News - 25.01.2019

Ezzeddine Ben Hamida - La terrible dégradation des fondamentaux macro-économiques : Quelles voies de sortie ?

Ezzeddine Ben Hamida - La terrible dégradation des fondamentaux macro-économiques : Quelles voies de sortie ?

Huit ans après la révolution pour «Liberté, justice, dignité» l’état de l’économie tunisienne est à l’image du charivari qui caractérise le paysage politique: des formations sans projet, une économie sans stratégie! Les tiraillements inter et intra partis, à cause des ambitions démesurées de certains novices, alimentent l’incertitude aux yeux des investisseurs et nourrissent les convoitises, les appétences, de l’Union européenne et des Institutions financières internationales.

1/ Un constat âpre!

Quelques indicateurs pour illustrer la terrible dégradation des fondamentaux macroéconomiques:

  • L’année 2018 a été marquée par un déficit record : 19,04 milliards de dinars, soit 6,4 milliards de dollars ; comparé à 2017, la hausse est de 22%.
  • Aujourd’hui, 1 Euro s’échange contre près de 3,5 dinars  alors qu’en janvier 2012, il fallait débourser seulement 1,93 dinar pour 1 euro. Il y a donc une dépréciation de 45% en l’espace de 5 ans, ce qui explique l’aggravation du déficit commercial et le poids de la dette.
  • La dette extérieure (publics et privés) est passée de 37 % du PIB en 2010 à 67,6 % en 2016, pour atteindre près de 84 % en 2018. La seule dette publique, celle de l’État, passe d’environ 40 % du PIB en 2010 à 70 % en 2018. D’après les projections du FMI, le taux d’endettement extérieur, par rapport au PIB, pourrait atteindre les 88 % entre 2019 et 2021 ; celui de la seule dette publique serait autour de 69 % du PIB.
  • L’inflation est d’environ 7,5% aujourd’hui contre 4,5% en 2015. Il s’agit d’inflation incompressible causée par la dépréciation de la monnaie nationale. La hausse non maîtrisable des prix de ces dernières années a affaibli  le pouvoir d’achat du consommateur tunisien: d’où les mouvements de grève et la grogne populaire en ce moment.
  • Le chômage n’est pas en reste. Rien –ou presque- n’a été fait au profit des demandeurs d’emploi. Le taux officiel de chômage est d’environ 16% ; dans certaines régions, il atteint les 35%. Sur 600.000 chômeurs, plus de 250.000 diplômés du supérieur sont toujours à la recherche d’emploi.

Au côté de ces données purement économiques, la Tunisie fait face, depuis quelques années, à une fuite, méthodique et organisée, des cerveaux. Ainsi, lors seulement de ces 3 dernières années plus de 10.000 ingénieurs et 8000 médecins ont quitté le pays. Une hémorragie qui va coûter, à moyen et long terme, très cher à la Tunisie qui se vide peu à peu de ses compétences au profit des pays européens, du Golfe et du Canada. Aussi invraisemblable qu cela puisse  paraître, les autorités préfèrent l’expression «mobilité des compétences» à celle de «fuite de cerveaux». 

Le bilan est lourd. C’est à se demander s’il y a encore un capitaine à bord? La Tunisie ne peut pas s’en sortir sans un consensus sans faille de l’ensemble des partis politiques autour d’une question vitale qui mine l’économie tunisienne: la dette! Voilà notre tumeur !

2/ Oui, la dette!

Pourtant, la dette est sensée permette de financer les investissements qui sont à l’origine de toute création d’emplois? Que s’est-il passé dans en Tunisie?

La dette permet effectivement de financer les investissements qui sont indispensables pour toute création d’emploi. Les investissements permettent aussi et surtout de créer de nouvelles richesses. Et c’est  ainsi que la dette va pouvoir, peu à peu, être remboursée.

Dans le cas de la Tunisie, la dette a permis jusqu’au début de 2015 à faire face à ce que j’appelle «le coût de la révolution»: fonctionnement de l’Etat, indemnisation des chômeurs, recrutements, …, pour absorber la révolte sociale légitime et honorer les engagements de l’Etat.

Le terrorisme a aggravé le sentiment d’incertitude; ce qui s’est traduit par un recul marquant des investissements nationaux (publics et privés), fuite des investisseurs étrangers, désertification des hôtels,… ; bref, pendant près de 4 ans l’économie tunisienne était en léthargie. L’Etat était contraint de s’endetter, donc. Les taux d’intérêt sur les marchés des capitaux et auprès des institutions spécialisées étaient excessifs car la Tunisie est devenue un pays à risque et sa note auprès des agences de notation a été dégradée.

Les investissements ne sont donc pas allés dans le processus de production pour produire de la richesse. Ils ont servi le fonctionnement de l’Etat et pour absorber la grogne sociale: Le chiffre avancé par le ministère des finances est de l’ordre de 2 700 millions de dinars (931 millions de dollars) entre «compensations» accordées aux anciens prisonniers politiques, et surtout des augmentations de salaires et de fonctionnaires.

D’après le rapport de 2017 de la banque centrale, Les dépenses au titre du remboursement de la dette publique, en principal et intérêts, au cours de l’année 2017, ont atteint un peu plus de 7 milliards de dinars (2,6 milliards de dollars). Comparée à 2016, l’augmentation est de 34,7%. D’après le même rapport, s’agissant de l’année 2018, les paiements prévus au titre du service de la dette se situaient à 8 milliards de dinars dont 57% relatifs à la dette extérieure. Il faut savoir qu’au même temps le budget prévu pour le développement est d’autant, c’est-à-dire de 8 milliard de dinars.
Comment peut-on dans ces conditions entrevoir une quelconque sortie de crise ?

3/ Quelles voies pour s’en sortir?

Trois axes:

1/ D’après le rapport élaboré en 2011 par le Comité pour l’annulation de la dette du Tiers Monde (l’ATLAS, P.37), sur les 19 milliards de dollars de dette extérieure publique contractée par la Tunisie entre 1987 et fin 2009, près de 10 milliards sont considérées comme étant «une dette odieuse», c’est-à-dire «une dette illégitime» par conséquent la Tunisie est en mesure de demander leur annulation ! Pour cela il faut que les partis politiques dépassent leurs clivages. Et qu’ils prennent conscience de la gravité du moment. Qu’ils soient à la hauteur et ce rendez-vous avec l’Histoire.

2/ La lutte contre la corruption et l’économie informelle doivent être une priorité pour les dirigeants tunisiens. L’économie parallèle, la contrebande, coute plus de 12 milliards de dinars en manque de recette fiscale et cotisations sociales. Cette enveloppe manquante, chaque année, au budget de l’Etat représente environ 15% de la dette extérieur tunisienne.

3/ Il faut aussi trouver un accord avec le FMI pour stopper la descente en enfer du dinar et le fixer à terme à 1,5 dinar pour 1 euro. A mon sens, c’est la parité qui permettra à la Tunisie de renouveler son parc technologique qui dépend essentiellement des technologies occidentales. En effet, La Tunisie a besoin de gagner en termes de productivité. En filigrane, c’est la productivité du capital qui pose problème à cause de la vétusté  des technologies qui équipent l’essentiel de nos entreprises. Aussi, une monnaie forte permet la baisse du coût des importations ; de facto, l’inflation baisse et la compétitivité de l’économie s'améliorera.

Il va s’en dire qu’il s’agit de suggestions utopistes, irréalistes, …, l’auteur est inconscient, il n’a aucune connaissance des contraintes institutionnelles et internationales, l’UE et le FMI vont nous narguer si on leur font de telles demandes. 

La question est éminemment politique. Quand les Tunisiens ont décidé fermement de prendre leur destin en main, ils ont réussi à arracher leur indépendance. Quand ils ont voulu dégager BEN Ali, celui-ci a pris la fuite. Encore une fois, le développement est une conscience morale, un défi, une volonté.

Ezzeddine Ben Hamida
 

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1 Commentaire
Les Commentaires
el khlifi mokhtar - 26-01-2019 20:05

Je suggère à tous nos "experts", décideurs et en particulier Mr le chef du Gouvernement , aux responsables des partis politiques et à nos médias de lire attentivement le livre récemment publié par le Professeur Hachemi Aleya "le modèle tunisien, (refonder l'économie pour consolider la démocratie)".Je propose aux médias de consacrer une place importante à l'examen de ce riche document qui va au fonds des choses et qui est facile à lire.L'objet de ce livre devrait , à mon humble avis, figurer en bonne place dans les thèmes des campagnes de nos politiques car notre crise ne pourra être résorbée que si tout le monde prend conscience que la Tunisie est malade de son modèle économique et qu'il est temps de s'engager à le modifier.Notez bien que que Mr Aleya n'a pas été mon professeur d'économie et que je n'ai aucune relation avec lui.Je regrette qu'il n'ait pas fait paraître son "Kitab" bien avant.

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