Opinions - 18.12.2018

Monji Ben Raies: La gouvernance par la bienveillance, l'avenir de la démocratie

Monji Ben Raies: La gouvernance par la bienveillance, l'avenir de la démocratie

Le pouvoir politique utilisé comme une arme pour subordonner et asservir, l’usage de la contrainte sous couvert de gouvernement, ne suffisent pas à faire de quelqu’un détenant un pouvoir, une personne remarquable. Pour devenir un grand homme, il faut savoir se délivrer de ses propres chaînes, celles que l’on ne voit pas, qui entravent les Hommes plus étroitement que des chaines d’acier, et qui sont en eux. Même en devenant un grand leader, quelqu’un de fort, puissant et riche de biens matériels, cela ne suffira pas pour en faire un grand homme, ni le meilleur des hommes ; Pas si cette personne est esclave de la haine, de la rancoeur, de la vengeance, de la cupidité et de l’orgueil. Mais, au-delà de ces vices ordinaires et simples, certaines perceptions sont aussi des chaines, qui asservissent l’âme, des sentiments comme la peur, la corruption, la colère et le doute de soi et des autres.

Pour devenir un grand homme, il faut commencer par reconnaître ses défauts et s’en libérer. La peur, la crainte du lendemain apparaissent trop souvent dans le regard d’hommes et de femmes atteints par l’adversité, assez en tout cas pour comprendre pourquoi nombre d’entre eux sont asservis physiquement dans le monde. Une femme victime de la vie, qui craint de déplaire à son homme, fait une offrande et implore les dieux de lui donner du courage et la force de résister à sa situation domestique. Un homme fortuné qui craint de devenir pauvre, partage un peu de ses biens avec les dieux et leur en promet d’autres, s’ils lui permettent de rester riche. Un vieillard, qui craint la mort, paie un prêtre pour obtenir l’absolution et le salut. C’est parce qu’ils n’ont pas la conscience tranquille et sont gagnés par la peur, qu’ils trouvent refuge auprès des idoles des nouveaux dieux, les dieux de la cupidité, de l’injustice, avec l’espoir de voir leurs problèmes disparaître, comme par miracle. Mais les lieux sacrés du pouvoir social n’ont pas été construits pour abriter de telles corruptions. Ils ont été édifiés pour que tous les hommes, qui peuplent cette terre, puissent être réunis, d’égal à égal et suivent ensemble la voie de la vertu. Aucun homme ne nait esclave, sauf de lui-même. Les grands hommes sont ceux qui écoutent leur coeur et choisissent eux-mêmes leur destin. L’on ne peut voir la vérité du monde qu’à travers les actes accomplis pour le progrès de l’humanité toute entière. La sauvagerie d’aujourd’hui, l’arbitraire, l’égoïsme et l’extrême violence dans le monde, révèlent la véritable nature des croyances humaines. Même les plus riches, même les puissants des hommes de ce monde, sont esclaves et leurs maîtres sont les plus terribles des tyrans, la cupidité et la soif irrépressible de pouvoir. Seul, chaque personne peut se libérer de ce qui l’emprisonne, mais encore faut-il qu’elle le veuille. Jamais un dieu véritable n’exige qu’un homme donne de l’argent en son nom, tue en son nom, asservit d’autres hommes pour sa gloire. Il n’existe pas de dieux vengeurs, de dieu cupide, ni de colère divine. La colère, comme la soif de richesse et la vengeance, sont des tares humaines et si une entité transcendante en est victime, c’est qu’elle n’est pas Dieu.

Un vrai dieu ne sanctionne, ni n’est capable de représailles, ne se venge pas, ni n’ordonne de mises à mort ou de guerre sous prétexte de sainteté. La véritable force est celle de l’esprit et pas de la main qui tient le poignard ou l’épée. La voix est faite pour guider le coeur des hommes et ne doit s’élever que pour parler de justice, de paix et de vérité, jamais pour haranguer et déchaîner des fléaux. Jamais l’arme que l’on a en main ne doit guider nos choix et commander nos actes. La haine est le pire des poisons. Les victoires sont celles de la raison et de la sagesse des âmes et des coeurs. Des victoires qui briseront les chaînes et libèreront l’humanité toute entière. Mais l’ennemi ne baissera jamais les armes. Il fomentera une vengeance et il attendra tapis dans l’ombre. Il y aura des victoires, mais aussi des batailles et s’il doit y avoir la guerre, il y aura forcément de grandes tragédies avant que la lumière ne l’emporte sur les ténèbres.

Gouverner les Hommes est une lourde charge qui doit être menée avec bienveillance. La bienveillance n’est pas un concept naïf ou simplement humaniste et fleur bleue, mais c’est bien plus.
Selon les dictionnaires usuels, la bienveillance est une disposition d'esprit inclinant à la compréhension, à l'indulgence envers autrui. c’est un mode de vie, un principe de gouvernance intelligente et une règle de gestion responsable ! En termes de politique, très souvent, le sujet semble au cœur des préoccupations des gouvernés et des administrés. La bienveillance est, sans aucun doute possible, une composante essentielle d'un comportement éthique de tout leader qui se prétend être.

En société, le mode de gouvernance bienveillant est un mode d’organisation en opposition avec le mode pyramidal, prétentieux et parfois agressif, pour ne pas dire malveillant. Au-delà des individualités, c’est l’Etat tout entier, avec ses démembrements, qui se doit d’être bienveillant, au travers par exemple, d’une politique et d’une stratégie adaptées et un intérêt marqué pour les citoyens et leur situation sociale. Parce que dans les années à venir, l’attachement des individus, des générations Y, Z et Alpha, à leur pays, leur Etat de ressort, leur identité et leur société, sera de plus en plus faible, toutes les études sociologiques menées, le démontrent. Les Etats auront beau fermer leurs frontières, conclure des accords avec d’autres pour limiter les flux migratoires, adopter des lois draconiennes et répressives pour limiter la liberté de circulation des personnes, l’hémorragie des compétences et des mécontents continuera. Plus le temps passe, plus ce seront les personnes qui choisiront, seules sans autorisation, l’implantation de leur domicile élu, plutôt que l’inverse. Ce fait, ajouté au départ massif des compétences pour l’exil d’un ailleurs favorable, la mise à la retraite des générations de l’ère du ‘’baby-boom’’, les Etats doivent se préparer dès à présent, à séduire pour pouvoir motiver et fixer leurs populations. Pour préparer l’avenir et avoir les meilleurs citoyens possibles, les Etats doivent se préparer et pour certains, changer.

Concrètement, qu’est-ce que la bienveillance sociétale ? Plusieurs indicateurs sont à relever pour son identification:

Proposer plutôt que d’imposer

Une stratégie sera toujours plus efficace, lorsque l’ensemble des parties prenantes se sent concernée, motivée et responsable du choix de celle-ci. Il ne s’agit pas forcément d’être dans une gouvernance collaborative et participative en tout, et pour tout ; mais, pour les grandes décisions, inclure une part de discussion est fondamental et déterminant pour son effectivité. Un leader politique n’est pas infaillible et il est rassurant pour les citoyens que, dans son mode de gouvernement, celui-ci attende de la population qu’elle l’aide à prendre les bonnes décisions.

Ecouter plutôt que de s’entendre parler

Gouverner c’est décider, c’est trancher, prendre position et choisir. Pour ce faire, il faut disposer de tous les éléments et avoir toutes les informations en main. C’est à ce titre qu’écouter ses collaborateurs et/ou les citoyens est fondamental, non seulement pour obtenir l’information souhaitée, afin d’éclairer ses choix, mais également pour motiver les personnes autour de soi et dans la société toute entière. Être bienveillant, c’est savoir écouter, pas seulement entendre ; C’est écouter en prêtant attention et en respectant la valeur de la parole de ses interlocuteurs. Avec ce type d’écoute, sa propre réflexion devient plus riche et fiable. Le risque d’erreur est amoindri et la responsabilité diluée.

Gérer plutôt que de copiner

Manager avec bienveillance, c’est aussi avoir un relationnel et des actes identiques avec tout le monde. Trop de responsables ont, autour d’eux, une bande de copains parasites, sur le même modèle que les courtisans à la cour des Rois. Les conséquences en sont, d’abord qu’un courtisan, par principe ne contredit jamais le Roi et ne lui permet pas de voir s’il fait des erreurs ; ceux qui ne sont pas courtisans sont plus occupés à essayer de le devenir, qu’à servir les intérêts du royaume. Enfin, le Roi se pense génial et ne se remet pas en question. Une étude a montré que seulement 10% des gouvernants géraient véritablement 100% de leur population. Les 90% ne gérant que les collaborateurs avec qui ils ont des dettes, des affinités et les membres de leur clan, sur le mode régionaliste, tribal ou des classes sociales.

Développer plutôt que de sanctionner

Les erreurs sont humaines, mais les gouvernants oublient souvent qu’ils sont capables d’erreurs et que c’est reconnaître leurs erreurs qui, au final, les rend meilleurs ainsi que leurs collaborateurs. La bienveillance dans la gouvernance, c’est admettre la possibilité de se tromper et de mettre l’ensemble des collaborateurs en confiance sur ce point, afin de libérer les énergies créatrices. La bienveillance ne veut en aucun cas dire qu’aucune sanction ne doit tomber jamais, car parfois elle est nécessaire, mais seulement signifier, que si sanction il doit y avoir, elle sera juste, proportionnée à la faute et rédemptrice.

Sourire plutôt qu’une excessive sévérité

La bienveillance est une attitude sociétale de convivialité et de partage de plaisirs. Le sourire rassure et met en confiance. Il est ouverture et lumière. L’austérité, en revanche, fait peur et met sur la défensive.

Assumer plutôt que dissimuler

Combien de responsables, en période de bilan, n’osent pas faire de choix, ne font que gérer le quotidien comme des épiciers et répartissent des récompenses automatiques entre leurs collaborateurs de manière globale, c’est-à-dire entre tous, quelle que soit leur performance et non pas en fonction de leur mérite. Combien de managers n’assument pas leur choix et évitent d’avoir à expliquer à un collaborateur, pourquoi il n’a pas été récompensé. Être bienveillant ne veut en aucun cas dire être gentil. Mais quand il s’agit d’annoncer une mauvaise nouvelle, cela ne les exonère pas de faire preuve de psychologie, de tact et de respect. Eviter la technique de bouc émissaire en fait aussi partie. Contrairement à ce que pensent certains responsables, un collaborateur sera toujours plus motivé par un manager qui communique, y compris les mauvaises nouvelles, que par un manager enfermé du matin au soir dans son bureau et qui ne communique que par memos, notes de services ou par mail.

La bienveillance génère de l’énergie positive. Cela est vrai en politique comme dans la vie personnelle. Je suis absolument convaincu que l’Etat ne pourra faire l’économie de développer cette attitude dans les années à venir, s’il souhaite réduire son passage à vide lié à la méfiance qu’il inspire. Certes, actuellement, la crise et le chômage, laissent penser à certains politiques, que la « chose humaine » est secondaire, une question d’offre et de demande. Mais cette vision est très court-termiste et risque de se retourner très vite contre l’institution étatique elle-même, effet croisé d’une éventuelle sortie de crise, de l’arrivée sur le marché du travail des générations Y, Z et Alpha, et enfin, du départ à la retraite des générations antérieures. La bienveillance dans la gouvernance est une tendance, aucun doute sur ce point ; tout le monde en parle, beaucoup l’appelle de leurs voeux, mais au final, peu de systèmes politiques se lancent véritablement dans une démarche globale. Une petite mesure par-ci, une charte par-là, mais du point de vue des citoyens, rien ne change en profondeur. Parce que comme en beaucoup de choses, il ne suffit pas de déclarer vouloir un mode de gouvernement bienveillant pour que celui-ci se mette en place.

Pour ce faire, trois étapes assez simples semblent essentielles et surtout efficaces:

  • D’abord adopter une démarche globale. Certes, chaque manager, à son niveau, peut agir, changer son mode de gestion. Mais il est certain que si le mouvement ne vient que du sommet de la hiérarchie, ceux qui agiront ainsi passeront au mieux pour de doux rêveurs, au pire pour des managers inefficaces, mettant l’humain au-dessus de l’intérêt suprême de l’Etat et de l’institution. Mettre en place une démarche bienveillante orientée vers le bien-être de l’individu ne peut, non plus n’être qu’un projet porté par les services de gestion des Ressources Humaines, même si les ressources humaines, loin d’être un simple outil technique, peuvent être une source de motivation et de culture institutionnelle, y compris dans des instances ayant des modes de gestion non-pyramidaux.
    Le problème central est qu’en temps de crise, mettre en place une telle politique apparait pour un grand nombre de dirigeants comme un luxe, qu’ils ne peuvent pas se permettre. Penser au bien-être des collaborateurs et de la population, alors que l’Etat ne va pas bien, quelle idée saugrenue ! Penser cela, c’est imaginer que l’Etat existe au-delà de sa réalité humaine. Or, surtout en temps de crise, ne pas avoir des citoyens et collaborateurs impliqués, avoir une démission institutionnelle et un désintérêt citoyen élevé ne peut qu’aggraver la situation. C’est pourquoi, après une analyse faite, c’est à la Direction suprême d’impulser le mouvement et de remettre l’Etat dans une perspective positive plutôt qu’anxiogène.
  • Ensuite, l’individu plutôt que le groupe. Autant une politique se doit d’être globale et cohérente, autant, avoir une démarche pour imposer la bienveillance dans la gouvernance, se doit d’être radicalement tournée vers l’individu. Être bienveillant dans son mode de gouvernement, c’est notamment être empathique, s’adapter à chacun et que chacun se sente reconnu comme unique et important. En Tunisie, ces derniers temps, le conformisme global est tout, sauf bienveillant. La laïcité qui nous est présentée, à raison, comme valeur fondamentale de la république est en train d’être détournée pour nier la spécificité de chacun. Il en va de même en société. Certes, les règles communes sont absolument fondamentales, dans la société, cependant, il ne faut pas confondre règles communes et conformisme absolu qui nie l’individu et ses aspirations. La conséquence, si aucun intérêt n’est accordé à cela, en sera qu’il n’y aura plus aucune créativité, ni implication d’aucune sorte. Le mouton de Panurge n’a jamais fait preuve d’un dynamisme incroyable si ce n’est pour tomber du haut de sa falaise.

Enfin, la vie personnelle importe autant que celle professionnelle et/ou politique. Le paradigme à changer de façon la plus urgente et qui, paradoxalement est le plus complexe à traiter, c’est de remettre la vie personnelle à sa juste place. Ceux qui ont plus de 40 ans aujourd’hui ont le plus de mal pour cela. Elevés par des parents, pour qui l’Etat était un endroit finalement assez agréable, mais surtout, étant une génération qui a eu une carrière quasiment exclusivement faite pendant la crise, et ayant une relation de crainte vis à vis des institutions, avoir une approche qui tourne autour de l’équilibre perso/pro n’est pas simple. Les générations Y, Z et Alpha sont très cyniques vis-à-vis de l’Etat et sont en demande d’une véritable complémentarité pro/perso. Le plus intéressant avec ces trois générations, c’est que si l’Etat ne s’adapte pas à leurs aspirations, ils changent de lieux et quittent le pays. Ils ont compris depuis longtemps, en observant leurs parents et leur vie professionnelle, que l’Etat n’est pas nécessairement un endroit sympathique et qu’il est donc fondamental, de bien choisir celui à qui ils vont accorder du temps et leur allégeance.

Malheureusement, à ce jour, un grand nombre de responsables publics considèrent toujours que ces problématiques sont contre-productives en ces temps de crise. Le temps accordé à sa vie personnelle est un temps non-productif. Lorsque l’on sait que 400 000 Tunisiens sont ou vont être, en burn-out, il faudrait peut-être se pencher très sérieusement sur la question. Bien entendu, les mutations
nécessaires sont nombreuses à mettre en place et nous ne sommes qu’au début d’une transformation radicale de notre rapport à la société et à l’Etat. Il n’est clairement plus possible d’envisager ce dernier comme le faisait nos parents et nos grands-parents. Cela semble évident. Et pourtant, si cela est vrai, l’Etat lui-même ne peut, non plus, envisager ses citoyens comme elle le faisait au siècle dernier. La relation citoyen/Etat se doit d’être équilibrée pour être productive et nous devons agir rapidement dans ce sens.

Certes, compte tenu de la crise, la pression économique peut faire que le peuple se sente en position de grande faiblesse, par rapport aux institutions étatiques et aux pouvoirs publics. Cependant, si l’on se place du point de vue de l’Etat, il en va autrement, et ce, pour trois raisons:

D’abord parce que sans population, il n’y a pas d’Etat. C’est une lapalissade en apparence, en apparence seulement, car du point de vue du droit, la population est une composante nécessaire à l’existence même de l’Etat. Alors que les gouvernants ne s’imaginent pas que cette composante soit facilement remplaçable. Il faut se rappeler que les gouvernants, eux, peuvent être remplacés, et cela prend peu de temps. Il est clairement plus simple et rentable pour un responsable d’Etat de faire en sorte que des citoyens démotivés se remotivent. Ce dernier connait l’Etat, ses enjeux, ses règles, son fonctionnement. Cela n’a pas de prix. La pression mise sur les citoyens peut, parfois, être malsaine, sur la thématique : « tu fais comme on dit ». Heureusement, en démocratie, il existe la situation où l’inverse se produit. Et cela est d’autant plus vrai avec les générations Y, Z et certainement Alpha, moins soumises au respect à tout prix de l’establishment (des institutions), plus revêche, vindicative et exigeante.

Ensuite, sans implication, pas de productivité, que ce soit au niveau socio-politique ou que ce soit au niveau économique. Je n’ai rencontré aucune démocratie qui se dise qu’elles se moquent de l’implication sociétale des citoyens. Toutes diront s’en occuper et s’en préoccuper, et pourtant, force est de constater que l’absentéisme électoral, le manque d’esprit civique, le désintérêt de la chose politique et publique, parfaits indicateurs de l’implication citoyenne, arrivent à des niveaux critiques dans notre pays. Non, désolé, ce n’est pas uniquement dû à une épidémie quelconque. Et, au-delà des causes de santé, souvent liées au stress, le baromètre de socialisation donne d’autres explications à la démission citoyenne et à la défiance envers les politiques, comme la mauvaise organisation ou de conditions de vie, la mauvaise gestion et la corruption, un manque de reconnaissance, ou encore la charge fiscale injuste et mal répartie, une mauvaise ambiance générale et un climat suspicieux et enfin un manque de soutien managérial. C’est d’autant plus vrai, si l’on considère que 10 à 25% de la productivité d’un individu est due à son bien-être psychologique…

Les citoyens ont la parole et peuvent s’exprimer. C’est un droit constitutionnellement garanti qu’aucun texte ne peut plus contester. Qui mieux que le peuple pour dire s’il se sent bien dans l’Etat? Personne ! Vous me direz, pour cela, il existe les urnes, mais, comme je l’ai écrit dans un article, je suis convaincu que cet outil est dépassé, pour ne pas dire contreproductif, pour ce qui concerne l’expression. Le temps où le citoyen ne pouvait compter que sur ses élus qui, comme nous le savons tous, ont souvent du mal à se faire entendre dans les enceintes du pouvoir, quand ils ont quelque chose à dire, et pour faire passer des messages, ce temps est derrière nous. Aujourd'hui, certains syndicats, partis politiques et associations et certaines instances sont trop politisés pour se préoccuper de la revendication commune et se mêlent de compétitions pour la conquête du pouvoir. Les citoyens se rabattent alors sur de nouveaux modes d’expression et utilisent le numérique pour augmenter l’impact de leurs exigences au sein de la société.

Des applications comme les réseaux sociaux, par exemple, sont de véritables baromètres du bien-être de la population dans le pays. En temps réel, il est possible de savoir si tel ou tel catégorie et
secteur est en forme ou non, si l’ambiance générale se dégrade ou se maintien. En temps réel aussi, les citoyens, de façon anonyme, peuvent noter la qualité de leurs représentants, du mode de gouvernement et de la conduite politique, ou soumettre des idées. Ces applications donnent véritablement la parole au peuple et donne à l’Etat un moyen et des outils très concrets de piloter le bien-être social en son sein. Et, chaque utilisateur génère des exigences et des soutiens ou des rejets en fonction de sa situation et de son sentiment. Avec ces d'applications, le citoyen n'a pas besoin de l'accord des pouvoirs publics pour donner son avis. C'est une forme de pression mise par le peuple sur l'Etat. Et à partir d’un certain nombre, utilisant ces applications, les résultats sont visibles par tous et cela peut aller jusqu’à faire tomber des régimes et remettre en cause des systèmes d’organisation politique.

Un Etat, mal noté par sa population, aura du mal à attirer et à intéresser de nouveaux talents, des compétences et des investissements. Et au contraire, les pays dans lesquelles le bien-être est valorisé donneront envie d'y aller et/ d’y rester. Ces outils mettront de plus en plus en avant les Etats bienveillants et dont les instances de gouvernance sont tournées vers le bien-être de leurs citoyens alors que, trop souvent, lorsque l'on parle d'Etat dans les médias, c'est en mal. Les réformes sont aisées à élaborer mais tous savent que la nouveauté ne dure qu’un temps.

Finalement, l’humain est au coeur de la société et de l’Etat, et pendant les périodes de crise, il est important de savoir mobiliser le potentiel humain et faire en sorte qu’il donne le meilleur de lui-même, qu’il se dépasse pour faire sortir l’Etat de la mauvaise passe dans laquelle il se trouve. Ces systèmes où l’Humain est déprécié et dévalorisé ne valent pas mieux que les pires dictatures. Sans crainte de se tromper, les Etats qui ne comprendront pas cela à temps, ne pourront plus attirer les talents, les fixer, ni les conserver. Et un Etat sans talent, nous le savons tous, c’est une société qui meurt de médiocrité. Ce sont les systèmes socio-politiques, qui joueront la carte de la transparence, de la technologie et de l’humain, et qui auront le courage de se confronter à l’opinion/évaluation de leurs citoyens, qui prendront ce tournant que les jeunes générations sont déjà en train d’initier. La relation citoyens/Etat doit être équilibrée, fondée sur la bienveillance.

Monji Ben Raies
Juriste, Universitaire et chercheur en droit public et sciences politique,
Université de Tunis El Manar
Faculté de droit et des sciences politiques de Tunis