Notes & Docs - 22.08.2010

Talleyrand, Courtisan du destin ou Sphinx incompris

A quoi un ambassadeur à la retraite peut-il passer son temps ?

Les choix sont nombreux. Certains, estimant qu’ils en ont encore les capacités, décident de se lancer dans le monde des affaires, de la consultation; d’autres, ayant été empêchés d’aller jusqu’au bout de leur cursus universitaire, pour diverses raisons, dont, justement, le fait d’avoir été appelés à des fonctions diplomatiques, décident de reprendre leurs études et redeviennent, tout simplement, étudiants ; d’autres, éprouvant le besoin de témoigner d’une époque qu’ils ont vécue et s’estimant capable de le faire, se lancent dans la rédaction de leurs mémoires ; ce qui peut-être une excellente chose, mais lorsque ces mémoires tournent à l’autoglorification, quelques fois au dépens de la vérité, la chose n’est pas acceptable.

Ces choix se sont présentés à moi, comme à beaucoup d’autres et je dois avouer qu’après avoir opté pendant quelques années pour le premier choix et travaillé, en quelque sorte, pour autrui, je me suis rendu compte que ce choix ne me convenait pas, et, m’étant très vite convaincu que j’avais encore beaucoup à apprendre dans beaucoup de domaines, j’ai préféré, alors, me consacrer à l’approfondissement de mes connaissances dans certains domaines, dont celui qui me concerne directement, à savoir la Diplomatie, comme si à mon âge et après avoir, en quelque sorte dételer, je sentait en moi l’envie de reprendre du service et de réapprendre  mon métier. Vous comprendrez alors aisément pourquoi je vous ai proposé ce soir un sujet concernant un diplomate : Talleyrand.

Pourquoi Talleyrand ?

Tout d’abord, pourquoi Talleyrand ? Quel intérêt y-a-il à évoquer un personnage qui appartient, en fait, à l’histoire ?  Et de surcroît un personnage contesté dont la vie n’a pas été souvent un modèle de vertu ; un homme dont on disait beaucoup de mal mais qu’on craignait  et qu’on admirait ; un courtisan du destin le mot est de Lamartine, qui lui, contrairement à Chateaubriand, l’admirait ; ou un sphinx incompris ; une exception de la nature, comme disait de lui Madame de Staël qui fut son amie, mais qui s’est brouillée avec lui à la fin de sa vie et qui parlant encore de lui ajoutait : une monstruosité si rare que le genre humain, tout en le méprisant, l'a contemplé avec une imbécile admiration.

Cet homme, et c’est ce qui justifie l’intérêt qu’on lui porte, a été un grand diplomate, et c’est peu dire, qui, en fait, a inventé un style diplomatique nouveau par rapport à ce qui se faisait à cette époque et avant et qui a laissé une marque indélébile dans l’histoire de la diplomatie en portant l’art de la négociation, mais aussi de l’intrigue, à l’incandescence;  un homme qui, par ses réussites mais aussi par sa part d’échecs et de déconvenues, a été l’un des principaux artisans d’un continent, l’Europe, telle que nous la connaissons aujourd’hui ;  un homme d’influence, réputé pour son esprit et son intelligence, menant une vie entre l'Ancien Régime et le XIXe siècle. Décrit comme le « diable boiteux », un traître plein de vices et de corruption, ou un homme des Lumières, soucieux d'harmonie et de raison ; un homme, comme le décrit son ami, mais néanmoins rival, Josef Fouché, délié, d’un esprit si brillant, d’un goût si exercé et si délicat ;voila pourquoi j’ai voulu parler de Talleyrand ; mais n’anticipons pas, qui est Talleyrand ?

Qui est Talleyrand ?

Charles-Maurice de Talleyrand est né le 2 février 1754 à Paris ; il appartient à l’une des familles les plus anciennes de l’aristocratie française ; l’histoire de ses ancêtres, les comtes de Périgord, est terrifiante ; en six siècles, du IXe au XVe, la chronique du comté ne signale que pillages, meurtres, viols, tortures, enlèvements. La puissance des Périgord est telle qu’ils en arrivent à défier les rois de France eux-mêmes ; déjà en 990, Adalbert, l’un des ancêtres de Talleyrand, s’étant, par son insolence, attiré l’observation de Hugues Capet qui lui rappelait qui l’a fait comte ? n’hésita pas à renvoyer, du tac au tac, au visage du roi, le célèbre : Et toi, qui t’a fait roi ?
 
Très tôt, enfant négligé par ses parents qui ont refusé de s’occuper de lui, Il fut presque abandonné à une nourrice du faubourg St Jacques puis à une vielle grand-mère, aristocrate jusqu’au bout des ongles ; en écoutant son aïeule  et son entourage, il sentit s’ancrer en lui la conviction essentielle, inexprimable et indestructible que, taillé dans la même soie et construit avec le même acier que cette grand-mère et que ses ancêtres, il ne sera jamais et ne pourrait jamais être autre qu’un grand seigneur, sans tenir compte des modes, ni du public, ni des injures, ni des flatteries, ni des menaces, ni des révolutions ni, ni même des succès. Être Talleyrand-Périgord c’est, à ses yeux, être ce qu’il y a de plus rare dans l’humanité ; toutefois, cet enfant des lions – le lion étant l’emblème des Périgord - fut traité comme un chat de gouttières ; il ne fut jamais embrassé ni par son père ni par sa mère.

Au cours de son séjour chez sa nourrice, à l’âge de trois ans, un accident- il tomba d’une table- lui fractura la cheville ; mal soignée, cette affection le rendit définitivement boiteux.

Talleyrand : Le prélat et le mélange des genres

En 1769, il avait quinze ans, Talleyrand fut envoyé faire un séjour chez son oncle, coadjuteur de l’archevêque-duc de Reins, le cardinal de la Roche-Aymon ; dès son arrivée, on le pria de revêtir une soutane. Le coup fut rude ; il comprit soudain ce qui l’attendait ;

Il allait, après cela, passer cinq années au séminaire (1769-1774) ; toute sa jeunesse se sera écoulée dans le quartier de Saint Sulpice ; ces cinq années furent les plus tristes de sa vie ; il en voulait à la société qui permettait cette incarcération. 
 
C’est au séminaire pourtant, où il est sensé avoir une conduite exemplaire faite d’études, de méditation et d’abstinence, que commence sa vie sentimentale et sa relation avec les femmes.  Il rencontre, à la messe, l’amour en la personne d’une jeune fille, du nom de Dorothée, sortie d’un roman de Marivaux, avec l’élégance et la modestie de Marianne, la fraicheur de l’innocence et la beauté d’une Vénus ; elle fut sa première maitresse. La chose se sut ; mais  avec ou sans maitresse, ses parents ont décidé qu’il serait prêtre, il le sera.

Il sera ordonné prêtre, abbé de Périgord, à vingt-six ans, le 18 décembre 1779; ce qui lui fera dire,  on me force d’être ecclésiastique, on s’en repentira. Toutefois, avant de recevoir l’ordination, et c’est là un événement fondamental dans sa vie, il se fera bénir par le prophète à la mode qui trônait à Paris, en ce printemps 1778, le pape de l’impiété ; Voltaire.

Talleyrand était ravi d’avoir, en quelque sorte, rattrapé Voltaire qui devait décéder quelques semaines après sa visite au patriarche de Ferney ; Talleyrand trouvait dans l’univers définit par Voltaire, un bonheur raisonnable, fait de richesse, de liberté et de bienséance. La hiérarchie ecclésiastique du jeune abbé enrageait.

En sa qualité d’abbé attaché au diocèse de Reims, ville où on sacre les rois de France,  mais aussi par son appartenance aux Périgord qui ont toujours joué un rôle au cours de ces sacres que Talleyrand assista au sacre de Louis XVI, une cérémonie à caractère religieux  qu’il va transformer en fête galante et, pour résumer ce chapitre, écoutons le : C’est du sacre de Louis XVI que datent mes liaisons avec plusieurs femmes que leurs avantages dans des genres différents rendaient remarquables et dont l’amitié n’a cessé de jeter un charme dans ma vie.

Les premiers pas dans la politique: Talleyrand, législateur au sein de la Constituante


Ceci dit, en cette période des années 80 qui précèdent la révolution, cet abbé qui ne ressemble, en fait, à aucun autre, homme à femmes, avide d’argent, joueur invétéré, agioteur, va être attiré par la politique et les affaires publiques ; il sentait déjà le vent des changements s’annoncer et n’avait aucun désir de rester figé dans sa situation d’ecclésiastique de second ordre, situation, d’ailleurs, qu’il n’a jamais acceptée. Et il commence à s’agiter, à fréquenter les hommes de pouvoir et d’influence et à faire valoir ses dons dans ce domaine ; son premier mentor fut Mirabeau, le comte de Mirabeau ; homme influent, prés du pouvoir royal avant d’être un ténor de la révolution, orateur hors paire qui partage avec Talleyrand le dévergondage, l’amour des femmes et de l’argent ; Talleyrand va tout faire afin de s’élever dans son ordre pour pouvoir être présent au sein de la future assemblée et y jouer un rôle important ; et il va y réussir, et de la manière la plus éclatante ; ses détracteurs ont beau hurler au scandale ; il sera nommé, au mois de novembre 1788 quelques mois avant la prise de la Bastille, évêque d’Autun.

La propre mère de Talleyrand, connaissant son fils, protesta auprès du roi qui lui répondit : Cela le corrigera.

Voilà donc Talleyrand évêque. Il sera élu député du clergé aux Etats généraux mais  siégera dans les rangs du Tiers état à l’assemblée constituante, aux travaux de laquelle il participera activement.

Il est clair, déjà, que Talleyrand est en train de trahir l’Eglise, mais il ne la quittera pas encore ; il procèdera par étape ; deux mois plus tard, ce même prélat allait du haut de la tribune de l’Assemblée, demander la confiscation de tous les biens du clergé ; en quatre phrases, il ruina radicalement l’Eglise. Talleyrand accomplit cette tache en tout âme et conscience, car, disait-il, le clergé n’est pas propriétaire à l’instar des autres propriétaires puisque les biens dont il jouit et dont il ne peut disposer ont été donnés non pour l’intérêt des personnes mais pour le service des fonctions ; or, l’Etat se chargeant désormais d’assistance et d’instruction publique rétribuerait le clergé pour ses fonctions ecclésiastiques ; en fait, il faut le dire, cette confiscation des biens de l’Eglise va servir surtout à renflouer les caisses de l’Etat qui étaient pratiquement vides.

Pour terminer cette évocation des relations de Talleyrand avec l’Eglise, disons qu’il jouera un rôle important  lors de  l’élaboration et du vote de la constitution civile du clergé, astreint désormais à  la prestation d’un serment de fidélité à la Constitution ; il sera, le 14 juillet 1790, la grande vedette de la célébration de la fête de la Fédération au cours de laquelle il dira devant le roi, et certainement pour la dernière fois, la messe, la messe de l’union, de la fraternité, de la paix et de la liberté. L’un de ses contemporains, journaliste du nom de Arnault, qui assistait à la cérémonie écrivit dans son compte rendu : Sa figure n’état pas sans charme. Elle m’avait frappé moins par ses agréments que par un certain mélange de nonchalance et de malignité qui lui donnait un caractère particulier, celui d’une tête d’ange animée par l’esprit du diable.

Au sein de l’assemblée Constituante, signalons le rôle éminemment déterminant qu’il joua dans la rédaction de ce monument de l’histoire universelle qu’est : La déclaration des droits de l’homme ; c’est lui qui rédigea et fit adopter le fameux article VI : La loi est l’expression de volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement ou par leurs représentants à sa formation. Elle doit être la même pour tous soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes les dignités places et emplois, selon leurs capacités

Les premiers pas dans la diplomatie: Talleyrand en Angleterre et l’exil aux USA
 
L’hostilité des cours européennes à la révolution française était telle que l’on sentait déjà la guerre avec la Prusse inévitable ; il fallait donc s’assurer de la neutralité de l’Angleterre. Qui mieux que Talleyrand pouvait être chargé de cette mission ; après deux séjours à Londres, il finit par obtenir une déclaration de neutralité de l’Angleterre en mai 1792

Malgré ce succès, rentré d’Angleterre en France, les choses ne se présentent pas bien pour lui ; on commence à lui sortir de vieilles affaires assez compromettantes qui pourraient lui faire beaucoup de mal et en particulier, sa compromission dans ce que l’on appelle le complot des réformateurs de la monarchie qui visait à destituer Louis XVI, au profit du duc d’Orléans, considéré comme un traitre exilé en Angleterre, ce qui n’est pas tout à fait faux ; il s’agite pour obtenir un passeport pour retourner en Angleterre, ; grâce au soutien de Danton, il finit par obtenir ce document qui lui permet de regagner Londres ; quelques mois plus tard,  en France, il est inscrit sur la liste des émigrés passibles d’être arrêtés ; prié de quitter l’Angleterre, il s’exilera aux Etats unis, pour ne revenir en France qu’après le 9 thermidor et le passage de Robespierre par l’échafaud ; ce qui fera dire à un contemporain: Robespierre sort, M. d’Autun rentre.

Germaine à l’assaut de Barras ; Talleyrand ministre du Directoire

Rentré à Paris, Talleyrand est désœuvré et désargenté ; il fallait que l’on s’occupe de lui pour lui trouver une situation convenable, et c’est son amie Madame Germaine de Staël qui va prendre les choses en main. Talleyrand pouvait compter sur elle, car, disait il, dans les circonstances importantes, il faut faire marcher les femmes.

La fidèle Germaine va utiliser les grands moyens ; elle prend d’assaut Barras, le tout puissant Directeur, lui-même homme de toutes les compromissions ; d’une amoralité parfaite, n’ayant vu dans la révolution qu’un moyen rapide et lucratif de faire ses affaires ; elle le harcèle ; il fallait
         
Que Talleyrand fut ministre ; après des réticences, Barras qui a fini par se rendre compte du profit qu’il pouvait  tirer d’un Talleyrand aux affaires, défendit, auprès du Directoire, sa candidature au poste de Ministre des Relations extérieures, et il y réussit ;

Talleyrand est nommé Ministre des Affaires étrangères ; dès le début jusqu’à la fin de sa vie, son socle politico idéologique restera inchangé et reposera sur l’idée fondamentale, à savoir que l’intérêt de la France réside dans la paix et l’équilibre européen ; or, Bonaparte inquiète ; Talleyrand, et cela sera sa première manipulation diplomatique importante, va pousser le glorieux général à se lancer à la conquête de l’Egypte : il est, lui, Talleyrand, le véritable concepteur de cette aventure ; son argument est simple : il s’agit d’asphyxier l’Angleterre en lui coupant la route de Indes. Il croit ainsi réaliser d’une pierre plusieurs coups ; il flatte l’égo du général, rassure le directoire qui se méfie des ambitions de ce dernier et rassure les cours européennes qui commencent à penser à endiguer l’expansionnisme de cette nouvelle France issue d’une révolution régicide.

Mais voilà, les calculs de Talleyrand s’avérèrent inexacts ; Bonaparte ne s’attarde pas en Orient ; il revient en France ; les relations de Talleyrand avec le Directoire ne sont pas bonnes ; en ce qui concerne la gestion de son ministère, il reproche au Directoire de lui imposer comme ambassadeur, de s hommes politiques incompétents et incapables de représenter la France à un moment où, les cours européennes affolées par le retour de Bonaparte, envisagent de se préparer à la guerre ; pour Talleyrand, il n’y avait plus d’hésitation possible : L’avenir, du moins pour le moment, s’appelait Bonaparte, un Bonaparte qu’il espère convertir à ses propres convictions en ce qui concerne l’équilibre européen. Il démissionne du Directoire pour se consacre à la préparation du coup d'État du 18 brumaire (9 novembre 1799) en conspirant ouvertement contre le Directoire.

Le Consulat : Talleyrand, Ministre ; Bonaparte, Diplomate

Dès le début du Consulat, Bonaparte et Talleyrand vont former un couple tout à fait exceptionnel dans le monde politique de l’époque ; pour Bonaparte, Talleyrand occupe une place importante, car, il incarne aussi bien les valeurs de l’ancien régime que les principes de la Révolution, ce qui permet à Bonaparte de jeter un pont entre son régime naissant et celui historique de la France.
Sous l’influence de Talleyrand, Napoléon va lancer une opération charme en direction des cours européennes ; il écrit amicalement au roi de Grande-Bretagne, à l’empereur d’Autriche et au tsar de Russie, qui, tous, refusent les propositions de réconciliation du premier consul, pour la simple raison que ces propositions ne sont pas de nature à consolider une véritable paix ; on ne peut pas dire que ce résultat fut un succès pour le nouveau ministre des Affaires étrangères et les campagnes napoléoniennes vont reprendre. Talleyrand ne peut pas rester sur cet échec, et il va être l’artisan de deux événements d’une importance capitale : Le concordat et l’empire.

L’empire : l’action de Talleyrand pour l’équilibre européen et la paix

Et puis l’Empire ; Pour apaiser la furie guerrière et expansionniste de Bonaparte, Talleyrand, monarchiste de cœur, comme le fut Chateaubriand, va repenser au changement qu’il voulait, avec d’autres comme Mirabeau, réaliser au début de la Révolution, à savoir l’instauration d’une monarchie constitutionnelle. Il va donc pousser Bonaparte à remplacer le Consulat par une monarchie héréditaire et constitutionnelle ; peut-ont dire qu’il y réussit ? Car, Bonaparte va, certes, supprimer le Consulat, mais il ne le remplacera pas par un royaume ;  il voulait être empereur, à la tête d’un empire. Il le fut, et Talleyrand, nommé grand Chambellan et grand cordon de la légion d’honneur, assista, impassible, au sacre de l’empereur, le 2décembre 1804, à qui il continua à manifester son attachement ; il sera ministre des Affaires étrangères de 1804 à1807.

Il n’est pas dans nos intentions de nous enliser dans le dédale des guerres napoléoniennes ; l’empereur, à partir de 1804, engage, la plupart du temps avec succès, une série de batailles contre des coalitions sans cesse renaissantes. Tout en justifiant son action par sa volonté de défendre la France et les acquis de la révolution, il est, en fait, en train de modeler l’Europe à sa manière. Durant les premières années de l’empire, Talleyrand assume les fonctions de Ministre des affaires étrangères et se contente de signer des traités à la rédaction desquels il ne participe pas vraiment ; néanmoins, et il est l’un des rares à pouvoir le faire, de conseiller à Napoléon l ;a modération à observer vis-à-vis des nations vaincues, afin de réaliser un équilibre nécessaire à l’instauration de la paix en Europe. Ces conseils n’auront aucun effet sur l’empereur et Talleyrand se détachera petit à petit d’un homme, toujours tourné vers de nouvelles conquêtes militaires, si peu soucieux de la paix et prenant toujours ses décisions tout seul ; il décide don c de démissionner et sa démission interviendra le 6 Août 1807.                                                            
 

Talleyrand, conseiller et grand chambellan de Napoléon, mais aussi opposant.
 La guerre d’Espagne,  la trahison d’Erfurt, le complot, la  Bérézina

Après sa démission du ministère, Talleyrand restera toujours conseiller de l’Empereur et, en tant que tel, mais aussi en tant que grand chambellan, assistera aux conseils et donnera son avis. Il s’occupera du divorce de Napoléon et arrangera le mariage de celui-ci avec Marie Louise d’Autriche, nièce de la malheureuse Marie Antoinette. Il lui déconseille fortement d'entamer la guerre en Espagne, « en exposant l'immoralité et les dangers d'une pareille entreprise », car l’Espagne est activement soutenue par le grand ennemi de Napoléon : la Grande Bretagne. L'empereur ne tient pas compte de l'avertissement et déclare la guerre à l’Espagne,  capture par la ruse les infants d'Espagne pour en confier la garde à Talleyrand, qui les logea durant sept ans dans le fastueux château de Valençay acquis par Talleyrand quelques années plus tôt sur les conseils pressants et l’assistance financière de Napoléon.

En septembre 1808, à Erfurt, où Napoléon l'envoie préparer le terrain en vue d'une alliance avec la Russie, il va jusqu'à déconseiller au tsar de s'allier avec l'empereur ; C'est la « trahison d'Erfurt », qu'il détaille longuement dans ses mémoires, affirmant avoir manœuvré  pour préserver l'équilibre européen ; il dira : « à Erfurt, j'ai sauvé l'Europe. »

Alors que Napoléon est enlisé dans cette désastreuse guerre d’Espagne et n’arrive pas à imposer son frère Joseph comme roi de ce pays, Talleyrand complote au grand jour avec Joseph Fouché, contre Napoléon pour offrir le trône à Murat, roi de Naples et beau frère de l’empereur, étant marié à la sœur de celui-ci, Caroline. Napoléon apprend la conjuration et accourt à Paris, arrivant le 23 janvier 1809. Le 28 janvier 1809, durant trente minutes, il abreuve Talleyrand d'injures à l'issue d'un conseil restreint de circonstance ;  la phrase célèbre « vous êtes de la merde dans un bas de soie » n'est peut-être pas prononcée en cette circonstance, l’accuse de trahison et lui retire son poste de grand chambellan. Talleyrand est persuadé d'être arrêté, mais reste impassible : il aurait dit à la sortie dudit conseil : « Quel dommage, messieurs, qu'un si grand homme soit si mal élevé ». Au contraire de Fouché qui joue profil bas, il se présente toujours à la cour, mais ne dissimule pas son opposition.

En 1812, après toutes les guerres, les batailles célèbres et les traités imposés aux vaincus,  Napoléon était au sommet de son règne avec presque toutes les nations d’Europe continentale sous son contrôle. Cette situation a été le résultat des arrangements entre la France, l’Autriche et la Russie, l’Angleterre réfractaire à toute entente avec la France demeurait en dehors de ces arrangements et devait être soumise au blocus continental imposé par Napoléon. L’Autriche dont l’empereur François II devait devenir  le beau père de Napoléon, par le mariage de sa fille Marie Louise, petite nièce  de marie Antoinette, en 1810, avec l’empereur des français, ne posait pas, pour le moment du moins, de problème ;

Avec la Russie, les choses se présentent tout autrement. En 1808, le traité de Tilsit semble avoir scellé une alliance entre les deux monarques ; d’une manière schématique, disons que, d’une part, la Russie devait s’associer à la France dans le blocus contre l’Angleterre et même la menacer de déclaration de guerre au cas où elle s’obstinait à refuser sa médiation entre les deux pays ; d’autre part, Napoléon laisse les mains libres au tsar pour s’emparer de la Finlande aux dépens de la Suède ; par ailleurs, la Pologne ne devait pas être rétablie dans son unité.

Ceci dit, aussi bien Napoléon qu’Alexandre était de mauvaise foi et ni l’un ni l’autre ne respecta le traité, d’où la guerre entre les deux pays et la catastrophique campagne de Russie au cours de laquelle Napoléon est totalement défait ; la coalition anti napoléonienne se reforme et les alliés vont, tout simplement se mettent en route pour envahir la France.

Et là, nous allons retrouver Talleyrand ; en effet, Napoléon complètement désemparé réunit son conseil, dont fait partie Talleyrand, pour étudier la situation et convenir de la riposte à opposer aux envahisseurs: il demande à chacun son avis.

Quand  Talleyrand prit la parole, ce fut pour demander l’ouverture de négociations immédiates en vue faire la paix et la paix à tout prix ; «  Négociez, lui dit-il, Vous avez maintenant en main des gages que vous pouvez abandonner  demain, vous pouvez les avoir perdus et alors la faculté de négocier sera perdue aussi. » Il est évident que la négociation signifie l’abandon, par Napoléon, de toutes ses conquêtes européennes et le retour de la France à ses frontières naturelles ; Napoléon ne serait pas Napoléon s’il acceptait cela ;

Josef Fouché, l’inamovible ministre de la police, rapporte dans ses mémoires que l’empereur, sentant que la situation était désespérée, avait pensé faire un coup d’état et se proclamer dictateur ; il pensait que par suite de la confusion d’idées dans sa tête en matière d’histoire ancienne, le nom de dictateur produirait un grand effet ; c’est dire tout simplement qu’il divague et c’est Talleyrand qui lui enlèvera cette idée de la tête. Les alliés sont aux portes de Paris ; il sera obligé d’abdiquer et se retrouvera exilé à l’ile d’Elbe.

La première restauration et le congrès se Vienne

Ses prévisions confirmées, qu’allait faire Talleyrand ? Il va œuvrer pour convaincre les alliés, La Russie, l’Autriche, la Prusse et l’Angleterre, de rétablir, en France, la monarchie et de placer le frère de Louis XVI, Louis XVIII, sur le trône ; ce qui fut réalisé. Il sera chargé par celui-ci de diriger la délégation française au congrès de Vienne qui devait se tenir deux mois après le traité de Paris qui mit fin aux hostilités et dont le but était de remodeler l’Europe ; Talleyrand était dans une situation des plus inconfortables puisque il devait représenter le pays vaincu qui inspirait toujours une véritable méfiance et à qui les vainqueurs voulaient réserver un sort des plus déplorables.

Nous allons simplifier au maximum les choses, pour bien comprendre le rôle de Talleyrand ; il est vrai que par les fêtes fastueuses qu’il donnait, il a amusé et fait danser le congrès, mais il est vrai aussi que son talent de diplomate s’est littéralement éclaté pour faire de sa situation de vaincu, une supériorité ; il sera la vedette du congrès et déjouera tous les plans des alliés pour imposer ses vues et établir en Europe un certain équilibre.

Mais d’abord, qui sont les participants au congrès ?

Toute l'Europe monarchique. Quinze membres de familles royales côtoient deux cents princes et deux cent seize chefs de missions diplomatiques. De nombreux groupes de pression sont également présents : les représentants des juifs d'Allemagne, les chevaliers de Malte, les abolitionnistes de la Traite des Noirs.

Le talent et la stratégie de Talleyrand renversent les rôles et sauveront la paix et l’équilibre en Europe.
Il serait fastidieux de présenter les choses dans le détail ; disons simplement que le congrès de Vienne sera un véritable « champ de bataille » diplomatique où les puissances européennes tentent de satisfaire leurs ambitions tout en contrecarrant celles de leurs anciens alliés contre Napoléon Ier. Les quatre vainqueurs Autriche, Prusse, Royaume-Uni et Russie avaient décidé de se réserver les « choses sérieuses ». Talleyrand ainsi que les représentants des petites nations sont tenus à l’écart, les réunions se font à huit clos, entre les quatre grandes puissances et non en séances plénières.

Pour l’heure, ne pouvant assister aux réunions des quatre grands, Talleyrand est dans une situation des plus inconfortables ; il lui fallait, d’abord, être accepté dans ces réunions ; pour cela, ses relations amicales avec Metternich, ministre des Affaires étrangères d’Autriche, vont beaucoup lui servir ; en effet, entre 1806 et 1809, celui-ci était en poste à Paris comme ambassadeur d’Autriche ; les deux hommes collaboraient, s’échangeaient les informations, et avaient la même analyse quant au sort de l’aventure napoléonienne, qui, à leurs yeux, ne pouvait que très mal se terminer.

Et voilà donc Talleyrand admis aux réunions de la commission des grands ; très vite, de la situation, pratiquement d’observateur, il en deviendra l’un des membres les plus actifs.

Pour se faire entendre, il lui fallait avoir des alliances et des soutiens au sein de la commission ; pour cela, celle-ci devait, d’abord,  être élargie ; en invoquant, pour la première fois,  le droit des nations, grandes ou petites, il arrivera à faire coopter l’Espagne, la Suède, le Portugal, le Danemark et le Wurtemberg. Ces petites nations et principautés vont trouver en Talleyrand un sincère défenseur qui, pour réaliser l’équilibre européen, défendra leur intégrité territoriale.

En fait, voici comment se présentent les choses, dès le début des négociations à Vienne : Pour Talleyrand, l’équation politico diplomatique se pose de la manière suivante : La Russie ne doit pas avancer en Europe occidentale, donc préservation de l’intégrité territoriale de la Pologne et la Prusse ne doit pas se renforcer en Allemagne d’où la préservation de la Saxe qui ne doit pas tomber sous la domination de la Prusse. Il fallait donc s’opposer à cette coalition naissante entre la Russie et la Prusse qui se sont promis de se soutenir dans leurs revendications. En ce qui concerne l’Angleterre, elle a tendance à soutenir les prétentions de la Prusse sur la Saxe, soit disant, pour faire face à l’influence russe en Europe ;  pour Talleyrand, c’est une erreur ; il fallait l’en dissuader. Mais comment résoudre ce problème, surtout lorsqu’on a à faire à un tsar de Russie qui se présente comme le leader de cette coalition qui a abattu Napoléon et qui tape très fort sur la table pour réaliser ses revendications ?

Talleyrand connait très bien  Alexandre de Russie pour avoir négocié avec lui le traité de Tilsit, pour l’avoir conseillé à Erfurt de ne pas s’allier à Napoléon et pour l’avoir eu comme hôte dans son hôtel particulier à Paris lorsque les alliés ont occupé la capitale française en 1814. Il sait que le tsar ne comprend que le langage de la force ; il faut donc créer cette  force de dissuasion ; Talleyrand, et cela sera un de ses chef d’œuvres diplomatiques, va créer cette force.
Tout d’abord, Talleyrand montra sans peine que si, la Russie s’emparait de toute la Pologne, elle aurait une frontière commune avec l’Autriche et une frontière qui s’avancerait au cœur de l’Europe. D’autre part, si la Prusse mettait la main sur la Saxe, elle aura des prétentions sur toute l’Allemagne et confinerait également avec l’empire autrichien ; de sorte que les ennemis de l’Autriche ne seront plus à Paris, mais à Berlin et Saint-Pétersbourg. Par ailleurs, si la Prusse devenait une super puissance, elle pourrait avoir des prétentions sur la Belgique qui, en fait, n’existe pas encore, une grande partie de son territoire étant occupée par la Hollande ; ceci n’arrange pas l’Angleterre.
 

Et le coup de maître de Talleyrand sera, deux mois après l’ouverture du congrès de Vienne, d’avoir éveillé les soupçons de l’Autriche et de l’Angleterre contre l’Est conquérant et dominateur et le royaume de Prusse expansionniste. Il sera l’artisan d’une nouvelle coalition comprenant l’Autriche, l’Angleterre et la France qui signeront en secret, le 3janvier  1815, un traité d’alliance défensive, pour défendre l’équilibre européen, si cher à notre diplomate. Dès que le traité fut connu, et il le fut assez rapidement, les russes et les prussiens revinrent à de meilleurs sentiments et le traité de Vienne a pu être signé, en juin 1815, presque en même temps que la fin de la bataille de Waterloo.

Avant le départ, le dernier chef d’œuvre du prince : L’indépendance de la Belgique

Je n’ai pas l’intention d’aller plus loin, de parler, en détail, de la relation de Talleyrand avec les bourbons qu’il a aidés à récupérer le trône de France ; je me contenterais de dire qu’il a été le premier président du gouvernement provisoire de Louis XVIII ; qu’il tomba ensuite en disgrâce et ne revint aux affaires que sous Louis Philipe, pour être ambassadeur de France à Londres, le poste politique et diplomatique le plus prestigieux à l’époque où il œuvrera pour la consolidation des relations franco britanniques, base de la paix et de l’équilibre en Europe et où il œuvrera aussi, avec succès à la création d’une Belgique indépendante ; n’était ce Talleyrand, la Belgique n’aurait jamais existé.

Les rapports de Talleyrand avec Dieu ou la dernière négociation

Talleyrand avait quatre vingts ans quand, en 1834, il rentre définitivement en France ; il s’installe dans son châteaux de Valençay et fera de courts séjours à Paris ; malgré son âge avancé et son infirmité, il continue à recevoir et à organiser des diners fastueux ; toutefois, il sent que sa fin est proche et appréhende la mort avec philosophie ; écoutons le : Déclarez-vous vieux pour qu’on ne vous trouve pas vieilli ; dites noblement, simplement, avant tout le monde : l’heure a sonné.

Talleyrand a été l’un des hommes politiques et  hommes d’état les plus controversés ; ayant servi plusieurs régimes qu’il a contribué à établir et, par la suite, à combattre et à déstabiliser, il fut accusé de trahison ; pour lui, il n’a jamais trahi et a toujours agi en fonction des intérêts de son pays, guidé en cela par la conviction profonde que cet intérêt réside dans la consolidation de la paix et dans l’équilibre européen.

Talleyrand est considéré comme l’un des hommes les plus corrompus  de son temps ; je ne vais pas le défendre, mais, pour lui, il faut s’entendre sur la signification de la corruption ; accepter des récompenses des chefs d’état ou des princes qui font appel à son talent pour les conseiller, n’est pas considéré, par lui, comme de la corruption ; ces récompenses, il les désigne par le mot douceurs.. Du reste, Talleyrand a accumulé une immense fortune ; mais il faut le dire, c’est, d’après lui,  Napoléon qui a fait  sa fortune ; il l’écrit dans ses mémoires et demande à ses héritiers de ne pas l’oublier ; écoutons le : Je ne me rappellerai pas moins jusqu’à la fin de ma dernière heurs qu’il a été mon bienfaiteur et que la fortune que je lègue à mes neveux me vient en grande partir de lui.

De son vivant, ses détracteurs les plus virulents s’appellent Châteaubriant, George Sand et bien d’autres qui ont écrit sur lui les plus basses vilénies, ou bien des journalistes,   et dans une moindre mesure, Lamartine qui discutait avec lui et acceptait ses invitations et qui, lorsque il faisait remarquer au prince que ce qu’il faisait n’est pas moral, il lui répondait que sa morale n’est pas la sienne ; par contre, dans d’autres couches de la population et dans l’opinion publique, il bénéficie d’une grande popularité ; à quatre vingt trois ans, lorsqu’il entre à l’Institut pour assister à la séance au cours de laquelle fut reçu son ami, élève et disciple, Thiers, tout le assistants se sont levés et lui ont fait une extraordinaire ovation ;

Aujourd’hui, le génie et le talent de Talleyrand sont presque unanimement reconnus ; le congrès de Vienne où Talleyrand a joué le rôle principal dans la réalisation de l’équilibre européen et en organisant l’alliance des puissances occidentales pour contrer l’expansionnisme russe, est un véritable chef d’œuvre diplomatique ; certains auteurs français, comme Gaston Palewski, considèrent que ce congrès de Vienne est immensément supérieur à la conférence de Yalta où la France ne fut pas représentée ; ils considèrent qu’en acceptant de s’y rendre sans la France, Churchill a assumé devant l’histoire une lourde responsabilité ; toujours pour eux, il n’est pas interdit de penser que l’action du général de Gaule à Yalta eût pu imprimer aux chose une orientation différente ; il est vrai qu’à Vienne la France était présente. Elle était affaiblie, certes, mais elle était représentée par le prince de Talleyrand.

Talleyrand et Dieu, la dernière négociation

La dernière grande négociation de Talleyrand fut une négociation au sommet avec Dieu ; il tira sa révérence le 17 mai 1838 à Paris ; ses relations avec l’église qui le considère comme un traitre mécréant, il a du, à l’instar de Voltaire, négocier âprement son avenir post mortem afin de s’assurer d’une sépulture chrétienne,  en signant une profession de foi, maintes fois rédigée, corrigée et définitivement acceptée. Il part tranquillement en prenant à témoin l’histoire ; voici les dernières lignes de ses mémoires : La postérité portera un jugement plus libre et plus indépendant que les contemporains sur ceux qui, placés comme moi sur le théâtre du monde, à une des époques les plus extraordinaires de l’histoire, ont droit, par cela même, d’être jugés avec plus d’impartialité et plus d’équité.

Il est vrai que Talleyrand est un homme du XVIII ième et du XIX ième siècle, mais le XXième et le XXI ième auraient eu beaucoup à gagner s’ils avaient pu produire, dans les domaines politique et diplomatique, des hommes de son envergure.

Mahmoud Maâmouri
                         

(*) Conférence donnée au Club Bushra-el’Khir, le 6 novembre 2009

























































 










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