pour nous. Nous ne pouvons collaborer qu’avec ceux qui nous respectent et respectent
nos intérêts. Et n’oublions jamais qu’on n’est respecté, que dans la mesure où on se fait respecter. Telle est la règle d’or dans toutes les relations humaines.

Il nous faut donc être conscients de nos intérêts. Notre pays a été modernisé. Tout régime a son passif et son actif. Sauronsnous nous débarrasser du passif sans perdre l’actif ? Saurons-nous construire une démocratie sans rancune en rupture avec le passif, et en continuité avec l’actif ? Saurons-nous rénover notre pensée musulmane pour concilier Islam et modernité ? A la turque par exemple ? J’aborde dans cet ouvrage ce problème, car il n’y a pas de démocratie pour aucun peuple sans enracinement de la démocratie dans les valeurs fondamentales de ce peuple. Tant que la démocratie est ressentie comme une greffe extérieure, elle provoque inéluctablement un phénomène de rejet. Le danger qui nous guette donc aujourd’hui vient du Salafisme, qui est passéisme, médiévisme et marche à reculons, même s’il se camoufle et ne joue pas carte sur table. On ne peut avoir confiance dans le Salafisme, car le Salafisme ne peut pas rompre avec la Charia. Elle est son seul programme. Il n’a pas pu l’appliquer par ce qu’il appelle le djihâd. On l’a vu en action en Algérie. Il renonce au djihâd.

Mais il ne renonce pas à la Charia. Il explore maintenant pour son application la voie démocratique, avec taqiyya (camouflage temporaire), mais il n’a pas renoncé à son but, et ne peut le faire jamais tant qu’il est Salafisme.

L’Islamisme salafite, c’est le pire qui puisse nous arriver. Que les tunisiens choisissent en connaissance de cause, et de ce à quoi ils s’exposent. Je leur dis : que Dieu nous préserve de la généralisation par contrainte du foulard dit faussement obligation (fardh) islamique ; de la ségrégation des sexes ; de la lapidation pour adultère ; des mains et éventuellement des jambes coupées ; et de la peine capitale pour apostasie, une apostasie infiniment extensible au gré de n’importe quel illettré uléma-mufti improvisé.

L’Islamisme salafite est un totalitarisme obscurantiste de la pire espèce, pire que toutes les dictatures. Pensez aux Talibans ! L’Islam, lui, est laïc : il n’y a pas de clergé en Islam ; il n’y a pas de prêtres pour célébrer l’office; pas d’imams professionnels ; les imams doivent se recruter dans toutes les couches sociales du peuple : médecins ou artisans ; avocats ou ouvriers ; etc.

Certes, la liberté est indivisible. Elle est pour tous, y compris pour les Salafites. Aucune entrave ne doit être opposée à leurs discours passéistes. Mais de même pour leurs adversaires. La clé, en ce moment où le destin de la Tunisie peut se jouer, est donc entre les mains des défenseurs des libertés et de la démocratie. Il faut veiller pour que la victoire du peuple sur la dictature, ne soit pas récupérée par les ennemis de la liberté et de la démocratie. Si le peuple veut que sa victoire, qu’il a payée du sang de sa jeunesse, ne lui soit pas confisquée, il doit rester mobilisé et vigilant. Il ne doit faire confiance à aucun gouvernant que sous bénéfice d’inventaire constant dans la transparence la plus absolue. En particulier, tous les médias doivent être indépendants du Pouvoir. En cas d’abus, la parole est à la justice non moins indépendante. C’est la seule garantie pour que la démocratie ne soit pas manipulée, et pour qu’elle ne devienne pas la servante la plus corrompue de
la dictature : souvenons- nous des discours de Ben Ali ! Aucun chef d’Etat n’avait jamais autant parlé de démocratie. Bref ! Le combat pour la liberté n’est jamais définitivement gagné. C’est un combat permanent qui doit être sans cesse renouvelé.


Le 7 Février 2011

Bonne feuilles tirées de l'ouvrage de Mhamed Talbi « goulag et Démocratie »