News - 01.06.2020

Najet Brahmi Zouaoui - Le décret gouvernemental N 2020 /318 du 26 Mai 2020: L'aveu d'échec ou l'échec de la loi?

Najet Brahmi Zouaoui - Le décret gouvernemental N 2020 /318 du 26 Mai 2020: L'aveu d'échec ou l'échec de la loi?

Par Najet Brahmi Zouaoui. Professeure à la faculté ce Droit et des Sciences politiques de Tunis et avocate près la Cour de Cassation-

1- «Mieux vaut tard que jamais». Ainsi formulé, cet adage de la littérature française semble contenir le sens de notre réflexion juridique aujourd’hui portée sur le décret gouvernemental N 2020/318 du 26 Mai 2020 portant modification du décret-gouvernemental N 2020/208 du 02 Mai 2020 relatif aux modalités, procédures et rythme du confinement ciblé. Celui-ci, très critiquable dans sa globalité, a suscité des réserves particulières concernant la disposition de son article 10 prévoyant une soustraction au régime du confinement ciblé pour certaines personnes dont notamment les femmes enceintes et les enfants de moins de quinze ans.

2- Restrictivement listées, les personnes soustraites au régime du confinement ciblé au sens du décret gouvernemental N2020/208 du 02 Mai 2020, doivent continuer exceptionnellement à se soumettre obligatoirement au régime du confinement général appliqué en Tunisie depuis le 12 Mars 2020 conformément au décret gouvernemental N 2020/158 du 12 Mars 2020 relatif aux procédures et modalités du confinement obligatoire.

3- Ainsi introduite, l’exception au régime du confinement ciblé n’a pas toujours été identique à elle-même. Elle a fait l’objet de trois interventions législatives dans le laps de trois semaines. La première du 2 Mais 2020 devant consacrer l’exception, la seconde du 3 Mai 2020 devant quant à elle modifier l’exception et la troisième du 26 Mai 2020 devant carrément abroger l’exception.

4- C’est cette nouvelle réforme qui va nous intéresser dans le cadre de cette étude. Les premières versions du texte puisées dans les deux décrets gouvernementaux des 2 et 3 Mai 2020 ont été déjà étudiées et acerbement critiquées dans le cadre de notre étude du 9 Mai 2020 intitulée « Le décret gouvernemental N 2020/208 : Le confinement ciblé ou la cible confinée : Vers une mise en quarantaine de la loi ? »(1) .

5- Ces critiques touchant au dispositif intégral du texte du décret gouvernemental susvisé ont particulièrement porté sur le dispositif de son article 10 qui incarne, comme nous l’avons déjà souligné, la marque d’une cohabitation regrettable entre le régime du confinement général obligatoire et le régime du confinement ciblé. L’article 10, procédant d’un texte relatif au confinement ciblé devrait, avons-nous déjà écris, présager d’une mise en quarantaine de la loi(2). Il devrait impérativement être abrogé.

6- L’abrogation est enfin de mise. Le décret gouvernemental N 2020/318 du 26 Mai 2020, composé de deux articles, dispose dans son article 1er que : «Sont abrogées les dispositions de l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/208 sus-indiqué».

7- Répondant au vœu pieux de la doctrine tunisienne la plus autorisée, cette abrogation est aussi une réponse aux remous et contestations de la société civile œuvrant dans le domaine des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Ces plumes encrées et ces voix levées n’avaient pas en fait de but autre que celui de préserver les libertés fondamentales et notamment celle de l’égalité entre les citoyens. L’abrogation tant réclamée tiendrait, à notre sens d’un aveu d’échec (I) de l’une des composantes de la législation d’urgence mais témoigne aussi du souci du chef du gouvernement d’arriver au terme de son mandat de faire la loi, avec le minimum de dégâts. Une appréciation de l’abrogation semble de ce fait à présent s’imposer. L’abrogation de l’article 10, restaurant certes une égalité bafouée entre les citoyens, ne serait pas moins sans révéler un échec de la loi (II).
Une démonstration en sera faite dans les développements qui suivent.

I- L’abrogation de l’article 10 du décret-loi N 2020/208: Un aveu d’échec ?

8- Une meilleure mise au clair des différentes critiques (B) qui ont été formulées à l’encontre de l’article 10 désormais abrogé, passerait par un rappel de sa genèse (A). Celle-ci serait en l’occurrence d’autant plus indiquée que l’article 10 a fait l’objet d’une genèse très particulière. Et l’on croit trouver dans les trois stations synonymes de la consécration, modification et abrogation de l’article 10, les marques les plus topiques de cette genèse quelque part «anormale».

A- La genèse de l’article 10 du décret-loi N 2020/208 désormais abrogé

9- Ayant eu à lire l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/208 du 2 Mai 2020 (a)tel que modifié par le décret gouvernemental N 2020/257 du 3 mai 2020 (b), nous avons déjà affirmé que même modifier par ce dernier décret gouvernemental, l’article 10 susvisé demeure loin d’échapper à toute critique. Un rappel de cette lecture semble d’emblée s’imposer.

a) La première formulation de l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/208 : Une formulation polémique

10- Sitôt publié au JORT, le décret-gouvernemental N 2020/208 du 2 Mai 2020 a fait l’objet de remous et de contestations amenant le chef du gouvernement à réagir à travers le communiqué officiel du 03 mai soulignant une erreur dans la version du décret gouvernemental publié au JORT du 02/05/2020 et s’engageant à la promulgation d’un autre décret gouvernemental qui portera modification du premier. Celui-ci-ci n’a pas tardé à voir le jour puisque quelques heures après le communiqué officiel du chef du gouvernement, un deuxième décret gouvernemental a été publié au JORT. Il s’agit du décret gouvernemental N 2020/257 du 3 mai 2020 portant modification du décret gouvernemental N2020/208 relatif au confinement ciblé. Dans sa première version, -celle du 02 Mai 2020-, le décret gouvernemental devait pêcher par la disposition de son article 10 qui régissant les exceptions au confinement ciblé, dresse la liste des personnes qui sont exclues du champ d’application du décret gouvernemental et devant continuer à se conformer aux exigences du confinement général au sens du décret gouvernemental N 2020/158 du 12 Mars 2020.

11- C’est surtout la formule de l’article 10 tiret 3 qui a nourri les remous et contestations. En effet disposant que «les femmes enceintes et les mères qui ont à leur charge leurs enfants de moins de 15 ans doivent échapper au régime du confinement orienté et continuent à subir-ou peut être bénéficié-du régime du confinement général», ce décret gouvernemental serait en flagrante violation de la constitution du 27 janvier 2014.Cette violation serait d’autant plus justifiée que l’article 21 de la constitution érige l’égalité entre les citoyens au rang d’un principe général(3). Si donc le décret gouvernemental vient soustraire les mères ayant à leur charge un enfant de moins de quinze ans au régime du confinement ciblé, il sera de nature à rompre la règle de l’égalité entre les citoyens. Pire encore, la discrimination se base sur le genre et renoue avec des débats classiques que l’on a crus déjà révolus.

12- Sensible à cette vague de contestations, le chef du gouvernement a très vite rendu public un communiqué officiel en date du 03 mai 2020(4) soulignant d’une part une erreur dans la version du décret-loi susvisé et son engagement à promulguer un autre décret-loi qui aura pour objet de modifier le premier dans le sens d’une correction de l’erreur qui l’aura marqué .

13- La modification a été très rapidement entreprise et c’est le décret gouvernemental N 2020/257 du 3 mai 2020 qui a consacré ladite modification(5).
Devant toucher la disposition de l’article 10 exclusivement, le décret gouvernemental N 2020/257 a étendu la liste des personnes soustraites au confinement ciblé en ajoutant la catégorie des enfants de moins de 15 ans(6) et en modifiant la catégorie des personnes au sens du paragraphe 2 tiret 1 de l’article 10 de façon à abroger la formule contestée et lui substituer une autre synonyme des « femmes enceintes » exclusivement(7).

14- Mise à part sa portée, cette modification du décret gouvernemental serait en soi un mauvais indice pour le citoyen soucieux d’une sécurité juridique garante de la prévisibilité juridique de la règle du droit aussi bien dans le temps que dans l’espace. Gommer et refaire en un seul jour serait en fait la marque regrettable d’une insécurité sinon fondamentale du moins symbolique pour le citoyen tunisien. L’insécurité juridique serait si redoutable que même modifié, le décret gouvernemental N 2020/208 du 2 Mai 2020 continue à nourrir la polémique.

b) Même modifié par le décret gouvernemental N 2020/257 du 3 Mai 2020, l’article 10 n’est pas exclusif de toute polémique

15- Nombreuses sont les aspects critiques qu’il soulève. Nous en avons dressé la liste dans notre étude critique du décret gouvernemental N 2020/208 déjà citée(8). Un retour sur la difficulté de mettre en œuvre la disposition de l’article 10 désormais abrogé, nous semble tenir d’une critique acerbe de ladite disposition.

B) Les limites de l’article 10 du décret- loi N2020/208: La difficulté de mettre en œuvre la disposition de l’article 10 !

16- Modifié en date du 3 Mai 2020, l’article 10 du décret gouvernemental dresse à titre limitatif la liste des personnes qui échappent au régime du confinement ciblé et continuent à être soumises au régime du confinement obligatoire.

17- C’est l’article 10 du décret gouvernent N 2020/208 tel que modifié par le décret gouvernemental N 2020/257 qui dresse à titre limitatif cette liste. Il y est prévu que :

« Les personnes ci-après définies restent soumises au confinement général :

- Les personnes retraitées âgées de plus de 65 ans.

- Les femmes enceintes.

- Les personnes handicapées.

- Les personnes atteintes par les maladies suivantes :

Le diabète non équilibre.

Les maladies respiratoires chroniques telles que l’asthme.

Les maladies cardiaques.

L’insuffisance rénale.

Le cancer.

Et les enfants âgés de moins de 15 ans

A titre exceptionnel, les personnes citées ci-dessus peuvent être appelées à se rendre au siège de leur travail en cas d’extrême urgence édicté par la nécessité du travail ou suite à l’impossibilité du télétravail. »

18- Ainsi délimitée, cette liste de personnes prête le flanc à la critique dans la mesure où les cas d’interdiction sont parfois injustifiés et parfois redoutables.

1) Les personnes retraitées âgées de 65 ans ou le paradoxe lié au statut du retraité ?

19- Ainsi formulée, l’interdiction de prétendre au confinement ciblé concerne les personnes retraitées âgées de plus de 65 ans ce qui permet de conclure que les personnes du même âge qui ne sont pas retraitées peuvent toujours demander l’autorisation pour exercer leur travail. On comprend ainsi la logique du confinement ciblé, tourné l’a-t-on déjà souligné, sur la nécessité de reprendre le travail. Mais telle que formulée, la disposition de l’article10 alinéa 1er permet aussi d’affirmer que les personnes âgées de 65 ans mais qui n’ont jamais été dans la vie active échappent au confinement général. La condition de la retraite étant une condition fondamentale de la soumission de la personne au confinement générale, son absence justifie le confinement ciblé. La conclusion qui en découle est que pour une même tranche d’âge, un régime de confinement différent. Un confinement ciblé pour les non retraités et personnes qui n’ont jamais été dans la vie active et un confinement général pour les personnes retraitées. La retraite semble du coup constituer un critère de différenciation regrettable car le retraité est dans la formulation du texte moins favorisé que la personne de même âge mais qui n’a jamais été dans la vie active. La carrière active ferait ainsi figure d’une sanction de la personne âgée qui doit subir l’effet du confinement général.

20- Le choix du critère de la retraite nous semble être un mauvais choix et il aurait été plus indiqué de s’en tenir au critère du travail. Il aurait été plus indiqué de prévoir que les personnes âgées de 65 ans peuvent, si elles justifient d’un travail, être autorisées à prétendre au confinement ciblé. Cette formule viendrait de la logique du confinement tourné vers la reprise du travail sans bafouer le principe de l’égalité entre les citoyens d’une part et la cohérence qui doit marquer le dispositif légal de l’autre. Celle- ci serait bafouée dans la version actuelle du texte qui fait de la personne qui n’a jamais été dans la vie active, une personne plus favorisée que celle qui est déjà à la retraite.

2) Les personnes handicapées et malades ?

21- Les personnes handicapées et atteintes de l’une des maladies au sens de l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/208 continent à être soumises au régime du confinement général prévoient l’article 10 susvisé. La lecture du texte permet de relever une formulation générale et incomplète qui heurterait de front l’efficacité du texte de portée très exceptionnelle.

22- La généralité du texte est si critiquable que pour certaines maladies, le législateur emploie pour définir leur domaine le terme notamment qui s’oppose catégoriquement au caractère exceptionnel aussi bien du texte que de la disposition de l’article lui-même. Le terme notamment est retenu pour la définition des maladies respiratoires chroniques dont notamment l’asthme. La formule serait de surcroit en violation notoire avec le dispositif du principe général du droit selon lequel « les exceptions doivent être appliquées dans la limite qui leurs sont assignées par la loi »(9) .

23- Quant à l’imprécision du texte de l’article 10, elle découle du fait que celui-ci, tout en énumérant une liste de maladies, n’en prévoit pas un système de preuve et encore moins une autorité chargée d’en attester. D’où le risque d’abus. Celui-ci est si redoutable que la tentation pour certains de trouver dans le régime du confinement général, une façon d’échapper au travail et de trouver d’arguer d’une maladie au sens de l’article 10 susvisé dont aucun système de preuve n’est établi. Demeure alors posée la question de savoir comment prouver la maladie au sens de l’article 10 du décret -loi N 2020/208 et quelle est l’autorité dont l’attestation d’une telle maladie va devoir faire foi ?

3) Les enfants âgés de moins de quinze ans ?

24- Se pose ici la question de savoir sur quelle base légale, le législateur aurait-il choisi l’âge de quinze ans en tant que critère de distinction entre deux régimes juridiques différents de confinement obligatoire. Mieux encore, un enfant de quatorze ans serait-il plus enclin à attraper le virus Covid 19 qu’un enfant de 15 ans ? L’interrogation est si justifiée que dans la politique législative tunisienne, l’âge est, dans certains cas, un critère de différenciation entre deux régimes juridiques. Mais en tant que tel, il est toujours justifié. A le voir injustifié dans la disposition de l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/8, semble fragiliser et de loin le contenu de cette disposition.

II- L’abrogation de l’article 10: L’échec de la loi ?

25- Tel que retenue par le décret gouvernemental N 2020/318, l’abrogation de l’article 10 semble tenir d’une abrogation in extremis(A), de portée pratique très limitée(B) et qui chercherait à sauver la face du législateur de la période de crise qui avance vers la fin de son mandat de faire la loi. L’abrogation se veut de ce fait beaucoup plus symbolique(C) qu’efficace.

A) Une abrogation in extremis

26- Procédant d’une technique juridique, l’abrogation signifie, pour le législateur, de mettre fin à l’effet juridique d’une disposition légale. Elle opère à partir de la date de la publication du texte qui la retient et est de nature à opérer un changement de l’état de droit pour les personnes auxquelles elle devait s’appliquer. Et selon les cas, l’abrogation d’une disposition légale peut être suivie ou non d’une nouvelle disposition qui vient s’y substituer. Le législateur abroge pour remplacer ou abroge pour tout simplement mettre fin à l’état de droit créé par la disposition abrogée. Dans certains cas, il y est des deux. C’est l’hypothèse de l’article 10 du décret-loi N 2020/8 qui, après une première abrogation –modification en date du 3 Mai 2020, a été définitivement abrogé en date du 26 Mai 2020. Aucun substitut. L’hypothèse traduit le plus souvent un aveu d’échec de la disposition abrogée.

B) Une abrogation de portée pratique très limitée

27- Réellement parlant, l’abrogation de la disposition de l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/signifie une soustraction de la liste des personnes énumérées par cet article au régime du confinement général obligatoire et leur soumission, comme la majorité des citoyens au régime du confinement ciblé. Cela veut dire que les malades, les handicapés, les femmes enceintes les enfants de moins de 15 ans et les retraités de plus de soixante-cinq ans vont s’aligner sur la grande majorité de la population et se soumettre au même régime du confinement. Ils seront particulièrement appelés à reprendre leur travail conformément aux arrêtés et notes de travail prescrites par leur employeur telles que définies par les articles 2,3, 4, 5 et 6 du décret gouvernemental N 2020/8 du 2 Mai 2020 tel que modifié par le décret gouvernemental N 2020/257 du 3 Mai 2020.

Pour les personnes listées par l’article 10 désormais abrogé, la reprise du travail selon les modalités, rythme et procédures du confinement ciblé au sens du décret gouvernemental N 2020/8 semble être d’une portée très limitée aussi bien de par son périmètre chronologique(a) que personnel(b)

a) Une abrogation très limitée dans le temps

28- Instaurée par le décret gouvernemental N 2020/318 du 26 Mai 2020, l’abrogation de l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/208 devrait modifier, l’a-t-on déjà souligné, le régime du confinement ciblé qui doit désormais faire table rase de toute exception. Tous les citoyens sont égaux devant les règles du confinement.

29- Mais à bien vouloir s’attarder sur le périmètre chronologique de l’abrogation, on ne manquerait pas de conclure à son illusion. En fait l’abrogation ne doit avoir d’effet que dans la période qui s’étend du 27 Mai 2020 au 3 juin 2020.Le dé-confinement général étant prévu pour le 04 juin 2020.législateur aurait donc légiféré pour une petite semaine ! Celle-ci serait dans la pratique, et de loin insuffisante pour mettre en œuvre le changement proclamé par le décret gouvernemental N 2020/318 du 26 Mai 2020. En effet, de nature à soustraire les personnes listées à l’article 10 du décret gouvernemental au régime du confinement obligatoire, l’abrogation en question aurait pour conséquence d’intégrer les personnes susvisées dans la vie active .Or, à bien vouloir croire en les termes du décret gouvernemental N 2020/208,on ne peut que souligner , une obligation, pour les personnes concernées par la reprise du travail, de répondre à plusieurs formalités dont notamment l’autorisation auprès de l’autorité de tutelle. La pratique de ces trois dernières semaines a révélé une lenteur administrative dans l’octroi des autorisations.

Plusieurs entreprises privées, théoriquement habilités à reprendre le travail à partir du 4 mai 2020, n’ont pas pu effectivement reprendre le travail à cette date mais quelques jours plus tard. Si donc, les personnes listées par l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/208 du 2 Mai 2020 doivent reprendre le travail selon les modalités, procédures et rythme du confinement ciblé au sens dudit décret-loi, elles devraient rencontrer les mêmes difficultés. La reprise effective du travail ne pourrait se faire que le 04 juin 2020. Mais ce sera là la reprise normale du travail pour tous les citoyens tunisiens. L’abrogation de l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/208 serait alors démunie de tout intérêt. Les personnes listées par l’article 10 dudit décret gouvernemental passeraient, semble-t-il du régime du confinement général obligatoire ordonné depuis le 12 Mars 2020 au régime du dé-confinement général prévu pour le 04 juin 2020. Le confinement ciblé devant les concerner suite à l’abrogation de l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/208 ne saurait réellement être   mise en œuvre. Le législateur aurait ainsi péché par la date de l’abrogation du décret gouvernemental N 2020/318.La durée dans laquelle le confinement ciblé devrait produire ses effets serait de loin insuffisante. Mais ce n’est pas là le seul aspect critique de l’abrogation de l’article 10 sus-indiqué. C’est dans le statut des personnes listées par l’article 10 abrogé que l’on croit trouver la deuxième marque de la portée pratique très limitée de l’abrogation en question.

b) Une abrogation très limitée de par son domaine subjectif

30- Un des principaux effets de l’abrogation au sens de l’article 10 susvisé est de permettre la reprise du travail selon les modalités, rythme et procédures du confinement ciblé tel que défini par le décret-loi N 2020/208 du 2 Mai 2020.C’est ce qui découle expressément des dispositions de l’article 1er de ce dernier décret gouvernemental. Or, à bien vouloir lire la liste des personnes désormais soustraites au régime du confinement général et soumises au régime du confinement cible, l’on y trouve les enfants de moins de 15 ans, les femmes enceintes, les malades atteints de maladies vaguement définies, les handicapés et les retraités de plus de 65 ans.

31- D’emblée, l’abrogation semble n’être d’aucun intérêt à l’égard des enfants de moins de 15 ans et des retraités de plus de 65 ans. Les deux catégories de personnes devant obligatoirement échapper à la vie active au sens de professionnelle et se trouvent du coup insensible quant aux modalités, rythme et procédures du confinement ciblé que le décret gouvernemental N 2020/8 règlemente. L’objectif escompté, en l’occurrence la reprise progressive du travail au sens dudit décret-loi, ne saurait en aucun cas les concerner.

32- Idem pour les malades et les handicapés qui, devant tous justifier d’une attestation de leur état de santé pour les premiers et de leur handicap pour les seconds, ne tarderaient pas à arguer de cet état si appel à la reprise du travail par leur employeur leur est fait dans la période du 27 Mai au 3 juin 2020.Les premiers comme les seconds trouveraient du mal à admettre une reprise soudaine du travail après une suspension légalement justifiée. Les uns comme les autres ne manqueraient pas d’arguer de certificats médicaux de longue durée justifiant la prolongation de leur confinement général.

33- Qu’est ce qui reste alors de l’intérêt pratique à devoir accorder à l’abrogation de l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/208 ? Les femmes enceintes bien évidemment. Seules ces dernières sont en mesure de donner sa raison d’être à l’abrogation. Auraient –elles à répondre présentes de l’appel à reprendre le travail dans la semaine du 27 mai au 3 juin ?

34- Quelle que soit sa portée, la réponse à cette question ne saurait en aucun ériger l’abrogation de l’article 10 du décret-loi 2020/208 au rang d’une mesure efficacement rattachée aux besoins de la reprise effective du travail. De par leur nombre, les femmes enceintes ne sauraient, à elles seules, participer de la réalisation de l’objectif lié au décret N 2020/208 en l’occurrence, la reprise progressive du travail. L’abrogation, pratiquement démunie de tout intérêt pratique, serait, à notre sens, purement symbolique.

C- Une abrogation purement symbolique

35- Alors que le décret gouvernemental N2020/8 du 2Mai 2020 régissant les modalités, procédures et rythme du confinement ciblé continue à s’appliquer sur le territoire tunisien jusqu’au dé- confinement total prévu pour le 04 juin 2020, le législateur décide de rétablir de l’ordre au sein de son dispositif en abrogeant la règle de l’article 10 incarnant la marque d’une inégalité injustifiée entre les citoyens. Désormais, tous les citoyens sont égaux à l’égard du dispositif légal relatif au confinement ramené à l’unité. En effet, avec l’abrogation de l’article 10 du décret gouvernemental, un seul régime de confinement est applicable sur le territoire tunisien, c’est le régime du confinement ciblé. Plus de cohabitation entre les deux régimes de confinement. Plus de confinement général obligatoire pour certaines personnes.

36- Symbolique, l’abrogation de l’article 10 du décret gouvernemental N 2020/8 serait méritoire et se veut le signe d’une conscience législative de devoir restaurer une égalité hélas bafouée entre les citoyens. La modification du régime du confinement ciblé incarnerait ainsi la marque d’un dé confinement des droits et libertés fondamentales, depuis quelques semaines hélas confinés ! On songe bien évidemment au droit fondamental à l’égalité entre les citoyens.

Najet Brahmi Zouaoui
Professeure à la faculté ce Droit et des Sciences politiques de Tunis et avocate près la Cour de Cassation

(1) Notre étude a été publiée sur Leaders New du 9 Mai 2020.WWW.leaders.com.tn.

(2)  Ibid.

(3) Aux termes de l’article de la constitution : « Les citoyens et les citoyennes sont égaux en droit et en devoirs. Ils sont égaux devant la loi sans discrimination »

(4) Communiqué publié sur le site officiel de la présidence du gouvernement mais aussi largement diffusé sur les différentes radios nationales et autres et sur les journaux télévisés.

(5) JORT n du 3 Mai 2020, p1059.

(6) Article 2 du décret gouvernemental N 2020/257 du 03/Mai 2020.

(7) Article 1er du décret gouvernemental N 2020/257 du 03/Mai /2020

(8) Voir note de bas de page N 1.

(9) Article 540 du code des obligations et des contrats.

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