News - 13.03.2011

Quand Jean Daniel parle de la révolution tunisienne

On écoute toujours avec  grand intérêt Jean Daniel surtout quand il parle de la Tunisie, ce pays auquel il est resté  attaché et sur lequel  il a toujours porté un regard chaleureux, fraternel ; quand il évoque Bourguiba pour lequel il voue une admiration sans bornes ; et depuis deux mois, lorsqu'il  écrit  sur cette « magnifique révolution tunisienne » qu’il a vécue comme une « vengeance sur les autres » qui  ne saisissaient pas l’intérêt  qu’il portait à un petit pays  qu’on percevait à peine sur la mappemonde.  Ce pays avait un grand président, en l’occurrence Bourguiba, mais il  était apparu, grâce sa révolution comme un grand peuple. 

Pendant  plus d’une heure, la centaine de personnes qui étaient venus assister à la conférence du Directeur du Nouvel Observateur au Collège International de Hélé Béji ont eu droit à un exposé brillantissime sur la révolution tunisienne dont il a été l’un des premiers en France à saisir la portée alors qu’on s’interrogeait encore sur sa nature. S’agissait-il d’une jacquerie, d’une émeute ou d’une insurrection, écartant d’emblée l’hypothèse d’une révolution.

Jean Daniel avoue humblement avoir été surpris par les événements, car le propre d’une révolution est d’être imprévisible. Certes on savait que toutes les conditions étaient réunies, mais on ignorait quand elle pouvait éclater. «  Heureusement, il y a une justice immanente », commente-t-il. Les tyrans ont beau se prémunir contre les risques de complot ou de révolution, ils finissent toujours par être chassés du pouvoir par la force.

L’ombre de Bourguiba n’est pas loin. Jean Daniel évoque avec  chaleur le visionnaire, l’émancipateur de la femme, le pédagogue, mais aussi le mégalomane, le despote éclairé, le despote  tout court. Il rappelle ses positions courageuses sur  la «colonisabilité» des pays arabes, reprenant une théorie du penseur algérien Malek Bennabi. S’ils ont été colonisés c’est parce qu’ils étaient colonisables.  « je veux prendre aux Français ce qu’ils ont de meilleur pour combattre ce que les Tunisiens ont de pire », disait-il  Il ne s’agit pas de simples digressions, car  s’il convoque si souvent le fondateur du Néo Destour, mais aussi Mendès France, et la démarche gradualiste commune aux deux hommes, Camus, Foucault  et Aron. c’est pour  faire ressortir les petitesses et l’indigence intellectuelle de celui  qu'il refuse de citer le nom « comment il s’appelle déjà ? » s’interroge t-il malicieusement Se contentant de lui donner le nom du personnage principal du roman de Georges Orwell  1984,  Big brother

Il faut savoir terminer une révolution. « On commence l’indépendance avec une certitude et on finit par la liberté avec un grand point d’interrogation. Car la liberté est porteuse d’une potentialité de violence.  Choisir la liberté, c’est un risque énorme, parce qu’elle est   le contraire de la nécessité, c’est le fait  de choisir à chaque fois». Jean Daniel cite l’exemple d’un ami, un homme bardé de diplômes qui avait choisi la carrière militaire parce qu’il ne se sentait pas le courage de choisir seul plusieurs fois par jour. C’est pourquoi, il ne cache pas son inquiétude. De quoi demain sera-t-il fait ? On pourra faire comme les révolutionnaires français de 1789 en chantant ça ira, ça ira. Mais ce n’est pas souvent l’hypothèse la plus plausible. Avec la crise libyenne dont on ne sait ce qui va en sortir, avec la multiplication des partis, les défis sont nombreux et l’issue incertaine.