Opinions - 06.01.2024

Gaza: Qualification d’une guerre intolérable!

Gaza: Qualification d’une guerre intolérable!

Par Monji Ben Raies - Ces derniers temps on parle beaucoup de Gaza, ce qui est légitime. Nous pensons tout savoir sur cette bande de terre d’à peine 360 km2 où la violence est devenue si banale qu’on en oublie les souffrances quotidiennes qu’engendre sa revendication. Un conflit permanent qui ne peut être oublié, compliqué, qui laisse ses observateurs les plus attentifs dans une détresse sentimentale exacerbée. La Palestine a connu tant de maîtres au cours des siècles, qu’on ne peut les dénombrer, depuis les Philistins et qui n’ont pas su la garder. Une lutte d’hier avec les moyens d’aujourd’hui, asymétrique, où la violence ne profite qu’aux extrémistes des deux bords, mais où l’armée israélienne finit toujours par imposer son écrasante supériorité, aidée qu’elle est par son complice de toujours, américain. L’humiliation quotidienne que subissent les Palestiniens est rendue plus inacceptable, au regard des droits humains, par le fait qu’elle dure depuis des décennies, même si les media cherchent à en banaliser les conséquences. Celles et ceux qui n’avaient souvent que le mur de la honte pour horizon, n’ont plus que ruines à contempler. Depuis, nous vivons en apnée, au nombre des morts de plus dans les statistiques, drames humains en face de nous.

L’humanité blessée

La crise en cette Terre, là où les prophètes sont passés, blesse très particulièrement l’ensemble de l’humanité. Les évènements visant des populations civiles, avec tant de morts, de blessés, de prises d'otages et de massacres, sont intolérables. Les armées, en se comportant de façon inhumaine et criminelle vis-à-vis des populations, menacent gravement les causes qu’elles prétendent défendre. On peut comprendre le droit de se défendre et d’assurer sa sécurité, comme le droit des peuples à s’autodéterminer, mais cela ne peut se faire sans limite et de façon si disproportionnée que toute mesure est perdue. Le droit n’entraîne en aucun cas celui d’écraser des populations civiles.

Combien de Peuples doivent mourir pour satisfaire les esprits criminels des chefs de guerre. Jusqu’à quand le peuple palestinien doit-il demeurer un peuple errant, sans État, à la merci d’égos démesurés et sans avenir? Même s’il est reconnu comme peuple, ces éléments lui sont indispensables pour qu’il le soit dans sa dignité et son droit. Quand bien même certains Etats et certains organismes internationaux reconnaissent un Etat palestinien, il ne s’agit que d’une reconnaissance politique et l’Etat de Palestine n’est que virtuel au regard du droit international ou pour tout le moins un Etat imparfait, non effectif. Ouvrir une «ambassade de l’Etat de Palestine» à Tunis n’est qu’un cautère sur une jambe de bois et ce faisant, cela retarde le règlement de la question d’un véritable Etat palestinien.

Nombreux sont ceux qui sont responsables de cette situation, qu’ils soient Israéliens, Palestiniens, ou tenants de gouvernements occidentaux et gouvernements arabes oubliant le credo de la cause palestinienne pour des intérêts mercantiles. Le pourrissement de la situation a fait que les plus radicaux ont pris le pouvoir, les islamistes Djihadistes, l’extrême droite israélienne et les colons fondamentalistes juifs, sans égard véritable pour les souffrances des populations. Nous sommes là à nous complaire d’une représentation théâtrale et à constater l’état de la situation qui s’envenime d’avoir trop duré, l’ensemble des populations en détresse; nous sommes les témoins silencieux du courage, parfois héroïque comme des pires crimes des hommes. Nous sommes convaincus que des hommes, quel que soit leur nombre, peuvent et doivent être des voix de liberté, de paix et d’humanité. Nous n’avons pas de solution toute faite, mais nous avons les principes de base de la solution, c’est celui de la vie et de l’humanité, qui sauveront le monde. Plus que jamais, les crises multiples nous confortent dans la nécessité de soutenir cette mission de civilisation et d’humanisme. Il y va de l’équilibre matériel et spirituel de notre monde et de son avenir.

Nombreuses fractures entre les différentes classes de la société israélienne

La propagande de guerre israélienne voudrait faire croire à l’opinion internationale que la nation entière est unie derrière son dirigeant, déformant la réalité. La guerre a causé de nombreuses fractures entre les différentes classes de la société israélienne, qui fragilisent la position du gouvernement et du premier ministre en place. Le rapport 2023 de l'OCDE rapporte qu’Israël est l'un des pays les plus inégalitaires du monde ; 20% des Israéliens vivent sous le seuil de pauvreté. Les Israéliens pauvres sont repoussés toujours plus loin des villes ; certains d'entre eux, notamment parmi les communautés juives ultra-orthodoxes avec de grandes familles, vont s'installer en Cisjordanie et fondent des colonies en territoire palestinien, en fonction d’une occupation subventionnée par l'État et protégée par l'armée israélienne et la police corrompue. De la sorte la politique de colonisation s'assure le soutien de la partie la plus extrémiste de la population israélienne, mais aussi de sécuriser à moindre coût les colonies en Cisjordanie, puisque les colons y sont armés.

L'Etat laisse partir ceux lassés par la politique sociale désastreuse, occasionnant une profonde injustice en Territoire palestinien. Même la politique économique de l'État israélien instaure une extrême violence sociale, à la fois pour les travailleurs palestiniens, mais aussi pour les travailleurs israéliens, depuis des années. Cette violence sociale crée des contestations et des manifestations quotidiennes dans tout le pays. Par ailleurs, un conflit s’est ouvert au sein de la société politique israélienne, entre le premier ministre et la Cour suprême. Les juges de la Cour limitaient notamment les actions de colonisation et imposaient un cadre légal contraignant à l'État et à l'armée israélienne dans leur comportement. Le gouvernement voudrait donc abattre le seul vrai contre-pouvoir qui s'oppose à lui, au grand damne de la population. Par ailleurs, le 29 octobre 2023, compte tenu de la fréquence des manifestations et de la lutte croissante des classes, le gouvernement a fait voter une loi qui permet aux forces de sécurité et à l’armée de tirer légalement à balle réelle sur les manifestants. Ainsi donc, avant même le 7 octobre 2023, une situation de classe très tendue sévissait en Israël, entre la population, le gouvernement et la bourgeoisie; et depuis l'attaque du 7 octobre, le fossé de l’incompréhension entre l'État et la population s’est davantage creusé au point que la société menace d’imploser.

De plus, l'État israélien est en guerre permanente, non seulement contre les Palestiniens, mais aussi, historiquement, contre tous les adversaires des États-Unis dans la région du Proche Orient, à commencer par l’Iran et son prolongement au Liban Sud, le Hezbollah, et le Djihad islamique. L'Etat israélien de se poser comme le gendarme des intérêts américains dans cette région stratégique du monde, avec les Etats arabes du Moyen-Orient, le pétrole et le canal de Suez. L'avantage en retour pour Israël est de pouvoir compter sur le soutien inconditionnel de la plus grande armée du monde, américaine, et d’une manne de subventions conséquente du gouvernement américain, alors que l'Iran vit sous le jouc des sanctions internationales.

L'attaque du 7 octobre 2023 a été perçue par l’opinion publique israélienne comme un échec flagrant de toute l’organisation sécuritaire du pays, et comme l'échec du renseignement israélien, qui se targuait d’être le meilleur du monde, en raison de la bureaucratie qui a ignoré les signes annonciateurs de l’attaque du Hamas. D’autres erreurs sont directement imputées au gouvernement israélien ; d’abord, la stratégie de transformer la bande de Gaza en « prison à ciel ouvert » pour une partie du peuple palestinien, ne peut aucunement assurer une sécurité fiable des Israéliens. De cette politique arbitraire et inégalitaire, il résulte une extrême impopularité du gouvernement israélien dans le regard des citoyens excédés de trois quart de siècle d’une guerre sans fin et de voir leurs enfants mourir, malgré l'omniprésence de la propagande militaire et religieuse ; seul 18 % des Israéliens accordent encore du crédit au gouvernement actuel, 94 % pense que l'attaque du 7 octobre est un échec majeur du gouvernement et la gestion de la question des otages est aussi vivement critiquée ; sachant que B. Netanyahou est au pouvoir de façon quasi ininterrompue depuis 1996, il porte donc la responsabilité de 25 ans de dégradation permanente de la situation sociale et politique; il faut aussi signaler le rapport conflictuel entre le gouvernement et ‘’Tsahal’’ l’armée d’Israël. Ce nom a été choisi pour exprimer l'idée que le rôle de l'armée israélienne est la défense d'Israël et non d’attaquer en vue de l’éradiquer, un peuple par vengeance et ressentiment ou pour satisfaire un chef de guerre avide de conquête. C'est un aggravement du rapport Etat/ population, la bourgeoisie israélienne comprise. Pour voir les conséquences désastreuses de cette politique, il suffit aussi d’envisager que plus de 2 millions de Gazaoui dévastés, prendront dans quelques années les armes pour se venger de la situation d’aujourd’hui; s’il y a eu 3000 palestiniens qui ont organisé l'attaque du 7 octobre, combien y en aura-t-il pour la prochaine ? La politique du gouvernement israélien crée ainsi la permanence d'un cercle vicieux, un ‘’double terrorisme’’, à la fois celui israélien d'État avec l'armée israélienne ses exactions et ensuite celui du Hamas en représailles aux actes des premiers. Dans la seule époque contemporaine, il y eut six guerres en 17 ans dans la bande de Gaza, des meurtres répétés dans un territoire concentrationnaire et qui dépend pour 80 % de l'aide alimentaire israélienne, où la moyenne d'âge environne les 25 ans, où 75 % des jeunes sont au chômage et dans le dénuement, et maintenant ils doivent subir un nettoyage ethnique et la destruction quasi-totale de leur lieu de vie.

Aujourd'hui aucune organisation palestinienne ne peut parler au nom de tout le peuple palestinien et de gérer un après pour lui

La politique israélienne a toujours consisté à ne pas laisser s'organiser une quelconque résistance palestinienne et de faire en sorte de diviser les Palestiniens afin que n’émerge pas un nouveau leader. Aujourd'hui il n'y a quasiment aucune organisation palestinienne capable de parler au nom de tout le peuple palestinien et de gérer un après. Il n’y a que des millions de réfugiés déchirés et déplacés, encore une fois, et Israël entre les mains d’un gouvernement d’extrême droite, qui les repousse irrémédiablement vers le désert égyptien du Sinaï. Des millions de Palestiniens se retrouveront sans aucun choix, si ce n'est la mort. Evidemment le gouvernement égyptien refuse une telle option ; que va-t-il se passer lorsque des millions de Palestiniens seront acculés à la frontière égyptienne, qu'ils briseront, par désespoir, le poste frontière et se déverseront sur le désert du Sinaï. Une telle situation rendrait la zone autour du canal de Suez totalement instable. Le commerce mondial en serait totalement perturbé. Il apparaît ainsi que, même dans leur malheur total les Palestiniens restent une arme pour la diplomatie mondiale ; et le conflit de durer dans les mois à venir, au risque d'entrainer un embrasement militaire de la région avec l’implication du Hezbollah Libanais et du gouvernement iranien, ce qui occasionnerait de mettre la région à feu et à sang.

Israël semble ignorer ses crimes à Gaza et en Cisjordanie

Israël semble ignorer que ses crimes à Gaza, frôlant le Génocide, selon le Centre pour les droits constitutionnels, vont se retourner contre lui et menacer de détruire ses relations civiles, politiques, économiques et culturelles avec le reste du monde. Sans le savoir, il s’est mis dans une position critique, son Premier Ministre l’entrainant dans un engrenage similaire à celui dans lequel étaient tombée l’Amérique après les attentats du 11 septembre 2001. Israël adoptant la position belliqueuse de son premier ministre et de son gouvernement, se retrouvera isolé du monde et paiera un prix dévastateur, qui entrainera son endettement, la dégradation de l’image de l’Etat. Le but de l’action du 7 octobre du Hamas était de pousser le gouvernement israélien à la guerre et à la commission de crimes de guerre, pour attirer l’attention de la société internationale et susciter une condamnation mondiale de la politique militariste d’Israël, carnages, tortures, assassinat de non-combattants. Le Hamas de sacrifier le peuple de Gaza dans un usage classique de la terreur, consistant à effrayer, provoquer, avilir et finalement saper et frapper l’ennemi là où cela fait mal. Israël est tombé dans ce piège et son assaut sur Gaza, ainsi que chaque frappe, retournent ses propres armes contre lui-même. Alors que le Hamas a démontré sa capacité à mener une attaque d’envergure, tout en sachant qu’ils ne sont pas en mesure de vaincre Israël.

Le paradoxe est que durant des années, le gouvernement Israélien avait soutenu le Hamas par laisser faire et petits coups de pouces et par suite, comme les chiens de l’adage, est venu le jour où le Hamas a mordu la main qui le nourrissait et il s’est retourné contre ses maîtres. Ce faisant, il montre que le gouvernement israélien manque d’éthique car Il a accepté de soutenir une organisation palestinienne qu’il considérait comme terroriste à seule fin de diviser le peuple palestinien et éroder l’autorité palestinienne, qui aujourd’hui ne le représente plus et ainsi empêcher qu’une Palestine n’accède à la souveraineté. De nombreux soldats israéliens et combattants palestiniens sont en train de mourir dans les opérations terrestres majeures et le nombre de victimes civiles palestiniennes et israéliennes est très élevé depuis le début de la guerre. Le bilan s’alourdit chaque jour de façon stupéfiante. Les femmes et les enfants représentent 70 % des victimes. La bande de Gaza est aujourd’hui l’endroit le plus dangereux au monde pour un enfant. Personne n’est à l’abri et Gaza devient un cimetière, comme l’a déclaré le Secrétaire Général de l’ONU.

Politique d’apartheid

Pendant des décennies, Israël a nié aux Palestiniens leurs droits humains fondamentaux, civils et politiques, économiques et sociaux. Son occupation des territoires devant échoir au peuple palestinien équivaut à une politique d’apartheid dénoncée par Amnesty International. Le système mis en place par Israël relève de l’apartheid, un crime contre l’humanité selon le Statut de Rome du 17 juillet 1998. Le gouvernement israélien a élaboré une série de lois sur les nationalités et les résidences conçues pour être utilisées par la population palestinienne. Gaza et la Cisjordanie étaient, dès leurs fondations, comparables aux ghettos et aux bantoustans d’Afrique du Sud, des zones qualifiées de ‘’prisons à ciel ouvert’’ par Human Rights Watch. L’objectif réel d’Israël depuis des décennies a donc peu à voir avec la défaite du Hamas. Le dessein à longs termes d’Israël est lié à sa vision de la coexistence des israéliens (9 300 000) avec des millions de Palestiniens (5 700 000 personnes, sans la diaspora), un objectif stratégique plus large, qui est sensé commencer par la création d’un Grand Israël qui aurait annexé et qui contrôlerait toujours la Cisjordanie et Gaza. Les Palestiniens auraient une autonomie limitée et quelques bantoustans déconnectés et économiquement paralysés, dépendants d’Israël pour leur approvisionnement.

Des systèmes de contrôle portent atteinte à la liberté de mouvement, au droit à la vie privée, à l’égalité et à la non-discrimination et à la liberté d’expression, d’association et réunion pacifique. Pour Amnesty International, les normes internationales qui encadrent les potentielles immixtions d’un Etat dans la vie privée ne sont pas respectées, car les systèmes mis en place ne sont ni légitimes ni proportionnés. Israël contrôlerait les frontières, les déplacements, l’espace aérien et les eaux. La clef des attaques sur Gaza et la Cisjordanie est donc d’infliger une douleur massive aux Palestiniens pour qu’ils se résignent et acceptent d’être un peuple vaincu, dont Israël déterminera largement l’avenir. Ce dessein expose l’aspect le plus crucial du conflit, le fait qu’Israël ne veut pas voir la Palestine devenir un Etat souverain ; et il est prêt à tout faire pour empêcher cela. Dans sa vengeance contre le Hamas, l’armée israélienne a pris pour cible tout ce qui fait d’un espace une société humaine, des universités, des écoles, des mosquées, des immeubles d’habitation, des bureaux gouvernementaux ; s’y ajoutent des camps de réfugiés, des personnels d’ONG humanitaires, des hôpitaux et même des ambulances.

Un sinistre témoignage de la vision d’Israël pour la Cisjordanie, Gaza et les Palestiniens

Pour l’armée israélienne, tous les Palestiniens sont des terroristes et tout est une cible potentielle. L’échec de la classe politique israélienne à établir une véritable sécurité pour Israël et justice pour les Palestiniens, doit ouvrir la porte à une approche radicalement différente, incluant une solution politique pour le peuple palestinien ainsi que des accords de sécurité légitime et complète pour Israël. Mais, malheureusement, les choses peuvent encore empirer, d'autant qu'il n'y a plus d'organisation de résistance palestinienne capable de parler au nom de tous les Palestiniens et de défier Israël pour faire avancer la question de la paix, comme à l'époque de Yasser Arafat. Il ne s'agit ni d'un drapeau, ni d'une idéologie ou d'un discours, mais des vies qui sont durement frappées par les mauvaises décisions des gouvernants d’Etats contre des êtres humains. Mais s'il n'y a pas de changement profond dans la politique de l'État israélien, la dureté de la vie en Israël va encore augmenter, dans les prochaines années pour sa population. La bande de Gaza est détruite, la Cisjordanie est meurtrie, les Palestiniens dévastés et vaincus par l’adversité développent une dépendance énorme à la diplomatie et à l'armement. Il y aura toujours une partie de la population israélienne profondément raciste et belliqueuse qui se battront toujours contre la paix, même si un jour il y avait une volonté majoritaire de paix qui pourrait pointer.

La fragilité du gouvernement en place montre qu'il y a des changements en cours en Israël, mais cela ne dit rien de la capacité de la population israélienne à prendre un jour le pouvoir avec suffisamment de forces politiques pour organiser la paix et la décolonisation. Dans un contexte aussi tragique, le changement en Israël ne se fera pas par accident. La population israélienne va devoir utiliser toutes les contradictions du gouvernement actuel pour renverser cette fragilité et réagir contre ce gouvernement mais aussi contre l'État entier et contre toutes ces logiques mortifères et guerrières qui ont perpétué depuis des années le cycle de la violence et qu'il va falloir briser un jour. Il en va de la responsabilité du peuple israélien. En ce moment l'État israélien est en train d'organiser le nettoyage ethnique de la bande de Gaza et celui de la Cisjordanie qui suivra. Il intensifie les bombardements au nord et au centre de la bande de Gaza pour forcer le déplacement des palestinien dans le sud de la bande de Gaza. Aujourd'hui, l'armée israélienne annonce la seconde étape de son intervention terrestre avec la conquête du sud de la bande de Gaza où se trouvent tous les réfugiés palestiniens. Cette zone est bombardée de manière intensive, notamment la ville de Rafah où se trouve le passage frontière avec l'Égypte d’autant que, selon le renseignement israélien, il y aurait intention de réinstaller les Gazaouis palestiniens dans le désert du Sinaï égyptien. Cela explique la destruction systématique des bâtiments et des infrastructures dans la bande de Gaza puisqu’il n'est absolument pas prévu que les Palestiniens y retournent un jour. Du côté de la Cisjordanie, la colonisation continue et s'accentue. Il est donc clair aujourd'hui que l'État israélien est en train de reconquérir l'ensemble du territoire, en y expulsant les Palestiniens. De son côté tant qu'il y a des otages le gouvernement israélien peut justifier la continuité de la guerre et donc conquérir l'ensemble de la bande de Gaza et de la Cisjordanie.

Génocide?

En droit international, si l’on considère les résolutions de l'ONU, Israël est depuis toujours un agresseur qui occupe une terre qui ne lui appartient pas et qui essaie de vider cette terre par nettoyage ethnique et qui, à l'intérieur d'un Israël étendu, pratiquerait un système ségrégationniste d’apartheid. Des experts des droits humains ont dénoncé un nettoyage ethnique alors que d’autres ont parlé de génocide. Au regard du droit international, les actes d’Israël depuis des dizaines d'années coïncident avec la définition du terrorisme d’Etat alors que la Charte de l'ONU indique qu’un peuple occupé a parfaitement le droit de s'opposer, par les moyens qu'il juge, lui, nécessaires, à une agression armée comme celle qu’Israël commet journellement. Ce n'est pas aux agresseurs d’indiquer quels moyens les agressés peuvent employer pour se défendre. Les Palestiniens ont tout à fait le droit, pour récupérer leur patrie d’employer les moyens de la résistance armée. David Ben Gourion, fondateur de l'État d'Israël en 1948 disait : « Si j'étais un leader arabe, je ne signerai jamais un accord avec Israël ; c'est normal, nous avons pris leur pays ; ils ne voient qu'une seule chose, nous sommes venus et nous avons volé leur terre. Pourquoi devraient-ils accepter cela ? ».

Des plaintes collectives contre Israël pour génocide et crimes de guerre ont été portées devant la Cour pénale internationale, instance juridictionnelle internationale créée par le statut de Rome en 1998, qui juge les auteurs des crimes Internationaux les plus graves. L’une d’elles réunit plus de 500 avocats français et internationaux, déposée le jeudi 9 novembre 2023 au siège de la CPI à La Hae au Pays-Bas. Avant toute chose la CPI est compétente et a les pouvoir de traduire Israël et ses dirigeants devant des juges, quand bien même cet Etat n'a pas signé ni ratifié le traité de Rome. La juridiction, statuant sur sa compétence, a considéré dans sa décision du 5 février 2021 qu’elle était compétente. Maintenant, elle devra qualifier la situation dans les territoires objets du conflit.

Les conditions d'un génocide sont-elles réunies?

Les faits pris isolément sont des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité. Par exemple le largage de bombes au phosphore blanc sur des zones habitées pour brûler les habitants, constitue un crime de guerre manifeste ; des arrestations massives associées au fait de publier des images humiliantes, pourrait constituer une violation des Conventions de La Haye de 1907 et de Genève de 1949 et des protocoles additionnels de 1977, surtout compte tenu de la présence de civils visés par les opérations militaires israéliennes ; des scènes d'humiliation avec des prisonniers dénudés dans le plus simple appareil, roués de coups, avec des objets contondants, par des soldats israéliens constitue un crime contre l'humanité. Mais la CPI, pour procéder à la qualification des faits, doit appréhender les faits globalement et voir ce que dit le droit et la jurisprudence à leur propos. Dans les statuts de la Cour, l'article 8 du Traité de Rome énonce les cas de crimes de guerre ; l'article évoque aussi les crimes contre l'humanité ; en l'article 6, il est question du crime de génocide.

Le génocide est le crime le plus grave qui peut être commis dans la société internationale par un ou plusieurs Etats et/ou leurs démembrements. On a à leur propos cinq définitions, dont deux qui sont particulièrement importantes, l'extermination physique de populations, tel le génocide de Juifs sous les nazis ou celui arménien par la Turquie ; ce n'est pas encore le cas à Gaza, toutes les conditions exigées n’étant pas réunies. A Gaza c'est la deuxième définition du génocide c'est-à-dire une action déterminée pour détruire une société, un lien social et un groupe social qui pourrait être utile. Il est notoire qu’Israël n’a pas seulement l'intention de tuer des membres du groupe militaire et armé, le Hamas, parce que considéré comme terroriste, mais qu'il a l'intention de détruire en tout le groupe tel qu'il existe, en raison de son identité Palestinienne, en infligeant une punition collective aux habitants de la bande de Gaza et de la Cisjordanie. Le statut de Rome de 1998/2002 définit le crime, puis ensuite donne des éléments du comment se joue cette destruction du groupe social. La jurisprudence du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie et du Tribunal pénal international pour le Rwanda, de la Cour pénale internationale et de la Cour internationale de justice évoque beaucoup de références récentes.

Ce qui a été retenu, la privation d'eau et d'électricité, l'organisation de la famine, les difficultés d'accès aux soins, les destructions de maisons, les transferts forcés de population ; la jurisprudence avait retenu ces faits au titre des éléments matériels du crime de génocide, auxquels s’ajoutent les bombardements massifs des zones d’habitation, qui font entre 97% à 98 % de victimes civiles ; ensuite relativement à l'élément psychologique intentionnel, il faut prouver une intention de détruire le groupe et pas simplement de faire des morts, ce que l’on désigne en Droit comme ‘’la preuve diabolique’’, Probatio diabolica en latin, qui est un concept juridique et logique qui consiste en une preuve très difficile ou impossible à fournir. Elle est susceptible d’entraîner un renversement de la charge de la preuve. Une piste transparait lorsque le ministre de la Défense israélien, dans une intervention, a qualifié les Palestiniens d’animaux qu’il fallait traiter comme tels ; ou encore quand le premier ministre israélien déclarait vouloir changer la manière d'être à Gaza et qu’ainsi la Bande ne ressemblera plus à ce qu’elle était jusqu’ici. Tous ceux qui ont soutenu le Hamas dans son approche vont être percutés de plein fouet, menaçait-il ; il y a aussi toutes ces tentatives pour expulser les Palestiniens physiquement en les refoulant par la peur vers la frontière égyptienne. Donc il y a un faisceau d’indices qui atteste de cette « volonté de déshumaniser », dit la jurisprudence. Le procureur de la CPI, lors d’une descente sur le terrain, a déclaré que l’armée israélienne devra " démontrer que toute attaque ayant un impact sur des civils innocents ou des objets protégés doit être menée conformément aux lois et coutumes de la guerre". Par cette déclaration, le Procureur de la CPI inverse la charge de la preuve de l’élément intentionnel et c’est à Israël qu’incombera la tâche de prouver que ses attaques ont été menées ‘’conformément aux lois et coutumes de la guerre’’. Il contourne ainsi la difficulté pour les Palestiniens d’avoir à prouver l’intention de les exterminer.

Actuellement Israël est dirigé par un gouvernement d’extrême droite radicale. Ces éléments circonstanciels ne sont que la conséquence de la négation du droit à l'autodétermination du peuple arabe de Palestine. La Charte de l'ONU mentionne comme condition de la paix, la coexistence des peuples. Mais à partir du moment où un peuple s'estime supérieur à un autre et veut spolier un autre de sa terre, où il est souverain, ce dernier a droit d’entrer en guerre ; l’état de guerre en Palestine dure depuis 1917, démontrant une volonté manifeste d'éliminer un peuple qui existe et qui a le droit de vivre sur sa terre.

Dans le crime contre l'humanité les actes incriminés, les crimes de guerre, sont d’une ampleur et d'une gravité particulière. L’on sent que derrière les crimes perpétrés, il y a une volonté de remettre en cause l'humanité des personnes. La guerre licite au regard du droit international se fait avec des normes de conduite. La Cour internationale de justice en 2004 a déclaré dans son Avis consultatif du 9 juillet 2004, relatif aux « Conséquences juridiques de l'édification d'un mur dans le territoire palestinien occupé », qu'Israël n'avait pas le droit d’invoquer la légitime défense vis-à-vis du peuple palestinien parce que le territoire palestinien était un territoire occupé et qu’Israël était puissance occupante.

La poursuite du conflit par des moyens de droit

L’Autorité palestinienne a montré son approbation des outils que sont les juridictions internationales, lorsque la CIJ a été sollicitée par une question juridique (article 96 de la Charte des NU) et a rendu en 2004 un avis consultatif en faveur des Palestiniens. Il s’agit de la première fois qu’une juridiction internationale met en avant les principes et règles applicables au conflit israélo-palestinien, notamment à propos de la déchéance de la légitime défense, de l’autodétermination du peuple palestinien, du droit humanitaire et du droit international des droits de l’Homme. Un processus de judiciarisation du conflit, à travers la CIJ et la CPI, commence alors. Cela s’inscrit dans une stratégie plus globale de l’Autorité palestinienne d’accéder à une reconnaissance d’un statut d’Etat en mobilisant les Organisations internationales et l’opinion publique internationale. Après l’échec du processus d’Oslo et la seconde Intifada, l’Autorité Palestinienne semble prendre conscience de l’impossibilité de parvenir à une solution politique par l’intermédiaire de négociations directes ou un processus militaire. Aussi, à la fin du mois de janvier 2009, le ministre de la Justice palestinien transmettait une déclaration de reconnaissance de la compétence de la CPI et demandait au bureau du procureur d’ouvrir une enquête sur les allégations de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité sur le territoire palestinien. Depuis lors, l’Autorité Palestinienne a déployé une stratégie de recours aux Organisations internationales et aux Juridictions internationales. Ces deux axes sont liés.

L’octroi du statut d’Etat non-membre observateur à la Palestine par l’Assemblée générale de l’ONU en 2012, décision hautement politique, permet à l’Autorité Palestinienne d’adhérer aux traités et Organisations internationales dont le Secrétaire général de l’ONU est dépositaire, comme le statut de Rome établissant la CPI et la CIJ. La CIJ est ainsi la première juridiction internationale à établir les grands principes et règles applicables au conflit israélo-palestinien, à affirmer qu’Israël empêche le peuple palestinien de s’autodéterminer et à fixer le cadre juridique de l’occupation militaire. En 2004, la construction du mur, qui empiète sur une large partie du territoire palestinien occupé, a poussé l’Assemblée générale de l’ONU à interroger la Cour. La CIJ se prononce alors sur sa compétence, sur les questions liées à la légitime défense, sur le corpus juridique applicable, sur les violations des obligations internationales par Israël, ainsi que sur les obligations incombant à tous les Etats eu égard à ces violations. Il s’agit d’une avancée majeure sur le plan du droit international de la question palestinienne. En 2018, l’Autorité Palestinienne a en outre déposé une requête auprès de la CIJ contre les Etats-Unis au sujet du transfert de leur ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem, au titre de la violation de la Convention de Vienne de 1961 sur les relations diplomatiques. L’évolution du statut juridique du peuple Palestinien a permis à l’Autorité de mobiliser la fonction contentieuse de la Cour, ouverte en principe aux seuls Etats (article 35 du Statut de la Cour). A ce jour, ce dossier n’a pas avancé, mais cela semble dû à des tractations officieuses entre l’Autorité palestinienne et les Etats-Unis.

Il est établi qu’Israël ne peut invoquer la légitime défense prévue à l'article 51 de la Charte des Nations unies, car ce droit n’est accordé qu’au profit d'un Etat victime d'une agression armée commise par un autre Etat, pas pour une colonisation et occupation de guerre, ce qui découle de l'interdiction générale du recours à la force posée par l'article 2§4 de la Charte des NU. Vis-à-vis du Hamas, ce droit ne peut être actionné car c'est un peuple civil subissant une occupation de Guerre conformément à la "Convention IV de La Haye concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre’’ et son Annexe portant ‘’Règlement concernant les lois et coutumes de la guerre sur terre" du 18 octobre 1907, (version révisée de la Convention de 1899). L’Etat occupant doit protection aux civils et non combattants durant l’occupation qui se présente comme une période transitoire aménagée pendant que les autorités sont en train de négocier la paix. Cette institution n’est pas faite pour durer pendant 75 ans en créant de surcroit des colonies de peuplement. Israël ne satisfait pas aux conditions prévues par le droit international dans sa gestion de l’occupation. Depuis les élections de 2006 qui avaient été remportées de manière démocratique par le Hamas, Israël a imposé un blocus illicite au regard du Droit international en lui-même. Israël agit et mène une politique qui semble échapper à la justice internationale, mais aujourd'hui les procureurs de la CPI pourraient engager des poursuites à son encontre.

Par ailleurs, en décembre 2022, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté une résolution demandant à la CIJ de rendre un avis consultatif portant sur les conséquences juridiques de la poursuite de l’occupation militaire israélienne sur la mise en œuvre du droit du peuple palestinien à s’autodéterminer. La question posée, bien plus large qu’en 2004 impose une réponse globale de la Cour sur le conflit et l’occupation israélienne. Cette stratégie a permis à l’Autorité Palestinienne de renforcer sa présence sur la scène internationale et a fait avancer le statut juridique de la Palestine au sein des Organisations internationales et de la Société internationale. Elle est cependant déconnectée de la réalité sur le terrain. La colonisation s’accélère en dépit du droit international, les conditions de vie et des droits des Palestiniens se détériorent, et l’Autorité palestinienne est délégitimée, en l’absence d’élections depuis 2006 et du fait de ses pratiques autoritaires. Le droit international peut néanmoins être un formidable levier de mobilisation autour de la cause palestinienne, mais ne peut se suffire à lui-même. 

Monji Ben Raies
Enseignant Universitaire
Juriste Publiciste Internationaliste et Politiste
Chercheur en Droit public et Sciences Politiques
Université de Tunis El Manar, Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis