News - 18.02.2011

Corruption et malversations: les premières révélations d'Abdelfattah Amor

M. Abdelfattah Omar, président de la Commission nationale d'investigation sur les affaires de corruption et de malversation, a affirmé que de nombreux documents et témoignages disponibles, aujourd'hui, démontrent l'ampleur de la corruption dans la gestion des affaires de l'Etat sous le régime du président déchu Zine El Abidine Ben Ali. Il a cité, à titre d'exemple, la somme de 15 millions de Dinars collectée à titre de dons au profit de la campagne électorale présidentielle en 2009 dont le reste a été distribué, après les élections, sous formes de dons et de cadeaux à certaines personnes.

Après le financement de cette campagne, a-t-il précisé, 2,5 million de dinars de ces dons ont été remis au trésor public et des sommes importantes variant entre 300 dinars et six mille dinars ont été remises à un certain nombre de personnes, à la fin de la campagne.

Au cours d'une conférence de presse tenue, vendredi matin, au siège de la commission, M. Abdelfattah Amor a révélé, d'autre part, que quatre responsables de partis politiques ont reçu la somme de 50 mille dinars en espèces, en date du 7 janvier 2011, pour trois d'entre eux et le 12 janvier 2011, pour le quatrième, alors que l'ancien chef de la garde présidentielle, Ali Sériati, a reçu 500 mille dinars, le 13 janvier 2011.

Dans le même contexte, M. Amor a indiqué que la commission a reçu les documents de la présidence de la République relatifs au traitement par l'institution de la présidence des différents dossiers politiques, économiques et sociaux. Elle a, en outre, reçu les dossiers du Fonds de solidarité nationale (FSN) et du Fonds national de l'emploi (FNE) qui relèvent de la présidence, au niveau des fonds, mais elle n'a pas encore entamé leur étude.

Il a déclaré, d'autre part, que la commission a examiné jusqu'à présent 100 dossiers sur un total de 3300 dossiers reçus, dont un grand nombre ne relève pas de son ressort, à l'instar des questions ayant trait à l'emploi, à la promotion et à l'inexécution de jugements.

Le Président de la commission a fait observer que l'action de l'instance s'est focalisée au début sur l'étude des dossiers importants imputés aux familles Ben Ali et Trabelsi, dossiers d'où il ressort l'emprise irrégulière de nombreux biens de l'Etat, la transformation de leur vocation et l'octroi aux membres des deux familles citées et de leurs proches de biens régis dans la forme par des contrats légaux, mais qui sont de facto nuls et non avenus, en raison d'opérations de fraude et d'escroquerie.

M. Abdelfatteh Amor a donné des exemples, à ce sujet, notamment, le terrain sur lequel a été construite une villa située, à La Marina Hammamet, sur une superficie de 3524 mètres carrés, terrain obtenu pour une somme de cent dinars seulement de la part de la Société d'études et d'aménagement "Marina Hammamet Sud", ainsi que d'un lot de terrain cédé au dinar symbolique par le ministère des Domaines de l'Etat et des Affaires foncières sur lequel a été construite l'Ecole Internationale de Carthage et l'acquisition d'un autre lot de terrain situé dans la localité de Sidi Bousaid par le président déchu, pour 5 dinars le mètre carré.

Il a, aussi, évoqué la conclusion par une société d'un contrat avec des entreprises publiques dans des conditions anormales. Il ressort de ce contrat un déséquilibre frappant entre les deux parties contractantes et la violation du principe du service fait. Après discussion avec le patron de cette société et l'établissement de l'inadéquation de ce contrat et de la violation des règles juridiques de base, le concerné a accepté de rendre la somme de 24 millions de dinars à l'Etat tunisien.

D'autre part, M. Abdelfattah Amor a souligné que la mode de gouvernement en Tunisie n'était ni présidentiel ni présidentialiste mais plutôt totalitaire, en ce sens que tous les pouvoirs y compris les détails étaient décidés personnellement par le président déchu, s'agissant des décisions relatives à la souveraineté, à l'octroi des agréments et des concessions ainsi que des autorisations relatives à l'entrée des voitures de luxe, destinées à la famille du président et qui ne remplissent pas le plus souvent les conditions juridiques, ceci outre l'interdiction de délivrer un visa pour l'entrée des citoyens au territoire tunisien.

Il a indiqué que le rôle des ministres et des responsables qui ont été auditionnés par la commission a été marginal et même inexistant, et qu'il s'est limité à l'exécution et à l'information de l'exécution qui se transforme en une menace, en cas de réticence de certains ministres vis-à-vis de certains dossiers.

Il a mis l'accent sur l'existence d'un vide institutionnel et gouvernemental, à la lumière des pouvoirs illimités et des privilèges dont jouissaient les familles de Trabelsi et de Ben Ali, ce qui a porté atteinte au dispositif des droits de l'homme et à la structure économique du pays.

M. Abdelfattah Amor a indiqué que la décision de maintenir le principe de l'anonymat procède de son attachement à certains principes, dont notamment le droit à la sécurité et à l'intégrité physique de toutes les personnes, et l'impératif d'éviter la diffamation, véritable atteinte aux droits de l'homme, indiquant qu'il veillera à garantir la sécurité et l'intégrité physique de chaque personne, abstraction faite de sa position et de son poste de responsabilité, jusqu'à ce que la justice prononce son verdict.

Au sujet de l'activité de la commission, M. Abdelfattah Amor a relevé qu'il s'agit bien d'une commission nationale indépendante, faisant remarquer que son activité commande de la subdiviser en une commission technique, chargée d'enquêter sur les faits et d'auditionner les témoins, et composée d'experts dans des questions financières, dans le contrôle des comptes et dans la comptabilité ainsi que dans le droit des affaires, le droit boursier et le droit immobilier et autres disciplines.

Une commission générale, a-t-il ajouté, est habilitée à statuer sur les questions essentielles et les orientations fondamentales ayant trait à l'activité de la commission, et à identifier des stratégie pour la période à avenir afin de lutter contre la corruption et la malversation. Cette commission englobe des membres issus des institutions et des différentes composantes de la société civile.

Il a indiqué que la commission technique a été divisée en sous-commissions, en charge des affaires financières, fiscales et des marchés publics, des entreprises, de la douane, des affaires foncières et des dossiers des citoyens.

Il a précisé que le système de malversation et de corruption, qui a vu le jour depuis plusieurs années en Tunisie, a affaibli les établissements et institutions de l'Etat, participant ainsi à l'émergence de la mentalité de banalisation de la corruption et de la malversation, considérée comme étant un phénomène normal dans la la société tunisienne.

Concernant les groupes économiques impliqués, il a mis l'accent sur le souci de la commission de faire la distinction entre les personnes corrompues et la vie des entreprises, précisant qu'il est impératif de prendre les mesures nécessaires à l'encontre des personnes impliquées, tout en oeuvrant à préserver le système économique notamment en cette conjoncture délicate, et désignant une instance chargée de la gestion des affaires courantes des entreprises et du placement des sociétés concernées sous un statut juridique spécifique, en vertu d'un décret-loi.

M. Abdelfattah Amor a clôturé en indiquant que la destruction de documents importants dans plusieurs entreprises publiques encoure la responsabilité pénale des personnes responsables. Il a précisé qu'il existe plusieurs autres moyens pour retrouver les données détruites et que les dossiers les plus importants sont encore intacts et restent facilement accessibles.