Hommage à ... - 17.10.2010

Louis Audouin Dubreuil

Peu de nos lecteurs le connaissent. Pourtant, à Zarzis où il avait élu domicile et décider d’y reposer en paix, on se souvient encore de ses explorations en voitures Citroen de par le monde, de son talent d’écrivain et de sa grandeur d’âme. Un récit exceptionnel, par sa fille Ariane, cette Zarzissienne de toujours, et un hommage bien mérité.


Louis Audouin Dubreuil naquit, le 2 août 1887,  à Saint Jean d’Angely, petite ville d’une des plus anciennes provinces de France, la Saintonge. Son père, Paul,  négociant en eaux de vie, dirigeait les Ets. Audouin-Frs. Sa mère, Marie de Reboul, peintre fleuriste, était issue d’une famille du pays qui résidait au château de la Laigne construit au XVe siècle.

Peu d’événements marquèrent son enfance vécue au sein d’une famille profondément religieuse, qui respectait les traditions et menait la vie aisée des notables de la ville. Une enfance que Louis Audouin Dubreuil décrira lente, longue et grise, à l’image de sa brumeuse Saintonge.

Après ses études secondaires et ses humanités gréco-latines (tel que cela se pratiquait à l’époque), il partit en Angleterre pour s’initier au commerce. Ce séjour à l’étranger fut une première échappée vers une liberté longtemps désirée.

À 20 ans, Louis Audouin-Dubreuil est recruté à La Rochelle pour effectuer un service militaire de trois années. Il est affecté au 10e  Hussards ; passionné de cheval et fort bon cavalier, il remplit ses obligations avec enthousiasme, à la prestigieuse école de Cavalerie de Saumur.

En 1910, c’est le retour à Saint Jean d’Angély, au sein de sa famille où il reprends, aux côtés de son oncle, la gestion de la vieille entreprise familiale. Le commerce ne lui inspire qu’ennui, mais son père meurt et il doit, en tant que chef de famille, veiller sur sa mère et sa jeune sœur.

Le 2 août 1914, jour de la déclaration de guerre, il fête ses 27 ans et, mobilisé, part rejoindre le 10e Hussards. Durant les premières années de la Grande Guerre, il connaitra les champs de bataille de la Marne, les tranchées d’Artois, celles du Four de Paris en Argonne, l’offensive de Verdun de 1916, les tranchées de l’Yser.  Après avoir reçu deux citations et la Croix de guerre, il est nommé lieutenant en 1916 et entre dans l’armée active. À la fin de cette même année, la cavalerie est dissoute. il est versé dans l’aviation, obtient son brevet de pilote aviateur en janvier 1917  et va s’embarquer avec son escadrille pour la Tunisie.

Cette nouvelle affectation va infléchir le cours de sa vie de manière irréversible, mais il l’ignore encore. Bien plus tard il confiera à son carnet de notes : « Sud …   Je cherche en vain le mot qui traduirait avec le plus d’intensité encore le sentiment de plénitude, de bonheur diffus, de réconfort ressenti en ce jour de 1917. Nous venions d’échapper aux sous-marins allemands, nous approchions des côtes de Tunisie. Le port se dessinait dans un ruissellement de lumière. Je sens encore dans l’air frais du matin l’empreinte du soleil sur mes épaules et l’éblouissement qui me contraignit à recevoir les yeux clos ses chauds rayons sur mon visage renversé. Dès cet instant, je vouais un culte au soleil. C’est ainsi que j’abordait au port de Carthage …  Ébloui ! »

En 1917 l’aviation n’en est encore qu’à ses débuts, on vole sur de fragiles appareils Farman, Nieuport, Blériot. Ce sont d’étranges oiseaux aux ailes entoilées qui ne peuvent pas encore assurer les vols à longues distances, car ils doivent être ravitaillés en carburant tous les 200 km. En Tunisie, des terrains d’aviation existent déjà à Tunis, Sousse, Sfax, Gabès. À Médenine l’inventeur de l’aérosable le Commandant La Fargue organise le dernier terrain.
Louis Audouin-Dubreuil avec ses aviateurs et six Farman rejoint Médenine, sous les ordres de La Fargue.

Les missions d’aviation dont il est chargé sont  diverses : création d’un camp d’aviation à Zarzis, missions de reconnaissance en avion sur la frontière libo-tunisienne et jusque dans l’extrême sud tunisien, repérage en mer des sous-marins allemands qui patrouillent proches des côtes, relevés topographiques et cartographiques. De plus, pendant deux année il va mettre au point, avec une  équipe de mécaniciens, un véhicule capable de se déplacer sur tous les terrains. Une « section automobile de l’aviation tunisienne » est créée, composée de camionnettes Brasier réservées au dépannage, convoyage et ravitaillement des avions. Des pistes sont aménagées de Déhibat, à Fatnasia, à Tatahouine ; de Zarzis à Ben Gardane à Meched Salah ; etc. Toutes ces rudes missions sont assurées, conjointement, par les Compagnies montées, les Compagnies sahariennes,  les aviateurs et techniciens.

Au cours de ces deux premières années tunisiennes, le port d’attache de Louis Audouin-Dubreuil est Zarzis. Tout d’abord, il a dressé sa tente sur le terrain d’aviation non loin du port, puis il a loué un modeste logement sur la place en face du fort espagnol,  enfin il s’est installé dans une ravissante demeure dans la palmeraie du bord de mer. Demeure qu’il va acquérir en 1919.

Dans son carnet de notes de 1920, parlant de ces deux premières années passées en Tunisie, Louis Audouin-Dubreuil écrit : «  J’ai connu sur ce coin de terre d’Afrique, entouré de bons camarades et d’hommes dévoués, la vie rude et heureuse du blédard, la douleur et la sueur d’un homme des bataillons d’Afrique condamné à déblayer des pistes, la honte de l’aviateur qui plante son appareil lors d’un atterrissage mal calculé, le bonheur d’atteindre aux confins du Sahara un poste perdu dans la houle des dunes de l’Erg, là où les hommes n’avaient jamais vu une automobile…. Le Sud tunisien s’était emparé de moi, il ne relâcherait  plus son étreinte, il me serait désormais impossible de vivre pleinement et heureux ailleurs... »

Appelé à remplir d’autres missions, il quitte Zarzis en décembre 1918.  Mais après chacune de ses longues et périlleuses explorations il regagnera la maison de la palmeraie pour se recueillir dans le silence et écrire ses aventures de voyage.

Une première expédition saharienne, automobiles et avions, de plus de 3000 km dite « la Saoura – Tidikelt »  se déroule  sur février et mars 1919. Le succès est assuré grâce à  la flottille de tracteurs Brasier tout terrain, mis au point en Tunisie, que commande Audouin-Dubreuil, et qui ouvre la voie aux six Farman des escadrilles  de Tunisie.
En 1922 – 1923, c’est la première traversée du Sahara sur des autochenilles, de Touggourt à Tombouctou en 21 jours. Cette expédition est lancée par le grand industriel André Citroën et dirigée par G.M. Haardt avec comme chef en second L. Audouin-Dubreuil. Une piste automobile est aménagée permettant une liaison postale bihebdomadaire à travers le Sahara, une voie aérienne est  ouverte aux escadrilles du Nord.

Louis Audouin-Dubreuil publie un livre sur cette première transsaharienne automobile et un recueil de poèmes touaregs « les nuits du Hoggar », poèmes recueillis à l’ahaal de la poétesse Dacine, sœur du grand Aménokal  Akhamouk, souverain du Hoggar.

En 1924 – 1925,  Citroën lance ses autochenilles  à travers tout le continent Africain, d’Alger à Tananarive 26.000 km à parcourir. Cette une mission  à buts scientifiques et culturels sera connue sous le nom de « Croisière noire ».

Au retour de cette mission, Louis Audouin-Dubreuil prend la direction  de la représentation Citroën en Tunisie, écrit à Zarzis  « La Croisière Noire », habite dans la médina de Tunis le beau palais du Dar Ben Abdallah que lui loue le peintre orientaliste Aublet.

Le 4 avril 1931 la troisième mission Citroën, Commandée par Haardt et Audouin-Dubreuil, prend la piste à Beyrouth, traverse la Syrie, l’Irak, la Perse, l’Afghanistan, franchit les contre-forts de l’Himalaya, traverse les  passes des Pamirs à une altitude de plus de 4500 m, atteint le Turkestan chinois où les hommes de la mission sont retenus prisonniers pendant des mois et atteint, enfin, Pékin par un hiver de  - 25 - 30°, le 12 février 1932. Une expérience passionnante et douloureuse contée dans : « Sur la Route de la Soie, mon carnet de route de la Méditerranée à la Mer de Chine.»

En 1933, Louis Audouin-Dubreuil épouse Gilberte Marchegay, en 1934 une petite fille nait, nommée Dacine. Jusqu’en 1939, ils résident en Tunisie, partageant leur vie entre Zarzis et Tunis et regagnant la France pour des tournées de conférences ou les vacances. Leur fille Ariane nait en 1939 et Tanit un an plus tard. La guerre les séparera.

La Seconde Guerre Mondiale retient en Tunisie le Commandant Louis Audouin-Dubreuil au 4e Chasseurs d’Afrique, mais rapidement il est assigné à résidence à Zarzis lors de l’arrivée des troupes allemandes sur le territoire tunisien. Deux années s’écoulent éprouvantes pour un homme qui a connu les combats de Verdun, mais elles se révèlent riches en réflexions et observations des évènements qui se déroulent. Le passage du Général Montgomery, et de ses glorieuses troupes arrivant de El Alamein, lui permet de reprendre du service, il est chargé alors de remplir différentes missions.

À l’issue de la guerre, il écrit : « La Guerre de Tunisie », suivi de : « Aventures de guerre en Tunisie ».
Dès son retour d’Asie, il avait suivi avec la plus grande attention les évènements politiques qui devaient conduire à l’indépendance  les pays d’Afrique du Nord, et particulièrement ceux qui se déroulaient en Tunisie. Il faisait partie d’un comité d’études (1952-1953) auquel il avait soumis des propositions. Il eut le courage d’affirmer qu’il était pour « Une indépendance négociée avec élégance et faisant appel au bon sens ».

Le 31 décembre 1956 en sa demeure de Zarzis, « La Dacine-Zaouä » lui adressant ses vœux, il écrivait, à sa fille Ariane, ceci : « ….  J’écris cette nuit différents messages au peuple français, au peuple tunisien, à ma Mère et à toi. L’année s’enchaîne à une autre année en laissant en moi une impression que je n’avais pas soupçonnée jusqu’à lors – celle de n’avoir plus rien derrière soi, mais, devant, encore beaucoup à attendre.  

Cette année 1956, en Tunisie, beaucoup de faits passionnants. Que ce soit plus ou moins plaisant pour la France et les français, il faut reconnaître que ce pays avec adresse, persévérance, guidé par un homme remarquable, vrai chef d’État, est arrivé à son indépendance et a su se débrouiller assez bien par la suite. Bourguiba avec Nehru sont les deux hommes qui ont montré logique, intelligence, imagination.

En 1956, la France a continué à perdre, en Algérie, prestige, soldats, milliards  pour rien.»

Les quinze dernière années de sa vie, Louis Audouin-Dubreuil fixe sa résidence principale à Zarzis. Il vit au rythme des saisons. Deux mois d’hiver au Sahara dans son bordj de tob rouge dominant l’oasis de Timimoun où il se rend seul en 2 CV Citroën sur piste ou hors piste, s’orientant à la boussole, dressant sa tente le soir. L’été en France dans le vieux château familial, été réservé à ses trois filles et à ses amis. Les printemps et automnes dans sa demeure tunisienne où il a l’honneur de recevoir le Président Habib Bourguiba en décembre 1958.

Louis Audouin-Dubreuil meurt en sa Zaouïa de Zarzis le 12 février 1960. Il repose au cœur de cette demeure, dans le patio ouvert sur le ciel.  Dans sa tombe, il avait déposé une bible, un coran, du sable du Sahara et un linceul jaune ramené d’une lointaine lamaserie d’Asie.

Ariane Audouin-Dubreuil





 

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6 Commentaires
Les Commentaires
Majid - 18-10-2010 12:30

C'est un article extrêmement émouvant. J'y ai beaucoup appris. Je ne savais pas en effet, comme sans doute beaucoup de tunisiens que des expéditions aussi prestigieuses telles que la traversée du sahara ou celle de la route de la soie, dans des véhicules motorisés, ont vu la participation en première ligne d'un homme que l'on peut considérer comme tunisien, ayant passé la majeure partie de sa vie en Tunisie et s'y est attaché jusqu'à demander à y être inhumé. Bravo leaders et un grand merci à Madame Dubreuil qui nous a fait revivre une belle épopée du vingtième siècle, et nous a rappelé à quel point cette belle ville du sud qu'est Zarzis est riche par ses ressources humaines! Majid, ingénieur.

jertila moncef - 18-10-2010 13:32

TRES EMOUVANT MERCI CHERE AMI ARIANE

othman - 19-10-2010 02:21

Superbe article !

A.S - 21-10-2010 03:02

Tout simplement superbe! Un rendu dense et émouvant. Merci madame!

Amor Mtimet - 25-10-2010 10:59

Quand l'information historique répond à l'amour paternel et à la Tunisie : Un vif témoignage de l'homme et ses qualités d'explorateur, de prospecteur et de géographe de notre grand territoire du Sud tunisien. La presqu'ile de Zarzis ou des Accaras, offre un site remarquable compte tenu de ses caractéristiques physiques, climatiques et géo-stratégiques : mer, plaines fertiles, étendu saharien. Une "tète de pont" pour l'Afrique sub-saharienne depuis l'empire romain... Madame Arianne Dubreuil a su avec subtilité et élégance présenter le long parcours du père et examiner ses qualités scientifiques et culturelles. C'est une transcendance de l'amour du pays, du Sud tunisien et de Zarzis. Sur les traces de de son père et à cette èpoque florissante de la Tunisie, elle continue à vibrer pour ces choix et à sillonner les pistes ( qui deviennent des routes !) de Matmata, Toujane, Beni Kheddache, des Ksars de Tataouine, Douiret, et Chenini, et toujourrs apprécier les délices du Grand Sud. A.M.

EZZEDDINE BEN AMARA ( alias BEN ZATLA ) - 22-11-2016 19:23

J'étais en compagnie ( malgré ma quinzaine d"années ) de mon cher et regretté feu Louis Audouin Dubreuil à recevoir le leader tunisien Habib Bourguiba en décembre 1955 devant la villa d'ézzaouia de Zarzis. Bourguiba debout entre nous deux s'adressa à la foule, après le petit discours de bienvenue de notre grand ami dans lequel il a remercié ses voisins sur leur gentillesse et leur profond respect envers lui, à ses compatriotes les gratifiant de leur sentiment hospitalier envers cette grande personnalité; ensuite ils sont rentrés à la villa pour discuter des choses plus sérieuses concernant leurs deux partis et qu'un garçon ne peut pas assimiler ( la guerre civile avait commencé entre Bourgibistes et Youssefistes et les bodyguards de Bourguiba formés de ses sympathisants encerclaient la villa ). Témoignages en faveur de mon grand ami lequel me considérait comme son propre fils et me laissait fouiner dans sa bibliothèque à mon aise sans surveillance ( la bibliothèques à part les livres contenait des souvenirs très chers ). Adieu mon ami et reste en paix .

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