Hommage à ... - 01.12.2010

Décès du Dr Mohamed Chelli, père de la gynécologie tunisienne

Le Dr Mohamed Chelli, considéré comme l’un des pères de la gynécologie tunisienne, s’est éteint mercredi 1er décembre à Tunis, à l’âge de 80 ans (il est né le 15 octobre 1930). En hommage, nous reproduisons l’excellent portrait que lui a consacré notre confrère Mohamed Bergaoui, dans son livre « Médecine et Médecins de Tunisie, de Carthage à nos jours » édité par «BERG-Edition».

Eté 1963 : Mohamed Chelli, étudiant à la faculté de médecine de Paris était en vacances en Tunisie. Et comme à l’accoutumée, il se faisait un devoir de passer au Ministère de la Santé Publique, histoire, confie-il, nostalgique, « de voir s’il n’y avait pas moyen de remplacer un médecin en vacances afin de venir en aide à ma famille ». C’est ainsi qu’il s’est fait un peu d’argent en remplaçant des collègues à Nabeul, à Soliman mais aussi à Gafsa. « J’étais toujours preneur », se remémore-t-il, souriant ajoutant qu’en ce jour de l’été 63, j’étais en short et bras de chemise ». Quoi de plus normal en cette période de canicule.

La secrétaire du Chef de Cabinet du ministre de la Santé publique l’annonça. Mais contrairement à son habitude, c’est le chef de Cabinet qui vint vers lui pour lui annoncer qu’il était en train de remuer ciel et terre pour le trouver. « Le ministre insiste pour te voir. Et tu ne peux mieux tomber », disait le chef de Cabinet. Mohamed Chelli ne pouvait accepter sachant qu’il n’était pas en tenue correcte. Mais le chef de Cabinet estimait que ce n’était qu’un détail et que le ministre comprendrait.

Mondher Ben Ammar, ministre de la Santé Publique de l’époque était bien content de retrouver Mohamed Chelli à qui il exprima « le vœu urgent de Bourguiba de voir la Tunisie se doter au plus vite d’un service de gynécologie » après le départ en catimini du dr. Valensi, l’unique gynécologue de l’hôpital Charles Nicolle. Mohamed Chelli ne pouvait refuser une telle offre mais devait auparavant terminer un engagement avec l’hôpital Foch à Paris. Il lui restait 8 mois à tirer. Avec leur achèvement, une nouvelle page de la carrière de Mohamed Chelli commençait.

La page précédente, elle, commença en 1950. Le brillant élève du lycée Sadiki venait de réussir son année préparatoire pour les études médicales connue sous le sigle PCB (Physique, chimie et biologie) après avoir obtenu son baccalauréat une année auparavant, section sciences expérimentales avec la mention bien. Une chance pour Mohamed Chelli, né à Nabeul le 15 octobre 1930.

Issu d’une famille modeste, son père travaillant au service d’enregistrement des finances, il se distingua par son intelligence et ses prouesses scolaires. Mieux, il savait ce qu’il voulait faire et ce qu’il aimerait devenir. Médecin. Le mot était lancé alors qu’il n’avait qu’une dizaine d’années. La réponse est fort simple. « Dans mon entourage familial, j’avais une fascination sans limite pour les médecins », dit-il assis à son bureau de la rue du Brésil où son cabinet a pignon sur rue. Portant sa blouse blanche, il pose ses lunettes de presbyte sur la table, marque une pause avant de se tourner vers moi, énumérant non sans un brin de satisfaction mêlée de fierté : « Mon oncle maternel Hmida Mbarek était médecin, son fils Rachid également sans compter les médecins exerçant à Nabeul et fort réputés, à savoir : Mohamed Abdelmoula et son jeune frère ».

A bord du navire « Le Chansy » qui l’emmenait à Marseille, Mohamed Chelli ne pouvait se permettre qu’une place sur le pont « parce que la moins chère », explique-t-il heureux de partir mais le cœur serré pour ce saut quasiment dans l’inconnu. Il n’avait que 20 ans. Il avait aussi un peu d’argent (6000 anciens francs par mois) « un crédit sur l’honneur » qu’il avait contracté auprès du gouvernement du Protectorat à la condition expresse de le rembourser dès la fin de ses études. Mais Mohamed Chelli, franc et honnête, dit n’avoir jamais remboursé cette somme « parce que personne ne l’a  réclamé jusqu’à ce jour », lance-t-il amusé.

A son arrivée à Paris, il rencontra, comme prévu, son concitoyen Taoufik Daghfous, son aîné de 6 ans, qui faisait également médecine. Il le dépanna quelques jours avant qu’il ne déniche une place chez une famille française. Pour quelques semaines. Finalement, il se fixa à « La Maison de Tunisie », au 14ème arrondissement. La rencontre au 115 boulevard Saint Michel d’autres Tunisiens tels que Hassouna Ben Ayed, Sleim Ammar, Hamed Karoui et bien d’autres devait atténuer la solitude dans laquelle il s’était trouvé. Mieux, les rencontres quasi quotidiennes avec les membres du néo-Destour avaient fait que tous se sentaient non seulement solidaires mais quasiment chez eux. « De ces rencontres, j’étais fasciné par la foi des militants dans l’indépendance du pays. Pour eux, c’était une certitude. Aussi, leur but était-il de préparer la relève des français pour diriger le pays ».

Mais Mohamed Chelli consacra le plus clair de son temps à ses études et ne rencontra aucune difficulté à les terminer avec succès. En 1955, il les acheva en même temps que les concours des hôpitaux de Paris suivant, en cela, l’exemple de ses aînés Hassouna Ben Ayed et Zouhaïr Essafi. Pour parfaire ses connaissances médicales et acquérir une bonne expérience, il exerça dans les différents hôpitaux de Paris avant de devenir, en 1963, chef de clinique en gynécologie, une discipline que j’ai aimé parce qu’elle « fait appel à la vie », dit-il, le visage illuminé d’un regard qui se veut plus expressif et plus scintillant, ajoutant que le moment de l’accouchement est « un moment de pur bonheur que je lis sur les visages des mamans. Un bonheur réellement communicatif ».
Mohamed Chelli était le seul de sa génération à avoir opté pour cette spécialité. Aussi, quand le dr. Valensi quitta la Tunisie sans préavis, le besoin d’un gynécologue se fit pressant. Pour Mohamed Chelli c’était l’appel du devoir auquel il répondit sans réfléchir à l’immensité de la tâche qui l’attendait et encore moins à l’effort qu’il allait lui consacrer. A sa réception du service à l’hôpital Charles Nicolle, il  s’aperçut que tout était à refaire. A la base une importante lacune puisque géographiquement le service était scindé en deux, chose, précise-t-il, qui ne facilite pas la tâche. « Un endroit était réservé à l’accouchement et à la maternité. Et beaucoup plus loin, l’endroit réservé à la gynécologie, autrement dit aux opérations », se remémore-t-il, comme si c’était hier, précisant qu’il leur est arrivé plus d’une fois d’emprunter le matériel nécessaire pour opérer chez le Pr. Zouhaïr Essafi.

Travaillant sur tous les fronts, Mohamed Chelli, calme et serein à son habitude, le front dégarni, cheveux rares mais toujours blonds, réussit le tour de force d’équiper son service de tout ce dont il avait besoin au bout d’une année sans compter la réalisation de l’unité géographique du service de gynécologie qui, depuis, est devenu une entité qui a son poids pour le grand bonheur des femmes enceintes et autres patientes. Du coup le nombre de malades qui allaient se soigner à l’étranger a baissé d’une façon notoire. « Là aussi, la partie n’était pas gagnée d’avance puisque bon nombre de personnes avaient crié au scandale, refusant de croire en la capacité du Tunisien à réussir comme ses collègues étrangers », révèle-t-il. Mieux. Bon nombre de ces collègues parisiens lui envoyèrent des patientes pour un curetage suivant la législation tunisienne (3 mois de grossesse). Et Beaucoup de couples français en profiteront pour passer quelques jours de vacances en Tunisie. Du tourisme de santé avant la lettre.

Un autre défi attendait Mohamed Chelli. Il était bien loin de s’en douter. Le gouvernement Tunisien prévoyait l’édification d’un hôpital entièrement dédié à la gynécologie. Il sera baptisé hôpital « Wassila Bourguiba », du nom de la femme du Président Bourguiba qui avait fait le déplacement, en 1982, pour son inauguration en grande pompe. Pour la construction de cette nouvelle unité hospitalière dont l’emplacement fut décidé à « La Rabta », pour être à proximité d’autres hôpitaux, les travaux ont mis dix ans. Une véritable gageure pour laquelle les tunisiens ont fait appel à l’aide américaine sans compter l’étroite collaboration de la France. « Dans le cadre de ce projet, j’ai moi-même effectué pas moins de trois déplacements en France afin de bénéficier des derniers progrès réalisés dans ce domaine », dit-il ajoutant que « le plus difficile a été la formation du personnel paramédical et particulièrement les sages femmes dont le nombre était plutôt restreint et les compétences laissaient à désirer ».

Pour ce faire, l’école des sages femmes a été lancée en 1965. On l’avait séparé de l’école des infirmiers si bien que tout était à refaire : Etablir les programmes, assurer les cours, etc. « le tout devant aboutir à une formation solide de ce corps médical dont l’importance est capitale pour le succès de tout accouchement. Et pour cause : La sage femme est la première personne à entrer en contact avec la femme enceinte. Elle est également le lien entre le gynécologue et la patiente », dit-il, conscient du rôle toujours important de la sage femme, un corps,  ajoute-t-il qui a toujours existé même dans notre société traditionnelle.  

  Par ailleurs, Mohamed Chelli est l’un des pionniers de la Faculté de Médecine de Tunis où il commença à enseigner dès son ouverture en 1964. Jusqu’en 1984, soit Vingt ans durant, il donna des cours de gynécologie et obstétrique, s’ingénia à former les nouvelles générations dont il cite Mme Bornaz, Faouzi Ariane ou encore Dr. Khrouf, pour ne citer que ceux-là. Mais Mohamed Chelli n’omet pas de citer également Héla Bahri, celle qui deviendra sa femme. Celle qui sera, comme lui, gynécologue, qui le soutiendra et lui apportera sa contribution dans l’aboutissement du projet de l’hôpital « Wassila Bourguiba ». Celle qui lui donnera deux filles, la première est radiologue et la seconde est gynécologue, comme sa mère qui a « hérité » de son mari le poste de chef de service dans le même l’hôpital. Aujourd’hui assistante dans ce même hôpital, il y a de fortes chances qu’elle « hérite » de sa mère le même poste.

Consacrant tout son temps entre le service public et le service privé, dans le cadre de ce que lui permettait la loi, il était le premier à réaliser l’importance des cliniques privées dans les soins dispensés aux patients qui en avaient les moyens. Il ne s’agit nullement d’une politique de soins à deux vitesses, mais, à l’image des pays européens, d’une nouvelle possibilité où le patient supporte entièrement les frais de son hospitalisation.
Il tenta une première expérience, en 1971, en créant une société devant gérer la clinique « Notre Dame », la première de la Tunisie indépendante, souligne-t-il précisant qu’elle « comptait une vingtaine de lits et travaillait à plein rendement ». Il était d’autant plus fier de cette première expérience qui se limitait à la gynécologie et à la chirurgie générale qu’elle allait être à l’origine de la création de la clinique « Taoufik ». Devant mon étonnement, il narre ce fait anecdotique avec beaucoup de précision.

Le Président Directeur Général d’une banque de la place venait rendre visite à l’une de mes patientes. Il était surpris de me voir exploiter la cave de la villa pour soigner mes malades puisque tous les lits du rez-de-chaussée et du premier étage étaient occupés. Il était certes rassuré quant à la santé de sa parente mais en véritable banquier, ses réflexes en même temps que ses méninges ont vite fonctionné. « En me quittant, il n’avait pu s’empêcher de me lancer tout de go : Si Mohamed, je crois qu’il faut réfléchir à l’éventualité de construire une autre clinique ». Surpris et intrigué par la rapidité avec laquelle ce banquier à appréhendé la question, Mohamed Chelli fut contacté, trois semaines plus tard, par le même banquier qui lui suggéra de l’associer à la création d’une nouvelle clinique plus grande et embrassant plusieurs spécialités. Mohamed Chelli déclina poliment l’offre. Quelques années plus tard, la clinique « Taoufik » est née. 

Ne désirant s’associer à personne, Mohamed Chelli créa, en 1984, « La clinique du Parc » comptant une quarantaine de lits. Fidèle à sa spécialité, il la consacra à la gynécologie, la chirurgie générale et à la réanimation. « Une innovation et une première, dit-il précisant qu’il a tenu à doter cette clinique d’un service consacré à la « Procréation Médicalement Assistée » plus connu sous le diminutif de PMA. Ce premier service du genre traite entre 20 et 30 cas par mois. Depuis, d’autres cliniques ont fait de même. « Ce sont mes élèves qui les ont crées dans d’autres cliniques », dit-il fièrement.

Que pense Mohamed Chelli de la qualité de la médecine en Tunisie ? Il répond presque machinalement : « La qualité de notre médecine est satisfaisante », dit-il, ajoutant que cela « est rendu possible grâce à la position ferme et tenace de l’état qui dès le départ est resté strict quant aux programmes de formation. Nous n’avons pas de formation à la Russe où la qualité est sacrifiée à la quantité ». « Nos médecins sont d’un très bon niveau quoiqu’en disent certains. Et il faut continuer à être exigeant envers nos étudiants. C’est la condition sine qua none pour une médecine de qualité », insiste-t-il convaincu de ce qu’il avance et saluant au passage les progrès des techniques exploratrices médicales qu’il qualifie de « véritables avancées dans les diagnostics et les soins ». « N’est-ce pas là le but recherché par la médecine », conclut-il souriant avant d’aller faire sa tournée d’un pas lent mais sûr. 

(1) : Journaliste écrivain, auteur du livre « Médecine et Médecins de Tunisie, de Carthage à nos jours » édité par « BERG-Edition ».