Tendance - 22.11.2010

Orient (très) Express

Pékin - De l'envoyé spécial de Leaders, Mourad Daoud - Accrochez vous, ça va aller vite. A plus de 400km/h le Maglev vous téléporte de l’aéroport au centre ville en moins de temps nécessaire pour s’apercevoir qu’il n’était  mû par rien si ce n’est une force électromagnétique relevant de la science-fiction… il y a encore quelques années.

Le reste n’est pas moins futuriste. Atterri en ville, on reste en lévitation perdant ses repères face à cette jungle de tours qu’on ne sait trop si elles grattent un ciel trop bas, ou si elles sont tout simplement immensément hautes. Bienvenue dans l’univers de Shanghai.

Le souffle est coupé tant par la majesté de la cité que par ce nuage qui plane dessus en permanence. Ponts et autoroutes se croisent de partout. Les échangeurs se défient en complexité. Le plus célèbre d’entre eux, fait de quatre niveaux soutenus par une colonne sous laquelle reposerait un dragon, vous immerge au cœur de Puxi, la rive gauche de Shanghai. On est dès lors en apnée, plongé dans cette immensité urbaine.

Une forêt de tours

A Shanghai comme dans toutes les autres villes chinoises existent deux types de citoyens : les citadins et les paysans. Chacune des catégories étant bien distincte de l’autre avec des privilèges spécifiques ou sans. Les citadins, qui ne représentent que 69% de la population de la ville, sont des nantis ayant droit à la couverture médicale et la retraite. Les autres sont « migrants clandestins » en quelque sorte et pouvaient  passer toute leur vie en ville tout en restant « paysans ». Peu importe. Tout ce monde actif se mélange et donne une des places les plus dynamiques de la planète, tenant la dragée haute face aux grandes métropoles dans tous les domaines : industries de tous genres, commerce, finance, tourisme,...

L’histoire moderne de la mégapole avait démarré avec les concessions étrangères au milieu du XIXème siècle. La présence des européens et des américains, puis plus tard des japonais, en a fait une charmante ville ouverte, surnommée le « Paris de l’Orient ».

Aujourd’hui, quand on parcourt le quartier de Xintiandi où se trouvait la concession française puis qu'on traverse la fameuse rue commerciale Nankin jusqu’au Bund -cette promenade de bord du fleuve Huangpu-, on parcourt l’histoire de la ville pour se retrouver devant le fantastique Pudong, le tout nouveau Shanghai de la rive droite.

Et les nouveaux quartiers, la ville n’en manque pas. L’exposition universelle en rajoutera un de plus, quand les pavillons éphémères disparaîtront. Dommage d’ailleurs, car les pays ont rivalisé d’ingéniosité et de créativité pour se représenter dans quelques mètres carrés. Les envoyés spéciaux de Leaders vous ont déjà décrit l’habileté avec laquelle la Tunisie s’est imposée dans ce forum mondial. L’intérêt des visiteurs, principalement chinois, n’a pas faibli et notre pavillon national n’a pas désempli jusqu’aux derniers jours. A ce propos, il est impressionnant de voir l’engouement des chinois pour l’Expo : plus d’un million de visiteurs, les derniers dimanches, plus de 70 au total, autrement dit, plus que les japonais et leur exposition d’Osaka en 1970…

Il fallait faire la queue pendant  5 heures au minimum pour apercevoir le pavillon chinois… et avoir réservé  sa place pour faire la queue. Jamais de ma vie, je n’ai vu une foule aussi nombreuse tassée sur des centaines et des centaines de mètres, stoïque, avançant au pas, traînant des tabourets en plastique, pliables dont les vendeurs bienheureux ont dû faire fortune. On m’a expliqué que ce peuple patient chinois  y était  habitué , mais ce que j'ai vu  dépassait l’entendement.

Une frénésie futuriste

Un détour par l’avenue Lujiabang pour se faire tailler un costume sur mesure  à un prix dérisoire  et on quitte Shanghai pour Pékin. Je m'attendais à   une ville moins extravagante et qui  a su garder une dimension humaine. Que nenni ! Cette autre agglomération géante de près de 18 millions d’habitants…  est tout, sauf discrète. La cité n’est plus interdite et chaque jour s’y installent en moyenne 1400 nouveaux chinois. Calculez le nombre de kilos de riz nécessaires à nourrir juste ceux qui arrivent en une année et vous en saisirez l’ampleur. Et encore, ce n’est rien à côté des deux mille nouvelles voitures qui déferlent sur les avenues pékinoises chaque jour que Xihe* fait. Ici, les Volkswagen Santana sont les stars du bitume, ce modèle inconnu en occident fait l’unanimité chez les taximen qui doivent aujourd’hui partager les voies avec 4.5 millions de conducteurs de tout âge. Alors, face aux bouchons, comme celui qui a duré dix jours au mois d’août dernier sur l’axe Pékin-Zhangjiakou, Beijing testera le bus qui survole les voitures. Et ce n’est pas une image. Un tramway géant enjambent le trafic sera opérationnel au second trimestre 2011 selon le PDG de la SHFPE, la société chinoise en charge du projet.

Mais quelle est la part du passé dans cette frénésie futuriste ? Paradoxalement rien n’a bougé. Un numéro de portable où il y a plein de 8 et de 9 vaut cher à la revente. Ces chiffres symboles, respectivement, de la prospérité et du céleste sont omniprésents dans la vie des pékinois. A l’inverse du 4, incarnation chiffrée du malheur.
Dans un registre plus scientifique, le grand hôpital de médecine traditionnelle de la capitale occupe un bâtiment de dix étages et est plébiscité quotidiennement par des milliers de patients. De l’acupuncture à la Ventouse, près de 150 médecins de renom appliquent des techniques ancestrales et prescrivent des remèdes à base de mixtures d’herbes préparées dans la grande pharmacie de l’établissement.

Devant tant  de chiffres et de contrastes on peut vite être dépassé, déjà, au bout de dix jours. Que dire alors des chinois qui ne reconnaissent plus leur propre pays ! Un de mes compagnons de voyage qui a vu la Chine à ses débuts d’ouverture vers l’occident a fait cette remarque, « il y a 25 ans j’ai trouvé un pays vierge, aujourd’hui c’est un pays nouveau ». Tout est allé très vite et de pays à la marge du développement, cette grande nation frôle le top 1 dans moult secteurs. La Chine se réveille et le monde tremble bonnement Monsieur Bonaparte.
Au moment où je bouclais ce texte l’agence de notation chinoise Dagong vient de baisser la note de la première économie mondiale passant de "AA" (la note maximale) à "A+", avec une perspective négative. Cela ne parlera peut être pas aux non initiés mais c’est un véritable séisme dans l’ordre économique mondial.

Cependant, là où les Etat-Unis et l’occident ont mis deux siècles, il n’en a fallu à la Chine que quelques dizaines d'années pour entrer de plain-pied dans l'ère post-industrielle. Il est aisé de changer le pays en si peu de temps mais l’évolution des êtres est plus compliquée. C’est une véritable révolution culturelle qui ne porte pas son nom. D’ailleurs, dans les hautes sphères, on parlerait même d’atténuer la célérité de la croissance pour que la population larguée puisse prendre le Maglev en marche. Confucius avait mis en garde contre «  trop d'isolement; trop de relations; le juste milieu, voilà la sagesse », le Parti a bien su manœuvrer jusqu’ici pour ne naviguer ni à la russe ni à la nord-coréenne. Ce nouvel empire saura-t-il maintenir le cap du juste milieu?

Une terre d'opportunités

Appréhender le Chinois est un oxymore mais beaucoup de nations ont compris ce qu’il fallait faire. Lors d’une réception chez l’ambassadeur de France au terme du séjour, SE nous a résumé la politique de sa patrie : accompagner au plus près cet essor. Et  d'après ce que j'ai pu voir, les Français comme d’autres pays s’y  prennent bien. Le mastodonte chinois avance sûrement sur le monde mais la meilleure façon de le cerner est d’avancer vers lui pour l’accompagner. L’Extrême Orient est aux temps modernes ce qu’a été le Far West à la fin du Moyen Age : une terre d’opportunités.

Quel rôle peut alors jouer la Tunisie dans cette nouvelle donne ? Notre économie a su gagner la confiance des marchés traditionnels, notamment euro-méditerranéens, et s’est faite une place de choix en tant que fournisseur dans bien des domaines ou en captant les IDE. Cet effort doit être réorienté et orientalisé. Le CEPEX, présent à Shanghai lors de l’Expo, a fait un travail de communication efficace qu'il convient de capitaliser absolument via des actions concrètes d’entrepreneurs tunisiens. Un challenge fascinant ! A l’égard de ce colossal marché de 1.4 milliard de chinois… émoi, émoi, émoi…

Mourad Daoud


* déesse enfantant le soleil dans la mythologie chinoise
 

Tags : chine  
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2 Commentaires
Les Commentaires
Mathieu S. - 23-11-2010 11:43

Merci Mourad pour cet excellent article. Je faisais moi-même partie du voyage et tout ce que tu décris ici, je l'ai en effet ressenti. Ce pays est tout à la fois ; c'est un monde de contrastes qui évolue incroyablement vite. Quel choc pour un habitant du vieux continent...

RUFF BERNARD - 24-11-2010 20:54

Excellent : j'y étais et c'est bien la sensation que nous éprouvâmes. Merci à Mouirad d'avoir concrétisé avec brio ce que nous avons ressenti. Bernard

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